Amendements: Avalanche de critiques sur le projet de code électoral
YAOUNDE - 12 AVRIL 2012
© Jean-Bruno Tagne | Le Jour
Le texte proposé à l’Assemblée nationale est attaqué de toute part. Que lui reproche-t-on concrètement ?
© Jean-Bruno Tagne | Le Jour
Le texte proposé à l’Assemblée nationale est attaqué de toute part. Que lui reproche-t-on concrètement ?
Plus de 500 amendements pour un projet
de loi de 299 articles ! L’avalanche de contestations et de
récriminations qui s’abat sur le projet de code électoral déposé à
l’Assemblée nationale par le gouvernement est un cas rare dans
l’histoire parlementaire du Cameroun.
Certains amendements ont déjà été retenus, notamment ceux portant sur le statut des députés, principal combat des élus, notamment ceux du parti au pouvoir. Ils ont ainsi obtenu l’annulation du mandat impératif, la réduction de la caution pour la députation de 5 millions de francs Cfa à 3 millions, l’annulation de l’incompatibilité entre le mandat de député et celui de salarié du public ou du privé, etc. Pourtant, de nombreux articles continuent de susciter des grincements de dents, cette fois, surtout dans les rangs de l’opposition et de la société civile.
Le député démissionnaire du Rdpc, Paul Ayah a déposé plusieurs propositions d’amendements. Il propose que les cartes d’électeurs soient immédiatement remises au moment de l’inscription, pour éviter les « pratiques d’antan ». L’ancien candidat à la présidentielle a aussi milité pour la réduction des différents cautionnements aux élections au Cameroun. Car, pour lui, ces sommes qu’il juge exorbitantes visent à exclure les Camerounais ordinaires et les jeunes de la politique. Il ajoute que de telles cautions ne peuvent convenir qu’aux candidats du Rdpc qui utilisent les fonds publics à leur compte.
Flagrant délit
Le député Paul Ayah a également déposé un amendement visant à annuler le mandat impératif. Pour cet article en particulier, il se sent visé. Lui qui est arrivé à l’Assemblée nationale comme député Rdpc de la Manyu avant de claquer la porte au mois de janvier 2011. Si le mandat impératif existait au Cameroun, il aurait perdu son siège de député depuis plus d’un an. L’autre amendement proposé par Paul Ayah porte sur le bulletin unique.
Du côté de l’Udc, la député Patricia Tomaïno Ndam Njoya a carrément réécrit 66 articles de ce projet de code électoral qui, selon elle, « ne répond point à l’objectif des élections justes, objectives et transparentes ». Ces amendements portent sur les attributions du conseil électoral d’Elecam, la direction générale des élections, les fonds d’Elecam, etc. Elle propose la suppression pure et simple de plusieurs dispositions du code, liées à l’inscription sur les listes électorales. Des dispositions qui, de son avis, ne sont plus valables à l’heure de la biométrie. C’est le cas de l’article 85 qui dispose que la distribution des cartes électorales est faite sous le contrôle de la commission chargée du contrôle et de la distribution des cartes électorales. Elle demande que les cartes d’électeur soient immédiatement délivrées au moment où l’électeur s’inscrit.
