Après le rapt des Français:Boko Haram menace les étudiants camerounais au Nigeria

Cameroun/Après le rapt des Français:Boko Haram menace les étudiants camerounais au NigeriaFormation à l’étranger. Des étudiants camerounais du Nigeria piégés par Boko Haram .Plusieurs ont dû abandonner leurs études pendant que les plus téméraires restés au Nigeria s’exposent chaque jour aux frappes de Boko Haram  et  aux exactions des forces de sécurité. Parler la langue locale ou prendre la nationalité nigériane, astuces de recours demeurent un cache sexe redoutable. Reportage à Mubi et Maiduguri, dans le Nord Nigeria.
 
«Ils appelaient les gens par leur nom. Quand tu sors, ils te tuent. Ils ont transpercé la porte de notre chambre avec des balles avant de forcer l’entrée en donnant des coups de pieds. Mon grand frère a tenté de se cacher ils l’ont retrouvé et l’ont abattu. Moi, j’ai reçu une balle dans la poitrine, je me suis évanoui», raconte, les sanglots dans la voix, Emmanuel Hamza, étudiant à l’école fédérale polytechnique de Mubi, la capitale de l’Etat de l’Adamawa au Nigeria. Transporté d’urgence à l’hôpital, le jeune homme, né d’un père camerounais et d’une mère nigériane il y a 21 ans, subit des soins intensifs pendant un mois. A son retour, il devient membre de l’unique église du quartier épargnée par la folie meurtrière.
 
1er octobre 2012. Il est 22 heures à Uru Patuje, un quartier populaire de Mubi. Des individus armés de fusils mitraillettes font irruption dans les maisons. Ils tirent froidement à bout portant sur les hommes, mettent le feu dans les habitations de leurs cibles avant de fondre dans la nature. Bilan : une quarantaine de personnes tuées, en majorité des étudiants de l’école fédérale polytechnique, des maisons et une église réveillée incendiées.

La police parle d’un règlement de compte entre étudiants de l’école polytechnique qui se sont brouillés la veille au cours d’une réunion d’associations. La société civile y voit la main de la secte islamiste Boko Haram. Le pays, coutumier des scènes de violence extrême, est en émoi. La cible des assaillants est singulière, le mode opératoire inédit. 
 
Quatre mois après le drame. Sous sa chemise noire, Emmanuel traîne une grosse cicatrice sur la poitrine. L’impact des balles est encore visible sur la porte de sa chambre. Mubi est toujours quadrillé par des militaires appelés à la rescousse pour renforcer la sécurité. Des policiers à bord de pick-up patrouillent dans les rues, mitraillettes en main. Entre 21 heures et 5 heures du matin.

Certaines forces de l’ordre en profitent pour commettre des exactions. « Tu vois cette maison, son propriétaire a été abattu par des militaires parce qu’il faisait ronfler le moteur de sa voiture à l’heure du couvre feu », raconte Sidibi, la sœur de Emmanuel. Sous le choc, l’école polytechnique avait renvoyé ses étudiants à la maison pour un mois. Le temps de faire le deuil.

Plusieurs semaines après la reprise des cours, beaucoup manquent à l’appel. «Nous avons des étudiants camerounais, mais ils ne sont pas encore revenus alors qu’ils sont souvent les premiers après les trêves», indique un responsable de l’établissement. Avec la montée de l’insécurité, ils ne reviendront peut être plus jamais.
 
Mubi a beau être un foyer de tensions,  elle reste une ville d’extension de la secte islamiste. C’est à Maiduguri que Muhamed Yusuf, un musulman trentenaire, crée en 2002  le Boko Haram pour exiger l’application de la charia dans les Etats du nord Nigeria. Contredit sur sa démarche au cours d’un débat médiatisé, Yusuf décide de s’en prendre désormais aux musulmans modérés et aux biens publics. Arrêté en 2009, il est tué par ses geôliers selon les autorités.
 
Malgré ce coup, les adeptes de la secte devenue organisation terroriste sèment toujours la terreur. Déjà plus de 3000 morts. Et ça continue. «Cet endroit est très dangereux. Même si on me donne 5000 nairas, je ne peux plus mettre mon pied à Maiduguri. Fais attention », me prévient un Nigérian. Baptisée « home of peace », la capitale de l’Etat du Borno est aujourd’hui la ville la plus redoutée du Nigeria à cause de l’insécurité. Beaucoup hésitent à s’y rendre. Ils n’ont peut être pas tort.
 
A la sortie de Mubi ce jeudi, la circulation est au ralenti. C’est la première barrière de contrôle. Des militaires en treillis, casques vissées sur la tête, mitraillettes et kalachnikovs en main, passent en revue voitures et tricycles. De Mubi à Maiduguri, un tronçon long de 170 Km jonché de nids de poules, il faut braver 18 barrières de contrôle faites de tronc d’arbres, de fûts et de sacs bourrés de sable. Assis sur des pick-ups ou discrètement enfouis dans les herbes sèches, des soldats gardent le doigt sur la gâchette.

