Après Biya: L'analyse des lobbies politiques

Yaoundé, 15 Novembre 2013
© Mutations

L'intégralité du télégramme de l'ambassadeur des Etats-Unis au département d'Etat, signé le 11 mars 2008.

PAR JANET GARVEY

CLASSÉ PAR POLOFF TAD BROWN


1. (S) Résumé. Le Président Biya a raison de croire que de puissants barons politiques ont agi dans la manipulation des frustrations politico-économiques véritables des populations afin de cultiver l'instabilité dans plus de 30 villes camerounaises pendant la semaine du 25 Février (réf a). Parmi les récits de conflit dont les ministres sont des conspirateurs ou des loyalistes et des rapports de mystérieuses fourgonnettes blanches distribuant de. l'argent pour motiver les agitateurs, il y a un élément de vérité: l'apparent système monolithique qui gouverne le Cameroun - le gouvernement, le parti au pouvoir et même le groupe ethnique Beti de Biya est en fait infesté par des réseaux politiques ombrageux et changeants, se rivalisant subtilement mais significativement, aspirant à prendre avantage dans la compétition pour remplacer ou succéder à Biya. Ces «plaques tectoniques» politiques sont trop obscures pour être définies de façon définitive mais cette correspondance vise à dégager ce que nous avons perçu comme étant leurs contours, aider les décideurs à comprendre et réagir aux mouvements qui déterminent l'évolution politique du Cameroun.

2. (S) Le courrier représente la chose sous la forme de deux grands groupes d'imposants Camerounaise qui recherchent activement à prendre le dessus dans la détermination du cours des choses au Cameroun après Biya, groupe que nous avons désigné suivant les euphémismes locaux : à savoir les Aînés et les débutants. Par ailleurs, nous constatons que plusieurs hautes personnalités restent en marge de ces deux groupes soit à cause de leur loyauté indéfectible soit parce qu'elles sont impliquées dans les manœuvres politique étant plus intéressés par la poursuite de leur enrichissement personnel ou par leur travail. Nous désignons ces deux derniers groupes les Fidèles et les isolés.


Les Aînés

3. (S) le groupe des Aînés est caractérisé par des leaders nationaux âgés, dont quelques-uns ont participé au gouvernement depuis l'ère Ahidjo, qui font des projections pour l'après-Biya mais qui ne voudraient pas précipiter les événements. Peut-être, plus que tout autre chose, le facteur unifiant pour tous ces Aînés est-il leur désapprobation accentuée du groupe plus radical et affamé de pouvoir des débutants. Les Aînés sont plus légalistes, avec une plus grande compréhension des responsabilités de la gouvernance et de l'homme d'Etat. Il privilégie la stabilité et la prévoyance et se contente de suivre le programme de Biya et vraisemblablement cherche à obtenir sa bénédiction pour lui succéder. Le vice-Premier Ministre et Ministre de la justice est le plus important dans ce groupe et également le candidat le plus probable pour la succession, et la poursuite par Ali des hautes personnalités et des hommes d'affaires corrompues («liste d'Ali» ref c) était le premier indicateur de la disharmonie au sein de la classe gouvernante camerounaise.

Nous notons que Philémon Yang, Secrétaire Général Adjoint à la Présidence, fait partie de ce groupe (et serait un successeur probable d'Inoni si ce dernier est démis). Nous croyons que deux anciens Premiers ministres anglophones, à savoir Simon Achidi Achu et Peter Mafany Musonge appartiennent au groupe des Aînés. D'autres membres probables de ce groupe seraient : le Général Benoit Emane Asso'o (actuellement hospitalisé en Afrique du Sud) et René Claude Meka Chef d'État-major des Forces Armées, tous les deux dédaignant, dit-on, le Ministre de la défense Ze Meka. Nous croyons que le patron de la Gendarmerie nationale Oumarou Djam Yaya, un nordiste, fait partie des supporters du groupe des Aînés dans les Forces Armées.


Les jeunes premiers

(Les Parvenus)


4. (S) Bien que ce groupe comporte également un nombre des vétérans du gouvernement, les Jeunes Premiers sont un ensemble de personnalités puissantes qui sont caractérisées par leur relative jeunesse, leur corruption spectaculaire et leur impatience face à la durée au pouvoir de Biya. Ce groupe est davantage ancré dans l'idée de forcer la main à Biya (et peut-être de l'évacuer de la scène) afin d'assurer leur ascendance. Nous croyons que ce groupe représente la réalité que la presse camerounaise à identifier (mais sans jamais assez de précisions) comme étant une clique de hautes personnalités cherchant à préparer l'après-Biya 'et qu'elle a appelé G1l (en référence à 2011 année ou cette génération espère prendre le pouvoir.