Pour sa part, Charly Gabriel Mbock, porte-parole de l’Upc, tendance Papy Ndoumbé a identifié des problèmes dans le code électoral. Il les résume en « flagrants délits ». « Flagrant délit de violation du Règlement intérieur de l'Assemblée; flagrant délit de condescendance: flagrant délit de violation de la Constitution ; flagrant délit de ploutocratie. »
Coup d’Etat
Le travail d’exégèse ou de critique qui semble le plus consistant est celui qui a été fait par Hilaire Kamga, porte-parole de l’Offre Orange, expert en questions électorales. Son travail a été publié dans une brochure de 52 pages parue hier sous le titre « Cameroun : raid sur la démocratie. Les 100 problèmes du projet gouvernemental ». Il estime que le texte présenté à l’Assemblée nationale est irrecevable sur le fond et dans la forme. Il dénonce aussi un texte « anticonstitutionnel » et « nul ». « La construction juridique perceptible dans ce texte est une véritable insulte à l’intelligence des Camerounais et surtout une réelle provocation aux juristes lucides de ce pays. A une échelle de 40, écrit-il, ce projet de loi portant code électoral obtient, à l’analyse, la note de 10/40. »
De façon plus technique, Hilaire Kamga identifie 100 problèmes dans l’actuel code électoral. Les articles sont passés au crible de l’analyse, l’objectif étant, selon le porte parole de l’Offre Orange, de « prendre le peuple à témoin et de donner des clés et des outils techniques aux députés afin qu’ils prennent leur responsabilité ».
Au regard de l’avalanche de critiques dirigée contre le projet de code électoral en ce moment en débat à l’Assemblée nationale, certains observateurs se demandent comment les services technique de la présidence de la République ont pu proposer un texte avec autant d’incohérences et même une disposition « grossièrement » anticonstitutionnelle. Pascal Messanga Nyamding, membre du comité central du Rdpc, parle d’un « coup d’Etat scientifique ». L’on se demande aussi pourquoi ledit projet de code électoral n’a-t-il pas servi de base de travail lors des consultations menées par le Premier ministre.
Jean-Bruno Tagne
Points d’achoppement: Positions inconciliables ?
Réclamés par l’opposition, l’élection présidentielle à deux tours, la limitation du mandat présidentiel, la réforme d’Elecam sont des épouvantails pour le pouvoir.
Les 299 articles constituant le projet de code électoral unique préparé par le gouvernement et soumis à l’examen de la commission des lois constitutionnelles de l’Assemblée nationale n’ont pas fait perdre de vue l’essentiel. Les attentes du peuple camerounais, selon le député Udc Tomaïno Ndam Njoya, n’ont pas trouvé oreille attentive auprès du gouvernement lors de l’élaboration de ce texte : " Ce projet se veut innovateur, pourtant du titre I au titre XII, ne figurent nulle part ce qu’attendent, parce que qu’ayant demandé, les Camerounais lors des consultations, à savoir : le scrutin présidentiel majoritaire à deux tours, la limitation du mandat présidentiel, un redécoupage électoral avec un nombre de députés par circonscription correspondant à l’effectif de la population, un bulletin de vote unique, le code médiatique…", souligne-t-elle.
Exemple sénégalais
Au Rdpc, le parti au pouvoir, évidemment, on ne voit pas les choses de la même manière. Le scrutin présidentiel majoritaire à deux tours, la limitation du mandat présidentiel à cinq ans renouvelable une fois sont jugés tout simplement "anticonstitutionnels". La Constitution du 18 janvier 1996 modifiée en avril 2008 prévoit en effet que le président de la République est élu pour un mandat de sept ans (renouvelable) et l’élection a lieu au scrutin uninominal majoritaire à un tour. Le gouvernement a pourtant glissé dans le texte soumis à l’examen des députés un article "anticonstitutionnel" sur le mandat impératif, rejeté en commission des lois constitutionnelles.
Olivier Bilé, président de l’Upf, candidat à l’élection présidentielle d’octobre 2011, décrypte bien le jeu du pouvoir : "La cacophonie autour de la question du code électoral a été volontairement orchestrée. Au moment où les Camerounais s'émerveillent presque tous de l'exemple sénégalais, largement tributaire du scrutin à deux tours, il s'agit pour le pouvoir actuel de Yaoundé de distraire l'opinion en détournant l'attention du public de l'exigence essentielle de faire évoluer et de moderniser notre code électoral, notamment en lui intégrant la modalité essentielle et indispensable du scrutin à deux tours avec débat radiotélévisé des deux finalistes pendant l'entre deux tours."
