Angoisse: Paul Biya, un homme de plus en plus seul

Cameroun/Angoisse: Paul Biya, un homme de plus en plus seulMême s'il est tout le temps entouré d'une pléthore de collaborateurs, de gardes du corps, d'admirateurs et de courtisans, le chef de l'Etat voit le vide se faire autour de lui.

Un être retrouvé, un autre perdu à jamais. Le 10 septembre, le chef de l'Etat, triomphant, rentre d'un «court séjour privé» accompagné de son épouse. Il met fin à quelques mois de rumeurs au sujet de l'absence de Mme Chantal Biya, qu'on n’avait plus aperçue en public au Cameroun depuis mars et que des Parisiens rencontraient sur les Champs Elysées ou à Neuilly, quartier huppé de la capitale française.

A l'Est pour poser la première pierre du barrage de Lom Pangar, M. Paul Biya avait promis aux chefs traditionnels locaux de la ramener. Son bonheur sur le tarmac de l'aéroport de Nsimalen n'est donc pas feint. Mais il ignore qu'un malheur l'attend. Moins de deux semaines plus tard, le 21 septembre, son frère aîné, chef de sa famille depuis le décès de son père Etienne Mvondo Assam en 1956, décède des suites d’une longue maladie après avoir été victime d’un accident de la circulation survenu 14 mois plus tôt. M. Benoît Assam Mvondo était l'aîné des quatre garçons d'Anathasie Eyenga, la mère de Paul Biya, qui eut neuf enfants.

M. Benoît Assam Mvondo, devenu catéchiste, était le père que M. Biya n'avait pas eu le temps de connaître, car il n'a que 23 ans quand son géniteur décède. Sa sobriété et son détachement des choses du monde lui ont donné la légitimité du patriarche, que les frasques d'un de ses fils, M. Bonaventure Mvondo Assam, député, n'ont pas entamé. Son décès et le cérémonial construit autour contrastaient donc avec l'homme et apparaissent plus comme l'étalon de mesure de la peine présidentielle.

Pendant ses séjours à Mvomeka’a, son village natal, il ne reste plus à M. Paul Biya beaucoup d'interlocuteurs tels qu'il les aime. A bientôt 80 ans, Celui qui est au pouvoir depuis presque 30 ans n'a plus beaucoup d'amis, et regarde partir les derniers dans une grande douleur, à la hauteur de sa défiance vis-à-vis des jeunes générations, qui lui imposent plus de vigilance dans la gestion des affaires de l'Etat.

En effet, ces jours, le palais d'Etoudi parait bien grand et bien vide à M. Paul Biya quand vient le moment de parler du sens de l'Etat et de la défense de la République, comme à la suite de la démission du président Ahidjo en novembre 1982. M. Joseph Charles Doumba est encore vivant, mais il ne compte plus comme quand il poussait le jeune président Paul Biya à tenir tête à son prédécesseur. Il avait pris l'habitude, dès la révision constitutionnelle qui faisait du Premier ministre le successeur, d'appeler Paul Biya «Monsieur le Président».

Ce qui n'échappait pas à un Ahidjo aux longues oreilles. Ainsi quand des délégations se constituent, entre le 4 et le 6 novembre 1982, pour demander au président démissionnaire de ne pas quitter le pouvoir, M. Joseph Charles Doumba s'en arrache les cheveux. Au point où M. Ahmadou Ahidjo confiera: «Je savais que Joseph Charles Doumba était pro-Biya, mais pas à ce point». M. Moussa Yaya Sarkifada n'est plus là pour s'agacer de l'omniprésence d'Ahidjo sur la scène publique après sa démission.

Le Général Semengue, le Zorro du 6 Avril, est en deuxième section de l'armée et s'occupe désormais de football. M. Florent Etoga Eily n'est pas mort mais il est en marge des affaires de l'Etat, très loin de son camarade du séminaire d'Akono, du Lycée Général Leclerc et de Paris. M. William Aurelien Eteki Mboumoua a viré à l'humanitaire, M. Mbella Mbappe n'a plus été vu en public depuis fort longtemps. M. Georges Ngango, «son ami économiste», n'est plus là.

M. Thomas Melone n'appellera plus M. Biya de son surnom, «le filandreux». MM. Philippe Mataga, Gilbering Bol Alima, Etienne Ntsama, Gilbert Andze Tsoungui et Mme Elisabeth Tankeu ne sont plus là pour manœuvrer. Grosso modo, ceux qui ont aidé Paul Biya à asseoir son pouvoir et ses compagnons d'études, qui ont offert au Renouveau le visage séduisant du milieu des années 80, ont quasiment quitté la scène, emportés par la mort ou écartés par celui qu'ils prétendaient servir, a l'exemple de M. Pierre Désiré Engo, actuellement en prison.