5.(S) l'ancien Ministre des finances Akame Mfoumou, qui fut rapidement démis de ses fonctions suite à trop de spéculations alléguant qu'il était le successeur favori de Biya est une probable éminence grise du groupe, puisqu'un certain nombre de ses membres supposés, spécialement l'ancien Ministre des Finances et champion de la corruption, Polycarpe Abah Abah, est arrivé au pouvoir sous son patronage. Parmi les membres du gouvernement actuels, les Jeunes premiers comptent au moins un puissant membre le ministre de la Défense, Rémy Ze Meka. Biya a démis de leurs fonctions une portion importante des jeunes premiers qui se trouvaient dans son ancien gouvernement lors de son remaniement ministériel de septembre 2007, parmi lesquels : l'ancien ministre des Finances Polycarpe Abah Abah, l'ancien ministre et secrétaire général à la présidence, Jean-Marie Atangana Mebara, l'ancien ministre de la Santé Urbain Olanguena Awono et l'ancien ministre de la de Communication Gervais Mendo Ze.

6. (S) les Jeunes premiers comptent principalement en leur sein de puissantes personnalités Beti ayant vaincu la peur que Biya sera forcé de passer le témoin à un successeur non-Beti. Le Général Roland Mambote Deffo, chef de la sécurité interné de la Gendarmerie au Ministère de la Défense et d'origine ethnique Bamiléké, est supposé appartenir au groupe des Jeunes premiers. Il existe des connections énigmatiques entre Yves Michel Fotso le fils du milliardaire autodidacte Victor Fotso et actuel chef de l'empire de la commercial Bank of Cameroun (CBC) et des membres leaders des Jeunes premiers parmi lesquels Abah Abah (qui a géré au moins deux opérations de corruption à travers la CBC Bank) et Ze Meka qui a été vu en compagnie régulière avec Fotso.

Ze Meka en particulier qu'ils ont étés à l'origine des rumeurs en octobre 2007 d'un coup d'Etat programmé (ref b) qui a conduit à l'arrestation d'aux moins une douzaine d'officiers militaires originaire du Nord. Par ailleurs, on dit de Ze Meka qu'il a été notoirement rétif aux ordres de Biya lui demandant de rétablir la stabilité face aux violents soulèvements de la semaine du 25 Février conduisant de nombreuses personnes à spéculer que soit lui-même, soit ses alliés ont joué un rôle en fomentant les troubles (ref e).


Les Fidèles

7.(S) En quelque sorte la distinction entre les Fidèles et les Aînés pourrait être artificielle mais nous observons que certaines hautes personnalités se sont associées si loyalement à Biya qu'elles ne pourraient pas entretenir la Pensée de participer à une projection de l'après Biya. Le secrétaire général a la Présidence, Laurent Esso semblent être le prototype de cette position. Nous croyons qu'il est complètement corrompu, relativement anti américain et pro-français et essentiellement conservateur. Esso semble être notoirement apolitique ce qui peut être explique pourquoi Biya l'amène à la présidence lors du remaniement ministériel de septembre 2007, Ama Tutu Muna, ministre de la Culture et contact rapproché de l'ambassade s'est révélée être une admiratrice fidèle et indéfectible du président Biya. Bien qu'issue d'une famille prestigieuse et historiquement politique, Ama Muna elle-même est arrivée en politique en passant par le secteur privé. Dans une récente conversation avec l'Ambassadeur elle a loué Esso et maudit les membres leaders des Jeunes Premiers. Nous pourrions concevoir qu' Ama Muna rejoigne les Aînés sauf que sa louange pour Esso ne cadre pas avec les commentaires des homologues d'Ali qui fustigent Esso et elle semble ne pas être disposée à calculer l'après Biya. Le secrétaire général du parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique du peuple Camerounais (Rdpc), René Sadi est régulièrement mentionné comme le conseiller le plus écouté de Biya.