D’autres propositions d’amendement de l’opposition telles que la réforme d’Elecam, en vue du renforcement de son indépendance ont été rejetées en commission par la majorité des députés issus des rangs du Rdpc. Ce qui fait dire à Toïmano Ndam Njoya de l’Udc que "ce projet de loi ne répond point à l’objectif des élections justes, objectives, transparentes annoncées à l’exposé des motifs" du projet de code électoral.
Claude Tadjon
Njoya Moussa: “Le sceau de l’affrontement”
Le politologue analyse les enjeux et les rapports de force du débat sur le projet de code électoral.
Le consensus politique est-il finalement possible au Cameroun sur les grands principes de la démocratie, au regard des empoignades sur le projet de code électoral déposé sur la table des députés ?
Il est important de constater que 22 ans après les premières échauffourées visant l’instauration de la démocratie dans notre pays, il existe toujours de profondes dissensions entre les différentes forces politiques sur un certain nombre de questions fondamentales au vivre ensemble dans notre Etat. Il en est ainsi, par exemple, du code électoral dont vous parlez, mais aussi des libertés publiques, de la définition de l’intérêt général, du statut des différents acteurs, et même de la forme que devrait avoir notre Etat, etc. Il serait important de relever que depuis la veille de notre indépendance, les différentes forces sociopolitiques ne se sont jamais réunies pour parler au fond des ces questions ; la politique s’est toujours faite chez nous sous le sceau de l’affrontement, ou plus exactement de la dialectique Ami/Ennemi, du combat et non du débat ! L’autre étant toujours criminalisé, son opposition étant considérée comme de l’antipatriotisme, d’où l’impossibilité de s’entendre, voire même de débattre avec lui pour rechercher un véritable consensus, même sur des questions les plus basiques. Par voie de conséquences, les différentes rencontres entre ces forces politiques (Conférence de Foumban, Tripartite, consultations, etc.) se sont toujours déroulées sous la contrainte et surtout en vue de la préservation de l’hégémonie des forces au pouvoir.
Le Rdpc est-il véritablement dans une perspective démocratique ?
Le Rdpc est un parti né dans un contexte de monolithisme politique ; et ce n’est que contraint par des forces internes et externes qu’il est allé à son corps défendant vers ce qu’on va appeler la démocratisation ou plus exactement le multipartisme. Alors, rien de plus normal qu’après avoir restauré son hégémonie qui avait été remise en question dans le début des années 90, celui-ci cherche à l’exercer comme d’antan. Et ce n’est pas une originalité camerounaise : chaque fois que dans un système politique, une force domine très largement les institutions, c’est le pluralisme qui perd des plumes. Il appartient alors plutôt aux autres forces (citoyens, partis politiques, société civile, etc.) de se mobiliser pour restaurer l’équilibre des choses et le pluralisme social ; et c’est dans la désorganisation de ces forces qu’il faut rechercher l’explication de ce qu’on pourrait percevoir comme reculades dans notre processus de démocratisation. Montesquieu demandait alors de disposer les choses telles que le pouvoir arrête le pouvoir ! La France, 12 ans après la révolution, n’a-t-elle pas intronisé un empereur nommé Napoléon Bonaparte ? C’est ainsi les choses, la démocratisation donne toujours l’impression de ce qu’on appelle chez nous la danse ‘’Bafia’’ ; les révolutions en cours au Maghreb sont là pour l’illustrer avec force.
Que reste-t-il, comme moyen de pression, à la société civile, aux partis d’opposition et à la fronde interne au Rdpc pour faire plier le pouvoir ?
