Aminatou Ahidjo: Notre paire, contre notre mère
Yaoundé, 06 Septembre 2013
© FÉLIX C EBOLE BOLA | Mutations
Elle a rejoint son aîné, au sein d'un régime qui n'a jamais été tendre avec feu le Premier Président du Cameroun. Compromis, ou compromission?
On ne sait pas, à l'heure où sont écrites ces lignes, s'il s'agit d'une discrète stratégie d’entrée en scène ou la conséquence de fuites malveillantes visant, justement, à saboter une tactique politique. Dans tous les cas de figure, on perçoit comme un vrai brouillage sur la ligne. Tout le monde parle d'elle depuis quelques semaines. On lui a prêté un ralliement au régime Biya, pourtant généralement présenté comme l'ennemi de la famille. Personne ne l'a vue, même pas en photo, et pas grand monde ne se rappelle à quoi elle ressemble depuis le temps.
Jusqu'à ce que, en début de semaine, Aminatou Ahidjo apparaisse sous la forme d'un document confidentiel publié par l'hebdomadaire L'Œil du Sahel. La fille du Premier Chef de l'Etat camerounais, consciente de ce que la réalisation des grands projets et la vision d'émergence du Président de la République, Paul Biya, ne peuvent s'accomplir dans un contexte dispersé ou de cohabitation gouvernementale, a décidé «d'apporter un soutien fort» la politique du successeur de son géniteur, à travers «une campagne nationale de mobilisation en faveur des candidats du Rdpc aux élections législatives et municipales du 30 septembre 2013». Encouragée par les autorités nationales à rentrer au Cameroun, «après une longue absence imposée par les circonstances», elle affirme avoir eu l'occasion d'observer la vie politique nationale depuis un an et demi.
Juriste, politologue et communication politique, celle qui, depuis l'exil a connu «la souffrance de la discorde» souhaite aujourd'hui, à travers le souvenir de ses origines, «porter l'image de l’union, de la concorde et de la réconciliation nationales» afin d' «incarner la confiance en la jeunesse, lien entre l'avenir et le passé». Et elle insiste, mettant en avant l'ambition de faire profiter à son pays de l'expérience des consultations menées auprès de plusieurs leaders africains et étrangers sur les questions de concorde nationale.
Cette émouvante entrée en matière a toutefois du mal à dissiper les persifflages, nombreux, traduits par cet extrait d'une analyse du Septentrion infos: «Les mauvaises langues en sont convaincues, Aminatou Ahidjo est manipulée par le régime qui voudrait l'amener à convaincre sa famille en vue du rapatrie¬ment de la dépouille du Premier Président de la République». Elle aurait ainsi «dribblé» le reste de la famille au prétexte d'un voyage dans la capitale béninoise, et alors que les autres se trouvaient en France. «En fait de Cotonou, il semble donc que Aminatou Ahidjo jouait en solo sa propre musique avec le pouvoir de Yaoundé manifestement friand de débaucher autant que possible le premier membre venu de la famille Ahidjo», s'étrangle cette publication.
Fatwa
Cette dernière assertion, qui sonne comme une fatwa en règle, s'avère au moins spécieuse: Mohamadou Badjika Ahidjo, l'aîné d'Aminatou, est Ambassadeur itinérant depuis le 9 décembre 2011. Il a aussi été installé, le 14 janvier dernier à Douala, au poste de Président du conseil d'administration de la Société hôtelière du Littoral (Sohli). Par le fait de Paul Biya. La fille Ahidjo ne serait donc pas la première à avoir «trahi» la famille au profit du pouvoir de Yaoundé. La posture de ces deux-là, adultes au demeurant et donc comptables de leurs actes, se trouve, toutefois aux antipodes des ressentiments maintes fois exprimés par leur mère, Germaine Ahidjo, soucieuse de voir la mémoire du disparu politiquement et totalement réhabilitée dans ce pays qu'il a gouverné pendant un quart de siècle. En cause, le rapatriement de la dépouille du Premier Chef de l'Etat camerounais, décédé le 30 novembre 1989 à Dakar (Sénégal) à l'âge de 65 ans.
Condamné par contumace en 1985 pour son implication dans le coup d'Etat manqué du 6 avril de l'année d'avant, M. Ahidjo a été en même temps que quelques héros nationaux bannis - amnistié par une loi votée en avril 1991. La restitution des biens à sa famille était ordonnée dans la foulée. Depuis lors, le retour de ses restes sur la terre de ses ancêtres a fait l'objet de moult tractations, le régime Biya estimant - à tort ou à raison - que cette démarche relevait au premier chef du ressort de sa famille nucléaire.
En affichant son projet, qui est de «faire passer les intérêts de la nation avant [les] intérêts particuliers», présentée comme «un atout majeur pour la promotion de la paix de la stabilité et de l'émergence», Aminatou Ahidjo peut-elle se targuer d'une démarche dénuée de toute visée égoïste, voire pernicieuse? Beaucoup en doutent. Raison de plus, pour elle, de mettre un terme au jeu de cache-cache qui la fait passer pour une fieffée «mercenaire», à l'instar de cette horde de conseillers et communicants occidentaux qui écument le palais présidentiel, finissant par apparaître comme des prédateurs autour d'un régime en mal de sincérité.