Biya a rejeté les spéculations d'après lesquelles Sadi était son successeur favori lors d'une conversation antérieure avec l'ambassadeur, mais Sadi est probablement plus proche de Biya plus que tout autre membre du parti en compétition.

L'ambassadeur Martin Belinga Eboutou, récemment ramener des Nations Unies pour devenir conseiller spécial à la présidence est aussi considéré comme un confident de Biya. Longtemps absent de la scène, Belinga est probablement plus loyal à Paul Biya qu'à un quelconque réseau parmi ceux en compétition et il est peut-être l'un des conseillers les plus écoutés du moment. Un autre conseiller du président, Foumane Akame, le grand frère de Akame Mfoumou (l'éminence grise des Jeunes Premiers) est considéré comme étant fidèle à Biya et se trouve en désaccord ouvert avec le complot de son petit frère.


Les non Alignés

8. (S) Nous ne croyons pas que toutes les hautes personnalités soient impliquées dans cette bataille. Quelques-unes sont trop professionnelles, concentrées à remplir leurs missions ou corrompues, concentrées à voler ce qu'elles peuvent à court terme, pour s'impliquer dans les batailles politiques de l'heure, Tout nouvellement rentrer de son travail avec le Fmi à Washington, D.C le Ministre des Finances Essimi Menye a été recruté pour ses qualifications et compétences plus que pour son esprit partisan ou sa loyauté. Essimi Menye a dit à l'ambassadeur qu'il soutenait les efforts de Biya pour changer la Constitution dans l'espoir que cela estomperait la bataille pour la succession au pouvoir que Essimi Menye qualifie de distraction par rapport "à des questions plus importantes. De la même manière Fuh Calistus Gentry, Secrétaire d'Etat au Ministère des Mines a été amené dans la classe des ministres de septembre 2007 pour son expertise technique.

(Full a une carrière distinguée dans le secteur privé des mines.) Fuh est originaire de la province du Nord-Ouest et vraisemblablement présente de hautes ambitions politiques mais ne s'est pas encore élevé au niveau où il pourrait être recrute par 'l'un ou l'autre camp en compétition.


Et que dire de ces autres?

9 (s) Jean-Baptiste Bokam, Secrétaire d'Etat au Ministère de la Défense en charge de la Gendarmerie le fait qu'il serve avec Ze Meka dans le Ministère de la Défense (un Ministère sensible ou Biya place des individus qui peuvent s'entendre plutôt que se frotter entre eux) plaide que Bokam n'est pas un membre des Jeunes premiers mais sa présence sur la suggère qu'il n'est pas non plus dans le camp d'Ali. On le croit corrompu et grossier (d'après un commentaire de l'Observateur Camerounais des crimes financiers) son statut comme un des rares natifs de la province de l'Est disposant d'un pouvoir national pourrait le conduire à figurer parmi les fidèles demeurés loyaux à Biya jusqu'à ce que le président ait indiqué à ses soins les étapes à suivre.

10.(s) Ephra1m Inoni, Premier Ministre : Mont est généralement considéré comme étant beaucoup plus un technocrate qu'un politicien, mais les rapports croissants sur sa supposée corruption suggèrent qu'il devient progressivement une personnalité polarisante de l'attention publique.

La querelle entre lnoni et Abah Abah était personnelle et passionnée et des sources rapportent que Ali a tenu boni en dehors de la «liste des milliardaires», parce que Ali est ami de boni (qui a travaillé pour Ali à la Présidence). Des rumeurs montantes qui signalent que lnoni sera éjecté du prochain remaniement Ministériel pourraient toutefois obliger Muni à s'allier (s'il ne la pas déjà fait) avec quiconque pourrait mieux protéger selon lui ses futures intérêts.

11 (s) Hamidou Yaya Marafa, Ministre de l'Administration Territoriale et de la décentralisation: Marafa avait précédemment confié à l'Ambassadeur ses ambitions de devenir président mais il est difficile de savoir pour quel camp il penche dans cette bataille. Marafa, dit-on, était furieux lorsque Ali l'a inclus dans la liste des hautes personnalités à investiguer et Ali a spécifiquement cité Marafa comme objet d'intérêt lors d'une conversation privée avec Marafa dans le même groupe que Abah Aboli, Mebara, hésitons à inclure Marafa dans le groupe des Jeunes Premiers parce qu'il ne s'alignerait probablement pas avec ces alligators plus radicaux et à leurs propres services, et son statut de Nordiste aux ambitions nationales (ce qui représente un anathème pour les Beti qui pensent qu'un président issu du Nord cherchera à se venger contre les Beti relativement aux conséquences du coup d'Etat de 1984) fait de lui tout au moins un probable associé des Jeunes Premiers Beti domines.