Il faut que ces différentes forces redeviennent pour une fois des forces populaires. Or, depuis quelques années, ces forces se sont bureaucratisées, embourgeoisées, ankylosées, et au finish, se sont détachées du peuple et de ses préoccupations quotidiennes. Entre ces Ong qui n’existent que dans les mallettes de leurs ‘’présidents’’, ces politiciens qu’on ne voit que lors des élections, et ces médias qui donnent souvent l’impression d’être plus au service de certaines forces ‘’opaques’’ que de l’information, vous comprenez que le petit citoyen est perdu ; lui qui se sent abandonné lorsqu’il manque d’eau, se fait voler sa progéniture, se fait renvoyer abusivement, est agressé dans son domicile, etc. Dans ce contexte, tous les débats entre ces ‘’politiciens’’ lui paraissent superflus voire purement artificiels ; et il vous demandera souvent et non sans raison : « c’est le code électoral qu’on mange ? » N’oublions jamais que tant que la politique ne sera pas chez nous une activité de production du bien-être populaire, mais plutôt un moyen pour certains d’accéder aux sinécures, elle n’intéressera que ses ‘’professionnels’’. Et le peuple, lui, attendra patiemment le ‘’ça gâte-ça gâte’’ ! Donc en l’état actuel des rapports de forces en présence, nous avons très peu de chance de ne pas voir ce texte passer.
Avez-vous le sentiment que l’intelligentsia camerounaise s’est suffisamment approprié le débat sur le projet de code électoral ?
L’intelligentsia, pour peu qu’on la réduise aux universitaires, a quelque peu participé au débat. Mais il faut reconnaitre que l’université, à l’image de la société, est devenue un lieu de non débat ; les gens étant plus tournés vers des préoccupations beaucoup plus basiques (manger, boire, se reproduire, etc.). C’est ce qui avait déjà amené des acteurs tels que Maurice Kamto, le Forum des universitaires chrétiens ou encore le Synes à appeler à l’urgence de la pensée. Même Fanny Pigeaud a parlé tout récemment de société désintellectualisée. Mais il faut aussi reconnaître que les universitaires sont également marginalisés, même ceux qui sont dans le gouvernement. L’on confond facilement chez nous la théorie à du bavardage ; l’activité de la pensée, au prétexte de l’urgence de l’action, est considérée comme une perte de temps ; aimer l’école devient suspect, voire même un sujet de moquerie. Ceci est dommage, car le fondement de tout développement est sans aucun doute le savoir.
Propos recueillis par
Claude Tadjon
Votre avis : Pourquoi le consensus sur les règles du jeu électoral est-il si difficile à obtenir au Cameroun ?
"La sale politique du pouvoir" : Paul Ayah, Président du Pap
Le consensus sur les règles du jeu électoral s’avère difficile au Cameroun pour plusieurs raisons. Premièrement, il y a des partis dits de l’opposition alors que ce sont des partis montés par le Rdpc pour semer la confusion dans les rangs de l’opposition. Ces partis ne sont pas les moins nombreux. En deuxième lieu, les partis de l’opposition qui, à vrai dire, ne visent que l’argent, le vrai jeu ne les préoccupe pas. Viennent à la troisième place les partis de l’opposition qui n’ont dans la tête que l’ambition de se faire voir dans le but de pouvoir se tailler une place dans l’équipe gouvernementale éventuelle. Les vrais partis de l’opposition sont très peu nombreux. Malheureusement, ces derniers se laissent aussi corrompre parfois par le Rdpc si bien qu’ils finissent par perdre l’autorité morale de pouvoir s’opposer réellement à la sale politique du parti au pouvoir. Par conséquent, des intérêts si divergents ne peuvent se réconcilier.
"Cela semble du domaine du rêve" : Yimgaing Moyo, président du Mouvement Citoyen
Au niveau de la mise en place du processus électoral devant permettre la création d'institutions fiables dans notre pays, ce n'est que 50 ans après que le Rdpc discute de la nécessité d'avoir un code unique régissant les élections, une carte électorale biométrique, un bulletin unique et un scrutin à deux tours. Cela semble pour eux du domaine du rêve. Nous devons être sérieux. Regardez ce qui se passe au Sénégal. Et même en France qui nous sert souvent d'exemple, c'est une élection à deux tours. Le refus du consensus comme mode de résolution des problèmes politiques me semble être préjudiciable à la paix. L'exemple de la Rdc devrait interpeller notre conscience. Il m'arrive souvent de douter de la capacité de certains partis politiques à élaborer une véritable stratégie de conquête du pouvoir. Car de façon rituelle, ces partis politiques posent souvent des conditions préalables pour leur participation aux différents scrutins et de façon récurrente. Ces conditions sont balayées de la main par le pouvoir en place. A chaque fois, dès que la date du scrutin est arrêtée, ces partis se précipitent. Allez donc comprendre.
