Armée – Haut commandement : Pourquoi le Cameroun a-t-il si peu de généraux dans l’armée

DOUALA - 13 SEPT. 2012
© Michel Michaut Moussala | Aurore Plus

Ils sont 92 au Mali, des dizaines au Gabon, 1.200 en Syrie contre seulement 26 dans notre pays, soit un général pour 770.000 habitants.

I- La hantise du coup d’Etat

Ahmadou Ahidjo, le premier président du Cameroun indépendant se méfiait des officiers supérieurs en général et des officiers généraux en particulier. Raison pour laquelle il ne voulait pas promouvoir certains officiers supérieurs pourtant méritants au grade de Général. Ce n’est qu’en 1973 que Pierre Semengué qui était entré dans l’armée en 1955 était devenu général de Brigade. Et jusqu’au départ du pouvoir d’Ahidjo en 1982, Semengué était le seul Général du Cameroun alors qu’un autre officier supérieur non moins brillant, Nganso Sunji aurait aussi pu prétendre à ce grade. C’est avec l’avènement de Paul Biya que ce fils du département du Ndé, région de l’Ouest va enfin devenir Général dans les années 1980. Et pour cela il n’oubliera jamais l’actuel chef de l’Etat et il l’avait dit dans une déclaration peu après le port de ses nouveaux galons. C’est à son corps défendant que Paul Biya s’est mis à nommer les généraux, car si on observe bien sa démarche, elle n’est pas si éloignée de son prédécesseur Ahmadou Ahidjo. C’est dire que comme lui il y a encore quelques années, le chef de l’Etat avait une peur bleue des généraux, une peur il faut le dire qui s’est estompée avec le temps. Aujourd’hui, il a plus à craindre des colonels et des hommes de troupe.


Un népotisme avéré

Quand Paul Biya arrive au pouvoir, il constate que le seul général en fonction est certes du Sud, mais il n’est pas Bulu. Le général Pierre Semengué est Ewondo, Ngoué par sa mère pour être précis, mais en réalité c’est un originaire du département de la Mefou et Afamba qui a pour chef-lieu : Mfou, à quelques encablures de Yaoundé. Ses origines paternelles seraient du côté du village de Ndanguen où on l’a vu un jour dans les années 1980 organiser une cérémonie autour de la tombe paternelle pour éloigner le mauvais sort qui le poursuivait en ces temps-là. Il y avait là, porcs, bœufs, camions des Brasseries du Cameroun, etc. C’est que le mariage avait pris fin entre les parents du Général qui était déjà né et sa mère est rentrée dans sa famille du côté de l’Océan, région du Sud où il a grandi avant de revenir dans la région du Centre poursuivre ses études au lycée Leclerc de Yaoundé. C’est dans cet établissement qu’il a rencontré le président de la république Paul Biya qui était son condisciple.

Constatant donc qu’il n’y avait pas de Général Bulu, Paul Biya se mit en tête d’en créer par tous les moyens. C’est ainsi qu’il jeta son dévolu sur le fringant colonel Benoît Asso’o Emane né en 1939. C’est un Bulu de l’arrondissement de Djoum, département du Dja et Lobo, le même que celui du président Paul Biya. Les enquêtes demandées par le chef de l’Etat à son sujet s’avèrent infructueuses, butant sur un handicap de taille : le colonel ne remplit pas les conditions requises pour passer au grade de Général et l’une de ces conditions est son manque d’ancienneté au grade de colonel dont peuvent se prévaloir un homme comme le colonel Tataw Tabe James mais surtout un anglophone de la région du Sud-Ouest, d’origine Bassa. Mais passant outre les recommandations de la commission d’enquête, Paul Biya va élever Benoît Asso’o Emane au grade de Général de Brigade. Il y aura des grincements de dents dans la grande muette, des grincements qui n’iront pas loin, Paul Biya étant le chef suprême des Forces armées, aujourd’hui Forces de défense.