12.(S) A. E. Mebe Ngo'o, Délégué Général à le Sûreté Nationale (DGSN) il court un débat d'après lequel Mebe Ngo'o et Abah Abah (originaires du la même ville natale, Zoétélé, dans le pays Beti) sont aussi de gros voleurs et sont à couteaux tirés. La presse rapporte que ces deux là passent le temps à se discréditer l'un et l'autre et des sources depuis Zoétélé nous racontent que Mebe Ngo'o pronostique une sortie d'Abah Abah du gouvernement ce qui veut dire que !vielle Ngo'o n'est pas prêt à s'associer avec les Jeunes Premiers. En tant que Beti toutefois, Mebe Ngo'o n'est pas susceptible de faire équipe avec les Aînés qui ont un Nordiste, Ah, comme adversaire numéro un dans le leadership national

13.(C) Grégoire Owona Certaines sources placent Owona parmi les parvenus à Ali a inclus Owona dans sa liste, ce qui suggère que Owona ne jouit pas du soutien d'Ali. La réputation de Owona en tant que relativement progressiste et sa place en tant que personne ressource pour l'agenda de Biva relatif à la réforme de la Constitution vous incite pas à le placer parmi les Parvenus.


Ethnicité

14.(C) Malgré la vantardise des Camerounais qui prétendent que la trop grande diversité ethnique leur pays puisse les préserver de toutes manipulations tribales à l'échelle nationale, la réalité est que l'ethnicité joue un rôle central dans toutes ces batailles de pouvoir. D'après une analyse, le Cameroun disposerait de 200 groupes ethniques qui finalement peuvent être réduis 03 principaux: les Beti - Bulu (dans les Provinces du Centre et du Sud) ; ils ne sont pas nombreux mais sont puissants et riches au-delà des limites tout au long du règne de Biya); les Nordistes (qui sont nombreux, relativement Mais pas totalement unis et qui ont une expérience dans la gestion du pays) et les Basileus qui apparemment détiennent peu de pouvoir politique mais sont supposés contrôler l'économie nationale). Atour de ces 03 groupes, prétend cette théorie, les plus petits groupes ethniques s'aligneront d'eux-mêmes à l'un des grands groupes émergents, suivant vraisemblablement le membre national le plus persuasif de leurs propres groupes. Au-dessus de toute autre considération, on dit des leaders Beti qu'ils s'accordent pour que le, Nordistes ne puissent pas être autorisés à succéder Biya, de peur que cela ne déclenche des désirs de vengeance relatifs à la violence d'après 1984 et des procès persécutions des Beti pour leur excès de corruption.


Où se trouvent les intérêts du Gouvernement des Etats Unis?

15.(S) Tout effort visant à deviner les intention des opérateurs politiques Camerounais les plus intelligents ne peut aboutir qu'à soulever autant de question., que de réponses; notre objectif fondamental est d'esquisser une construction pouvant aider les décideurs à naviguer dans les eaux turbulentes de la politique de pouvoir au Cameroun. Le prochain remaniement ministériel de Biya sera probablement décisif et des indications annoncent qu'il s'oriente déjà à affaiblir groupe des Parvenus. Le remaniement du 07 septembre a écarté plusieurs d'entre eux elle RUMINT indique que Biya est au courant et très vexé par les machinations de Ze Meka. Ceci est vraisemblablement une bonne nouvelle pour le Cameroun et les intérêts américains puisque Ze Meka, Abah Abah et consorts avaient déjà affiché leur volonté déterminée à saccager le trésor et saboter l'appareil sécuritaire national dans la pour¬suite de leurs objectifs personnels. Néanmoins, nous ne devons pas prendre le conservatisme des aînés pour l'illumination ou la droiture. A long terme, notre intérêt consistera à déplacer cette bataille politique sur la sphère publique et l'aptitude des Camerounais à choisir les leaders de leur pays. A court terme, notre intérêt consiste à renforcer ceux qui sont susceptibles de mener le Cameroun vers un futur plus stable mais aussi plus démocratique et plus prospère.


15/11/2013
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