“Egoïsmes”: P.Messanga Nyamding, comité central du Rdpc
Il n’y a pas consensus sur les règles de jeu électoral pour au moins deux raisons. D’abord, il y a la primauté des intérêts personnels au détriment de l’intérêt général. Les acteurs mettent leurs égoïsmes au dessus de tout, y compris celui de l’ensemble de la société. Ensuite, il y a ce que j’appelle la non maîtrise des mécanismes juridiques. Comment comprendre que le projet du code électoral comporte autant de légèreté ? Le mandat impératif par exemple est carrément anticonstitutionnel. Pareil pour nombre d’articles. Ceux qui ont élaboré ce document sont soit incompétents, soit ne pensent qu’à eux mêmes.
“La majorité oriente les choix” : Abel Calvin Ndjockè, député Rdpc
On ne peut pas dire que le code électoral s’élabore en l’absence de tout consensus, puisque les acteurs politiques sont tombés d’accord sur l’exigence de la refonte électorale et l’introduction de la biométrie dans le processus électoral. Cette impulsion donnée par le chef de l’Etat est une grande avancée dans la construction. Maintenant, on ne refuse pas que l’opposition demande deux tours, mais c’est une position qui n’est pas majoritaire parce que nous continuons de croire que certains pays qui ont essayé un système a deux tours l’on soit abandonné, le cas du Congo, soit ils ont fait face à des troubles (le cas de la Côte d’Ivoire). Le système à un tour évite le chantage et le marchandage qu’impose un second tour. Il y a, d’un côté, les considérations liées à des particularismes tels que le tribalisme, le poids de l’argent, la haine contre un candidat particulier animé par les survivants du premier tour. C’est pourquoi, quoique majoritaire, le Rdpc a toujours travaillé avec d’autres forces politiques. C’est une manière de répondre à la nécessité du rassemblement du plus grand nombre que peut exiger un second tour. S’agissant du bulletin unique, c’est une commodité de l’opposition qui n’apporte rien de nouveau au souci de transparence et de vérité des urnes consacrée par la refonte électorale et la biométrie.
Propos recueillis par
Aziz Salatou, Eitel Elessa Mbassi, Moïse Moundi et
Younoussa Ben Moussa
Certains amendements ont déjà été retenus, notamment ceux portant sur le statut des députés, principal combat des élus, notamment ceux du parti au pouvoir. Ils ont ainsi obtenu l’annulation du mandat impératif, la réduction de la caution pour la députation de 5 millions de francs Cfa à 3 millions, l’annulation de l’incompatibilité entre le mandat de député et celui de salarié du public ou du privé, etc. Pourtant, de nombreux articles continuent de susciter des grincements de dents, cette fois, surtout dans les rangs de l’opposition et de la société civile.
Le député démissionnaire du Rdpc, Paul Ayah a déposé plusieurs propositions d’amendements. Il propose que les cartes d’électeurs soient immédiatement remises au moment de l’inscription, pour éviter les « pratiques d’antan ». L’ancien candidat à la présidentielle a aussi milité pour la réduction des différents cautionnements aux élections au Cameroun. Car, pour lui, ces sommes qu’il juge exorbitantes visent à exclure les Camerounais ordinaires et les jeunes de la politique. Il ajoute que de telles cautions ne peuvent convenir qu’aux candidats du Rdpc qui utilisent les fonds publics à leur compte.