II- Une retraite douillette

Les Généraux, c’est bien connu, n’aiment pas prendre la retraite. Ils se croient investis d’une mission divine, ils pensent être indispensables. Le Général Pierre Semengué n’aimait pas entendre parler de retraite car il estimait qu’un Général ne prend sa retraite qu’avec la mort. Ne dit-on pas qu’il déclarait souvent que s’il va à la retraite, le président Paul Biya doit aussi s’en aller puisqu’ils sont de la même génération. Mais un beau jour de 2011, Paul Biya toujours imprévisible a envoyé à la retraite trois généraux pour limite d’âge. Mais en fait quelle est la limite d’âge des généraux ? Sont donc partis : - Le général Pierre Semengué. - Le général Tataw Tabe James. - Le général Nganso Sunji. Le plus âgé de ces généraux est sans nul doute le général Tataw Tabe James qui serait né en 1933 comme Paul Biya mais curieusement dans son dossier familial, il a un enfant, un garçon né en 1945 quand le Général avait 12 ans. Est-ce qu’à cet âge-là, un individu de sexe masculin peut déjà faire un enfant. C’est à vérifier. Le Général de Division à la retraite serait vraisemblablement né dans les années 1920. Des sources familiales confirment d’ailleurs sans la moindre gêne qu’il serait né vers 1933, ce qui fait qu’il serait âgé aujourd’hui d’environ 89 ou 90 ans. Sans oublier qu’il a commencé sa carrière militaire au Nigeria dans les années 1950. Tous ces vieux crocodiles ont conservé leurs avantages au moment de leur mise à la retraite.


Un déséquilibre flagrant

Dans le partage, certains départements et régions sont lésés, c’est bien dans les habitudes de Paul Biya. Ce qu’il fait au niveau du gouvernement et des Directions générales des sociétés publiques et parapubliques, il le fait également au niveau de l’armée. Dans cette répartition, l’Ouest et le Centre se taillent la part du lion avec cinq Généraux suivis de la région du Sud qui en compte quatre. (Voir ci-dessous). La quantité ou la qualité ? Le Mali est moins peuplé que le Cameroun, mais avec 92 Généraux toutes armes confondues. La Syrie en guerre aligne 1 200 Généraux pour une population de 23 millions d’habitants, alors que celui du général Semengue n’en compte qu'une vingtaine de Généraux pour 20 millions d’habitants. Le Gabon voisin avec un million et demi d’habitants a plus de généraux que le Cameroun. Cela veut-il dire que le Cameroun a choisi la qualité à la quantité ? Que nos généraux sont plus valeureux que ceux des autres pays qui en ont une pléthore ? Tout cela, ne sont que des arguments fallacieux. La réponse pourrait se cacher dans la crainte des chefs d’Etat successifs que le Cameroun a connu. Crainte d’avoir dans leur armée un grand nombre de Généraux qui ouvrirait des vannes incontrôlables à des éventuels coups d’Etats et autres putsch.

Jusqu’à preuve du contraire, rien ne prouve que le Général malien ou syrien est moins valeureux le Général camerounais. Dans la réalité, l’armée camerounaise ne vaut rien à côté de l’armée syrienne tant en matériel que par la qualité de la ressource humaine. Le pays de Bachar El Assad a une armée dans les académies militaires aussi bien en Russie que dans les pays occidentaux. Et dispose d’un équipement militaire de pointe. Si on estime la population malienne à 16 millions, on a dans ce pays de l’Afrique de l’Ouest un Général pour 174 000 habitants. Rapporté au Cameroun, cela vaudrait qu’il en compte 115 généraux alors qu’en ce moment notre pays, peuplé de 20 000 00 d’habitants n’en compte que 26 Généraux et assimilés. Si on prend le cas syrien qui est de 1 200 généraux pour 23 millions d’habitants, soit un général pour 20 000 habitants et qu’on le rapporte à la population de notre pays, cela va donner 1 000 généraux. Mille Généraux pour le Cameroun, c’est tout simplement inimaginable pour Paul Biya qui préfère maintenir un Général pour 770 000 habitants.


III- Une affaire plus politique que de mérite

Ce n’est ni la compétence, ni la bravoure encore moins les états de service qui font qu’un colonel soit élevé au grade de Général. C’est une affaire purement politique, car si on tenait uniquement compte de critères purement techniques, bon nombre de Généraux seraient toujours colonels et certains colonels seraient devenus Généraux, il y a belle lurette. Déjà au niveau des officiers supérieurs, nous en connaissons qui prennent régulièrement du grade en dépit de leur incompétence avérée ou de leur indiscipline notoire, mais par le fait qu’ils ont un piston quelque part dans la République, alors tout marche bien pour eux. Et cela crée des frustrations entre les camarades d’une même promotion. Nous connaissons le cas de deux capitaines de la même promotion dont l’un est passé Chef de bataillon alors que l’autre était obligé d’attendre l’année d’après. Les félicitations du recalé à l’heureux promu étaient de façade puisqu’en privé le recalé déclara : « c’était l’un des plus faibles de notre promotion mais comme il a quelqu’un derrière lui, il avance facilement depuis que nous sommes sortis de l’Emia… »

La politique est entrée dans nos forces de défense sous l’ère Ahidjo. L’Ecole militaire interarmes (Emia) comme l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature (Enam) fonctionnait sur le principe d’un double système. A l’Emia, on trouvait dans la même salle de classe des titulaires du baccalauréat venant généralement de la partie méridionale du pays et d’autres, originaires de la partie septentrionale du pays, titulaires du Certificat d’études primaires élémentaires (Cepe), aujourd’hui certificat d’études primaires (Cep), sanctionnant la fin des études du cycle primaire ; ou encore des titulaires du Bepc. La combine ne s’arrêtait pas là, elle continuait dans la vie professionnelle, puisque très souvent, celui qui était entré avec le Cepe ou le Bepc à l’Emia pouvait progresser plus vite que celui qui y était entré avec le Baccalauréat.

