Coupables de grosses bourdes, les ministres et autres personnalités politiques camerounaises ne sont pas inquiétés.
Henri Eyébé Ayissi
Les réactions indignées n’arrêtent pas d’affluer depuis la publication de « l’appel des élites de la Lékié ». Emmenées par le ministre délégué à la présidence de la République chargé du Contrôle supérieur de l’Etat, Henri Eyébé Ayissi, ces élites se sont réunies le 31 août dernier à Obala et ont signé un texte dans lequel elles indexent les « complices de Boko Haram, principalement dans les régions septentrionales du Cameroun » notamment parmi certains « barons du septentrion ».
Une stigmatisation qui a du mal à passer au moment où la lutte contre la secte islamiste fait rage dans l’Extrême-Nord du Cameroun. Le ministre de la Communication, Issa Tchiroma, collègue d’Eyébé Ayissi au gouvernement et allié du Rdpc, a déclaré que cet appel lui inspirait du « dégoût » alors que Jean François Mebenga, fidèle militant du parti au pouvoir a quant à lui parlé de « faute politique lourde ». Le lamido de Banyo, sénateur et membre du comité central du Rdpc, Mohaman Gabdo Yahya, pour sa part, n’a pas trouvé de mots assez durs, dans les colonnes de Mutations avant-hier, pour dénoncer « des gourous en herbe, dont le but ultime est de prendre le Cameroun en otage ».
Pour lui, les auteurs de « l’appel de la Lékié » ne pensent qu’à une chose en se rasant le matin : succéder au président Paul Biya à travers un plan simpliste : « dresser les Camerounais contre les Camerounais. » Jean Simon Ongola, député Rdpc abonde dans le même sens en fustigeant « des agissements qui portent le spectre de la division et mettent en danger l’unité nationale ».
Avec de telles réactions, la « bourde » du ministre Eyébé Ayissi et consorts restera-t-elle impunie, au moins sur le plan politique ? Leurs affidés peuvent dormir en paix. Car, sous le Renouveau, les fautes politiques ne prêtent pas à conséquence. Ni par une démission immédiate, ni par un limogeage. L’honneur ne semble pas être une qualité dans le système gouvernant camerounais. Des exemples tirés de l’histoire politique récente l’attestent.
André Mama Fouda et Tsimi Evouna
André Mama Fouda est toujours ministre de la Santé publique, tout comme Gilbert Tsimi Evouna est encore l’inamovible délégué du gouvernement auprès de la Communauté urbaine de Yaoundé. Les deux hommes font partie des élites du Mfoundi, qui signèrent le vendredi 29 février 2008, une déclaration à la suite des émeutes qui paralysaient certaines villes du Cameroun, dont Yaoundé.
Quelques extraits de ce brûlot sont restés célèbres : « Qu’il soit donc entendu que désormais, nous répondons aux coups par coups. A partir de maintenant, oeil pour oeil, dent pour dent ; (…) En outre, nous invitons fermement tous les prédateurs venus d’ailleurs, de quitter rapidement et définitivement notre sol. Car ils n’y seront plus jamais en sécurité.
Qu’ils disent à leurs commettants que les forces vives du Mfoundi ont de nouveau revêtu la tenue de combat de leurs ancêtres. Lesquels ont longtemps résisté à la pénétration européenne. » Lorsque Cameroon tribune publie ce pamphlet, les réactions outrées fusent de tous les cotés. Personne ne vend cher la peau des leaders de cette diatribe. Six ans plus tard, Mama Fouda et Tsimi Evouna sont toujours en poste.
Paul Atanga Nji
En novembre 2011, la Commission nationale anti-corruption, dans son rapport de mission à la Campost, recommande des poursuites judiciaires contre des personnalités soupçonnées de détournement de fonds publics. Parmi les personnes citées, un certain Paul Atanga Nji, chargé de mission à la présidence de la République et président du Conseil national de la sécurité. Il est toujours en fonction. Certains médias annoncent depuis quelques jours, toujours à son sujet, que le Tcs pourrait ouvrir une information judiciaire contre lui pour détournement de fonds publics. Insuffisant pour lui faire perdre le sommeil. Plus que jamais, il est proche du chef de l’Etat. Il est de tous ses voyages.
Louis Bapès Bapès
Plus récent est le cas Louis Bapès Bapès. Le 31 mars 2014, le ministre des Enseignements secondaires est entendu par le juge d’instruction du Tcs, Annie Noëlle Bahounoui Batendè. Il est inculpé de détournement de fonds publics, puis placé sous mandat de dépôt à la prison centrale de Kondengui. L’affaire suscite un tollé. C’est bien la première fois qu’un ministre en fonction est extrait de son bureau et incarcéré pour une affaire de détournement de deniers publics.
Le lendemain, 1er avril, coup de théâtre : l’on apprend que Louis Bapès Bapès, 71 ans, a été remis en liberté. Beaucoup croient à un poisson d’avril. Il n’en est rien. L’homme qui semble avoir vieilli de 10 ans après 24 h de taule regagne tranquillement son bureau où il continue de travailler. Comme si de rien n’était. Ces exemples, qui peuvent être multipliés, posent le problème de l’éthique dans la pratique politique au Cameroun.
Aucune faute n’est très lourde pour pousser une personnalité à la démission ou pour susciter le courroux immédiat du chef de l’Etat. Ailleurs, pour moins que ça, des ministres perdent leurs fonctions. Juste deux exemples pour l’illustrer : le 1er septembre dernier, Léon Nzouba, ministre de l’Éducation nationale au Gabon, très critiqué pour sa gestion des résultats controversés du baccalauréat 2014 jette l'éponge ; le 27 août, le secrétaire d'Etat français au Commerce extérieur démissionne. Motif ? Il a oublié de déclarer ses impôts. A peine imaginable au pays de Paul Biya.