Flagrant délit
Le député Paul Ayah a également déposé un amendement visant à annuler le mandat impératif. Pour cet article en particulier, il se sent visé. Lui qui est arrivé à l’Assemblée nationale comme député Rdpc de la Manyu avant de claquer la porte au mois de janvier 2011. Si le mandat impératif existait au Cameroun, il aurait perdu son siège de député depuis plus d’un an. L’autre amendement proposé par Paul Ayah porte sur le bulletin unique.
Du côté de l’Udc, la député Patricia Tomaïno Ndam Njoya a carrément réécrit 66 articles de ce projet de code électoral qui, selon elle, « ne répond point à l’objectif des élections justes, objectives et transparentes ». Ces amendements portent sur les attributions du conseil électoral d’Elecam, la direction générale des élections, les fonds d’Elecam, etc. Elle propose la suppression pure et simple de plusieurs dispositions du code, liées à l’inscription sur les listes électorales. Des dispositions qui, de son avis, ne sont plus valables à l’heure de la biométrie. C’est le cas de l’article 85 qui dispose que la distribution des cartes électorales est faite sous le contrôle de la commission chargée du contrôle et de la distribution des cartes électorales. Elle demande que les cartes d’électeur soient immédiatement délivrées au moment où l’électeur s’inscrit.
Pour sa part, Charly Gabriel Mbock, porte-parole de l’Upc, tendance Papy Ndoumbé a identifié des problèmes dans le code électoral. Il les résume en « flagrants délits ». « Flagrant délit de violation du Règlement intérieur de l'Assemblée; flagrant délit de condescendance: flagrant délit de violation de la Constitution ; flagrant délit de ploutocratie. »
Coup d’Etat
Le travail d’exégèse ou de critique qui semble le plus consistant est celui qui a été fait par Hilaire Kamga, porte-parole de l’Offre Orange, expert en questions électorales. Son travail a été publié dans une brochure de 52 pages parue hier sous le titre « Cameroun : raid sur la démocratie. Les 100 problèmes du projet gouvernemental ». Il estime que le texte présenté à l’Assemblée nationale est irrecevable sur le fond et dans la forme. Il dénonce aussi un texte « anticonstitutionnel » et « nul ». « La construction juridique perceptible dans ce texte est une véritable insulte à l’intelligence des Camerounais et surtout une réelle provocation aux juristes lucides de ce pays. A une échelle de 40, écrit-il, ce projet de loi portant code électoral obtient, à l’analyse, la note de 10/40. »
De façon plus technique, Hilaire Kamga identifie 100 problèmes dans l’actuel code électoral. Les articles sont passés au crible de l’analyse, l’objectif étant, selon le porte parole de l’Offre Orange, de « prendre le peuple à témoin et de donner des clés et des outils techniques aux députés afin qu’ils prennent leur responsabilité ».
Au regard de l’avalanche de critiques dirigée contre le projet de code électoral en ce moment en débat à l’Assemblée nationale, certains observateurs se demandent comment les services technique de la présidence de la République ont pu proposer un texte avec autant d’incohérences et même une disposition « grossièrement » anticonstitutionnelle. Pascal Messanga Nyamding, membre du comité central du Rdpc, parle d’un « coup d’Etat scientifique ». L’on se demande aussi pourquoi ledit projet de code électoral n’a-t-il pas servi de base de travail lors des consultations menées par le Premier ministre.
Jean-Bruno Tagne
Points d’achoppement: Positions inconciliables ?
Réclamés par l’opposition, l’élection présidentielle à deux tours, la limitation du mandat présidentiel, la réforme d’Elecam sont des épouvantails pour le pouvoir.