S’agissant de la promotion de colonels au grade de Général, nous avons un exemple où la politique a fait une intrusion qui a abouti à mort d’homme. Lorsqu’il faut faire passer un colonel anglophone au grade de Général, il y a deux candidats qui remplissent pleinement les conditions : les colonels Tataw Tabe James et Titus Malonge. Mais seulement ce dernier quoique étant anglophone est de souche Bassa, ce qui en fait un motif de protestation des anglophones qui estiment que seul Tataw Tabe James mérite d’accéder au grade supérieur puisqu’il est anglophone, pure souche de la province à l’époque du Sud-Ouest, département de la Manyu. Cet argument avait fait mouche et finalement Tataw Tabe James devint Général. Le colonel Titus Malonge fut tellement désappointé qu’il mourut peu de temps après. Voilà où peut conduire la politique. C’est comme si on demandait Francis Wete Kengne, né à Kumba département de la Meme (en 1943- ?) Région du Sud-Ouest de parents originaires du département du Ndé, région de l’Ouest de quitter son poste de Directeur général adjoint de la Crtv sous le prétexte qu’il n’est pas anglophone pure souche. D’ailleurs certains anglophones le disent urbi orbi, qu’il est un usurpateur qui doit libérer leur place. Même l’ancien ministre de l’Eau et de l’Energie, Michael Tomdio, d’origine Bafang, région de l’Ouest a connu la même situation.

Il faut dire que l’armée camerounaise a aussi quelque chose de particulier et même de bizarre héritée probablement de la présence française chez nous : on ne peut pas devenir Général à moins de 45 ans, le Général Semengué ayant été le seul officier supérieur à qui a dérogé à cette règle non écrite. Il avait probablement 39 ans quand il est devenu Général. Depuis plus rien, alors qu’au Nigeria voisin on peut devenir Général à 35 ans, le général Yakubu Gowon ancien chef de l’Etat nigérian est passé par là. Ceci est aussi assez courant dans l’armée israélienne dans laquelle on peut être général à 40 ans.

Tableau de répartition

Noms et prénoms ............................... Département d’origine .............. Région d’origine

Général Baba Souley .............................. Djérem ........................................ Adamaoua

Général Camille Nkoa Atenga ................. Lékié .......................................... Centre

Général Hyppolite Ebaka ........................ Mbam et Kim .............................. Centre

Général Isidore Obama ........................... Mefou et Afamba ........................ Centre

Contre-amiral Joseph Fouda ................... Mefou et Afamba ........................ Centre

Général Philippe Mpay ............................ Nyong et Kellé ........................... Centre

Général Claude Laurent Angouand .......... Haut-Nyong ................................ Est

Général Mahamat Ahmed ........................ Logone et Chari .......................... Extrême-Nord

Général Simon Pierre Dagafounanssou ......Mayo Danay ............................... Extrême Nord

Général Youmba ..................................... Sanaga Maritime .......................... Littoral

Général Jean Calvin Momha .................... Sanaga Maritime .......................... Littoral

Général Douala Massango ....................... Wouri .......................................... Littoral

Général Sali Mohamadou ......................... Bénoué ....................................... Nord

Général Mohamadou Hamadiko ............... Bénoué ....................................... Nord

Général Ivo Yenwo Disencio .................... Bui .............................................. Nord-Ouest

Général Tumenta Chomu .......................... Ngoketunja ................................. Nord-Ouest

Général Pierre Njiné Djonkam .................. Haut-Nkam ................................ Ouest

Général Pierre Samobo ............................ Bamboutos .................................. Ouest

Général Roland Mambou Deffo ................ Hauts-Plateaux ............................ Ouest

Général Hector Tsemo .............................. Hauts-Plateaux ........................... Ouest

Général Esaïe Ngambou ........................... Noun .......................................... Ouest

Général Benoît Asso’o Emane .................. Dja et Lobo ................................ Sud

Général René Claude Meka ...................... Mvila ......................................... Sud

Général Mendoua ..................................... Mvila ......................................... Sud

Vice-amiral Ngouah Ngally ....................... Océan ........................................ Sud

Général Elokobi Njock ............................. Manyu ....................................... Sud-Ouest


16/09/2012
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