Puis, M. Paul Biya s'est tourné vers d'autres personnalités, des technocrates dont il pense qu'ils se préoccuperont plus de travailler que de faire la politique. Viennent donc les agrégés d'université: MM. Joseph Mbede, Joseph Owona, Joseph Mboui, Ebenezer Njoh Mouelle, etc. dont aucun n'occupe plus de hautes fonctions. Certains comme M. Njoh Mouelle, premier secrétaire général du Rdpc, ou le Pr. Joseph Owona, ancien secrétaire général de la présidence de la République, ont été très proches de M. Biya. M. Joseph Owona disait: «Même planton, je dois être aux côtés du Président».

Il ne pense sans doute plus la même chose aujourd'hui, et M. Paul Biya ne lui manifeste plus un certain intérêt. Et M. Njoh Mouelle a été ministre de la Communication moins d'un an. A chaque fois, la fin de la collaboration a été douloureuse, en tout cas le président de la République semblait manifester une certaine déception.

A terme, M. Biya donne l'impression d'avoir procédé à un casting sur la base de critères qu'il est seul à avoir mis en place. Peut-être cherche-t-il des hommes et femmes qui lui ressemblent, c'est-à-dite des personnalités que la chronique ne mêle à aucun scandale, qui parlent peu ou pas du tout, mais qui peuvent manœuvrer à son bénéfice. Pour ce faire, il a parfois tourné en rond, ressuscitant des fossiles, comme son premier chef de protocole, M. Jean-Baptiste Beleoken, dont il a fait son directeur de cabinet civil plus de 20 ans après.

Il lui arrive de demander son avis à M. Edouard Akame Mfoumou, reconverti en business farmer après avoir été SGPR et Minefi. Ces perles rares du Président, il ne s'en sépare plus jamais pour longtemps. Ainsi de M. Martin Belinga Eboutou, qu'il envoya aux Nations unies quand le Cameroun devait présider l'Assemblée générale, en pleine seconde guerre d'Irak en 2003, et qu'il ramena près de lui sitôt la mission accomplie.

Dans le même registre, on peut citer M. Jean Foumane Akame compagnon de l'école primaire de Nden, son actuel conseiller Juridique. Il est au cœur de l'opération Epervier, un des marqueurs actuels du régime Biya. M. Jean Nkuete, secrétaire général du Rdpc, répond au profil et MM. Luc Ayang et Cavaye Yeguié Djibril ont sa confiance.

Le sultan des Bamoums a peu à peu perdu son rang, surtout après sa prise de position controversée sur la révision constitutionnelle d'avril 2008. Sa majesté Ibrahim Mbombo Njoya avait déclaré qu'une modification de la Constitution ne doit pas servir à confisquer le pouvoir. Depuis lors, et à cause d'autres reproches, il est tenu loin du président de la République, toutes ses tentatives pour se rapprocher à nouveau de lui étant anéanties par le protocole, comme à Mvomeka’a, pendant les obsèques du frère de M. Paul Biya.

Ils ne sont donc plus nombreux à se prévaloir comme M. Remy Ze Meka aujourd'hui d'être un partenaire de discussion et de détente du président de la République.

L'ancien Mindef a remplacé M. Ferdinand Léopold Oyono, décédé le 10 juin 2010, qui fut sans doute le plus proche compagnon de M. Biya de ces dix dernières années. Avant lui, c'est M. René Owona, ancien secrétaire général adjoint de la présidence, mort en 2004, privant ainsi le Président d'une épaule sur laquelle il aimait s'appuyer. Le général Benae Mpecke s'en est aussi allé, trois ans après M. Owona, le 27 février 2007 après une éternité auprès du chef de l'Etat comme chef de son état-major particulier, mais surtout homme de confiance et des secrets.

Deux ans avant, M. Joseph Tsanga Abanda, qui se présentait comme l’«ami» du Président et qui avait siégé deux fois comme ministre, décédait, exactement le 2 décembre 2005. Et la liste est bien longue des amis et proches de Paul Biya qui recevaient ses confidences et n'étaient pas que perçus comme des collaborateurs.

En décidant, sous les conseils de M. Jean-Marie Atangana Mebara, ancien SGPR, de s'entourer de la jeune garde composée de MM. Séraphin Magloire Fouda ou Luc Sindjoun, le Président a semblé donner un-nouveau cap. Mais, à la vérité, seule leur intelligence l'intéresse. Il préfère toujours la compagnie des «anciens». Comme à l'époque Albert Cherel Mva, intime parmi les intimes et obscurs conseillers qui pourtant soufflait régulièrement des noms de futurs ministres ou gérait les dossiers sensibles et personnels du Président, décédé le 15 octobre 2008.

Et il en manque de plus en plus. Dans la solitude de son bureau à Etoudi, Paul Biya regarde le bal de ses courtisans l'air désabusé, tant il en a vu. Mais plus ils font la danse du ventre, plus il se sent bien seul.

© Repères : Parfait N. Siki



11/10/2012
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