Les 299 articles constituant le projet de code électoral unique préparé par le gouvernement et soumis à l’examen de la commission des lois constitutionnelles de l’Assemblée nationale n’ont pas fait perdre de vue l’essentiel. Les attentes du peuple camerounais, selon le député Udc Tomaïno Ndam Njoya, n’ont pas trouvé oreille attentive auprès du gouvernement lors de l’élaboration de ce texte : " Ce projet se veut innovateur, pourtant du titre I au titre XII, ne figurent nulle part ce qu’attendent, parce que qu’ayant demandé, les Camerounais lors des consultations, à savoir : le scrutin présidentiel majoritaire à deux tours, la limitation du mandat présidentiel, un redécoupage électoral avec un nombre de députés par circonscription correspondant à l’effectif de la population, un bulletin de vote unique, le code médiatique…", souligne-t-elle.
Exemple sénégalais
Au Rdpc, le parti au pouvoir, évidemment, on ne voit pas les choses de la même manière. Le scrutin présidentiel majoritaire à deux tours, la limitation du mandat présidentiel à cinq ans renouvelable une fois sont jugés tout simplement "anticonstitutionnels". La Constitution du 18 janvier 1996 modifiée en avril 2008 prévoit en effet que le président de la République est élu pour un mandat de sept ans (renouvelable) et l’élection a lieu au scrutin uninominal majoritaire à un tour. Le gouvernement a pourtant glissé dans le texte soumis à l’examen des députés un article "anticonstitutionnel" sur le mandat impératif, rejeté en commission des lois constitutionnelles.
Olivier Bilé, président de l’Upf, candidat à l’élection présidentielle d’octobre 2011, décrypte bien le jeu du pouvoir : "La cacophonie autour de la question du code électoral a été volontairement orchestrée. Au moment où les Camerounais s'émerveillent presque tous de l'exemple sénégalais, largement tributaire du scrutin à deux tours, il s'agit pour le pouvoir actuel de Yaoundé de distraire l'opinion en détournant l'attention du public de l'exigence essentielle de faire évoluer et de moderniser notre code électoral, notamment en lui intégrant la modalité essentielle et indispensable du scrutin à deux tours avec débat radiotélévisé des deux finalistes pendant l'entre deux tours."
D’autres propositions d’amendement de l’opposition telles que la réforme d’Elecam, en vue du renforcement de son indépendance ont été rejetées en commission par la majorité des députés issus des rangs du Rdpc. Ce qui fait dire à Toïmano Ndam Njoya de l’Udc que "ce projet de loi ne répond point à l’objectif des élections justes, objectives, transparentes annoncées à l’exposé des motifs" du projet de code électoral.
Claude Tadjon
Njoya Moussa: “Le sceau de l’affrontement”
Le politologue analyse les enjeux et les rapports de force du débat sur le projet de code électoral.
Le consensus politique est-il finalement possible au Cameroun sur les grands principes de la démocratie, au regard des empoignades sur le projet de code électoral déposé sur la table des députés ?
Il est important de constater que 22 ans après les premières échauffourées visant l’instauration de la démocratie dans notre pays, il existe toujours de profondes dissensions entre les différentes forces politiques sur un certain nombre de questions fondamentales au vivre ensemble dans notre Etat. Il en est ainsi, par exemple, du code électoral dont vous parlez, mais aussi des libertés publiques, de la définition de l’intérêt général, du statut des différents acteurs, et même de la forme que devrait avoir notre Etat, etc. Il serait important de relever que depuis la veille de notre indépendance, les différentes forces sociopolitiques ne se sont jamais réunies pour parler au fond des ces questions ; la politique s’est toujours faite chez nous sous le sceau de l’affrontement, ou plus exactement de la dialectique Ami/Ennemi, du combat et non du débat ! L’autre étant toujours criminalisé, son opposition étant considérée comme de l’antipatriotisme, d’où l’impossibilité de s’entendre, voire même de débattre avec lui pour rechercher un véritable consensus, même sur des questions les plus basiques. Par voie de conséquences, les différentes rencontres entre ces forces politiques (Conférence de Foumban, Tripartite, consultations, etc.) se sont toujours déroulées sous la contrainte et surtout en vue de la préservation de l’hégémonie des forces au pouvoir.
