Après des années de prison: Ces détenus attendent le verdict du tribunal

DOUALA - 28 Mars 2012
© HUGO TATCHUAM | Dikalo

Derrière les barreaux de la prison de Bafang, parfois depuis quinze ans, ils ne connaissent toujours pas le verdict du tribunal. Ces détenus accusent les lenteurs de la justice.

A chaque fois que des prisonniers sont extraits de la prison de Bafang pour passer devant le tribunal, ils ont le cœur au bord des lèvres. Son nom sera-t-il sur la liste? Saura-t-il enfin à combien d'années de détention il est condamné? Du fond de sa cellule, Claude Mbesso attend depuis 14 ans le verdict de son procès. Accusé de vol aggravé, il est passé plusieurs fois devant le juge «et puis, plus rien!». «Mon dernier jugement date depuis de nombreuses années. A l'heure où je vous parle; je suis toujours prévenu dans ce dossier là. Je ne connais pas ma situation», regrette-t-il.

Elvis Lakeu Djeuka approche de sa quatrième année de prison, et lui aussi, il attend toujours le verdict du tribunal. «J'ai comparu plusieurs fois à la barre. Mon affaire a été mise en délibéré. Jusqu'à présent je ne fais qu'attendre», se plaint-il. Quatre ans d'attente également pour son compagnon de cellule, Jacques-Yves. «Je suis passé devant le juge il y a de Cela 3 ans, et jusqu’à présent aucune décision me concernant n'est jamais parvenue à la prison». La répétition des passages devant le juge n'est pas un bon indicateur de l'avancée d'un procès. «J'ai comparu dix sept fois. J'ai été jugé. Mon affaire a été misé en délibéré et, depuis, plus rien!», dénonce encore Siebetcheu Barthelemy, en prison depuis bientôt trois ans. Manque de magistrats et d'avocats «Plus rien!», s'exclament à chaque fois ces détenus qui dénoncent les lenteurs judiciaires à Bafang. Le régisseur de cette prison fait la même lecture que ses pensionnaires, tout en tentant de dédouaner les magistrats. «Il faut tenir compte du nombre insuffisant des magistrats en charge des dossiers. Le nombre élevé de ces derniers ne donne pas la possibilité aux magistrats d'aller au fond d'une affaire pour pouvoir en tirer une conclusion», explique le régisseur. «S'il y avait suffisamment de personnel à la magistrature, un nombre précis de dossiers mis à la disposition de chaque magistrat, ce serait formidable».

Le manque de conseils et d'assistance judiciaire aux détenus compliquent encore la situation des détenus. La ville de Bafang ne compte pas d'avocats et se contente de quelques mandataires. Les avocats viennent de Bafoussam, Nkongsamba, Douala ou Yaoundé pour assister leurs clients. Autrement dit, obtenir un conseil est réservé aux détenus nantis. «Si un dossier est bien suivi par un mandataire ou un avocat, il évolue. Ceux dont les dossiers traînent depuis dix ans ne sont pas assistés», indique maître Christophe Monthe.


Loin du compte...

Cet avocat refuse de généraliser. «On ne peut pas dire qu'à Bafang la procédure judiciaire est lente. Il faut prendre le dossier de chaque individu pour voir ce qui ne va pas», explique-t-il. L'homme de droit soutient qu'un dossier peut être renvoyé pour complément de pièces. «Ce n'est pas le tribunal qui doit produire les pièces en question, mais bien celui qui postule. Si, dans un dossier, il y a un problème d'identification, on va renvoyer l'affaire...», précise Christophe Monthe. Il poursuit: «Que chacun essaie de se faire assister par un avocat et demande à rencontrer le président du tribunal ou le procureur afin d'exposer sa situation. Après examen, l'affaire sera décantée...», assure-t-il avec beaucoup d’optimisme.

Son confrère du barreau de Douala, Maître Ashu Agbor, estime par contre que les personnes longtemps détenues, sans être condamnées, doivent être libérées. Il leur conseille de saisir pour cela le juge de l'habeas corpus (1). «Parce que le code de procédure pénal a clairement établi à six mois, renouvelables deux fois en cas extrême, la période la plus longue qu'une personne doit passer en détention provisoire». A Bafang, Claude, Elvis, Jacques-Yves et bien d'autres sont loin du compte...


HUGO TATCHUAM (JADE)

(1) «Habeas corpus» «signifie «reste maitre de ton corps». Ce droit à la liberté individuelle de tout citoyen est né en Angleterre pour protéger le sujet contre les arrestations arbitraires et les détentions illégales. L'article 584 du code de procédure pénale stipule en son article 584 que «Le président du Tribunal de Grande Instance du lieu d'arrestation ou de détention d'une personne, ou tout autre magistrat du siège dudit Tribunal désigné par lui, est compétent pour connaitre des requêtes en libération immédiate, fondées sur l'illégalité d'une arrestation ou d'une détention ou sur l'inobservation des formalités prescrites
par la loi.. La requête est formée soit par la personne arrêtée ou détenue, soit au nom de celle-ci par toute autre personne. Elle n'est pas timbrée».



29/03/2012
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