Face à la menace terroriste, le gouvernement du Nigeria a sorti les muscles. Les passagers sont impressionnés. Pourtant, ce dispositif sécuritaire ne dissuade pas le Boko Haram qui a commis son dernier attentat en décembre 2012 contre un commissariat de la ville.
 
Des militaires rackettent  
 
Ce déploiement n’éloigne pas non plus le racket des hommes en tenue. « Tu es passé hier sans donner de l’argent, alors tu vas payer le double, donc 100 nairas », dit un militaire à notre chauffeur qui s’exécute sans broncher. Et ce sera ainsi dans plusieurs postes. Là où certaines forces de l’ordre au Cameroun, un autre champion du monde de la corruption, observent parfois quelque pudeur, leurs homologues nigérians utilisent la brutalité.

« Mon ami, on ne discute pas ici. Tu es un étranger. Ça fait 500 nairas seulement ou je rature ton visa avec un stylo », me lance froidement un jeune militaire à visage couvert devant passagers et collègues de marbre. Au Nigeria, la corruption est un mode de vie. Elle va de soi. Le chauffeur intervient. Quelques mots en langue Hausa calment les ardeurs de l’homme en tenue. 

 
Quatre heures plus tard. Je lis «welcome to Maiduguri» sur le fronton de la ville. Et des souvenirs d’une ville chaleureuse qui hébergeait le jeune étudiant que j’étais, remontent en surface. Dix années sont passées. A quelques exceptions près, la métropole garde sa promiscuité, sa pollution intense de l’air, ses mendiants sans oublier ses sempiternels délestages.

En plus désormais, enlèvements, attentats, assassinats, se greffent au tableau sombre. «On retrouve des agents de renseignements parmi les étudiants, les conducteurs de tricycles, les badauds, bref partout. Dès qu’on t’arrête, tu as une mince chance de vivre. Même les commentaires entre copains sont brefs et précis. Tout le monde est suspect. En dehors des courses et les cours, je m’enferme pendant mes heures libres », confie  Moustapha, étudiant en médecine humaine à l’université de Maiduguri.
 
A son arrivée en 2004, environ quatre vingt étudiants camerounais bombaient le torse ici. En 2011, ils n’étaient plus qu’une dizaine. Aujourd’hui, Moustapha reste le seul. Même le chef de la communauté qui passait de maisons en maisons pour mobiliser les téméraires est tombé. « Dans une maison voisine à sa chambre, les islamistes ont tué les parents et laissé les enfants à leur propre sort. Mathias a hébergé ces enfants en attendant la réaction des familles. Les islamistes sont revenus pour le fusiller au bras et au pied gauche. Son fils l’a amené d’urgence à Jos en promettant que son père ne mettra plus pied ici», se souvient Moustapha.
 
A Maïduguri. La nationalité comme bouée de sauvetage
 
L’insécurité, la peur de la mort est à l’origine de la fuite massive des étudiants. Les fouilles n’épargnent personne. Le Boko Haram frappe sans avertir. Les forces de l’ordre tuent sans sommation,  ni procès... la langue (Haoussa) et la nationalité nigériane pour sauver.
 
Il y a quelques années, trois journalistes voulaient enquêter sur les exactions de l’armée, deux ont été tués, un enlevé. Les Ong et les médias dénoncent régulièrement les abus des forces de sécurité. Le gouvernement fédéral reste impassible. Pour repousser les murs de la suspicion, Moustapha,  le natif de Foumban, s’est mis au Haoussa, principale langue d’échange de la ville. « Quand tu ne parles pas le Haoussa, les gens commencent à se poser des questions sur ton identité. C’est pas bon signe. Les services de renseignements surveillent tes mouvements. En parlant comme tout le monde, tu te fonds dans la foule. On prend juste des précautions».
 
Les astuces des étudiants camerounais ne s’arrêtent pas à l’apprentissage de la langue Haoussa. Certains ont acquis la nationalité nigériane sans renier leur nation d’origine. Très effacés, ils refusent même de se mettre avec leurs compatriotes. C’est le cas d’Amadou, 19 ans. Inscrit en année préparatoire dans un institut de la ville, il savoure les avantages de la double nationalité.

Mode d’emploi. « Je fréquente comme nigérian, ça coûte moins cher que lorsque tu t’inscris comme étudiant étranger. Quand je voyage, je présente ma carte d’identité nigériane, les policiers ne me dérangent pas. Dès que je franchis la frontière, je circule avec mes papiers camerounais pour éviter les tracasseries». La nationalité nigériane en moins de deux mois. Comment en est-il arrivé là si facilement ? «Pourquoi me demandes-tu cela ? Je ne peux rien te dire, c’est mon grand frère qui a tout fait ». Il n’en dit pas plus.
 
Comme Mustapha et Emmanuel, Amadou parle couramment le Haoussa, comme pour ajouter un plus à sa nationalité nigériane. Malgré ces précautions, personne ne peut prévoir la durée du temps de grâce,  car, dans le Boko Haram Land,  tout peut arriver à tout le monde à tout moment 

© Le Messager : Christian Locka


01/03/2013
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