Le Rdpc est-il véritablement dans une perspective démocratique ?
Le Rdpc est un parti né dans un contexte de monolithisme politique ; et ce n’est que contraint par des forces internes et externes qu’il est allé à son corps défendant vers ce qu’on va appeler la démocratisation ou plus exactement le multipartisme. Alors, rien de plus normal qu’après avoir restauré son hégémonie qui avait été remise en question dans le début des années 90, celui-ci cherche à l’exercer comme d’antan. Et ce n’est pas une originalité camerounaise : chaque fois que dans un système politique, une force domine très largement les institutions, c’est le pluralisme qui perd des plumes. Il appartient alors plutôt aux autres forces (citoyens, partis politiques, société civile, etc.) de se mobiliser pour restaurer l’équilibre des choses et le pluralisme social ; et c’est dans la désorganisation de ces forces qu’il faut rechercher l’explication de ce qu’on pourrait percevoir comme reculades dans notre processus de démocratisation. Montesquieu demandait alors de disposer les choses telles que le pouvoir arrête le pouvoir ! La France, 12 ans après la révolution, n’a-t-elle pas intronisé un empereur nommé Napoléon Bonaparte ? C’est ainsi les choses, la démocratisation donne toujours l’impression de ce qu’on appelle chez nous la danse ‘’Bafia’’ ; les révolutions en cours au Maghreb sont là pour l’illustrer avec force.
Que reste-t-il, comme moyen de pression, à la société civile, aux partis d’opposition et à la fronde interne au Rdpc pour faire plier le pouvoir ?
Il faut que ces différentes forces redeviennent pour une fois des forces populaires. Or, depuis quelques années, ces forces se sont bureaucratisées, embourgeoisées, ankylosées, et au finish, se sont détachées du peuple et de ses préoccupations quotidiennes. Entre ces Ong qui n’existent que dans les mallettes de leurs ‘’présidents’’, ces politiciens qu’on ne voit que lors des élections, et ces médias qui donnent souvent l’impression d’être plus au service de certaines forces ‘’opaques’’ que de l’information, vous comprenez que le petit citoyen est perdu ; lui qui se sent abandonné lorsqu’il manque d’eau, se fait voler sa progéniture, se fait renvoyer abusivement, est agressé dans son domicile, etc. Dans ce contexte, tous les débats entre ces ‘’politiciens’’ lui paraissent superflus voire purement artificiels ; et il vous demandera souvent et non sans raison : « c’est le code électoral qu’on mange ? » N’oublions jamais que tant que la politique ne sera pas chez nous une activité de production du bien-être populaire, mais plutôt un moyen pour certains d’accéder aux sinécures, elle n’intéressera que ses ‘’professionnels’’. Et le peuple, lui, attendra patiemment le ‘’ça gâte-ça gâte’’ ! Donc en l’état actuel des rapports de forces en présence, nous avons très peu de chance de ne pas voir ce texte passer.
Avez-vous le sentiment que l’intelligentsia camerounaise s’est suffisamment approprié le débat sur le projet de code électoral ?
L’intelligentsia, pour peu qu’on la réduise aux universitaires, a quelque peu participé au débat. Mais il faut reconnaitre que l’université, à l’image de la société, est devenue un lieu de non débat ; les gens étant plus tournés vers des préoccupations beaucoup plus basiques (manger, boire, se reproduire, etc.). C’est ce qui avait déjà amené des acteurs tels que Maurice Kamto, le Forum des universitaires chrétiens ou encore le Synes à appeler à l’urgence de la pensée. Même Fanny Pigeaud a parlé tout récemment de société désintellectualisée. Mais il faut aussi reconnaître que les universitaires sont également marginalisés, même ceux qui sont dans le gouvernement. L’on confond facilement chez nous la théorie à du bavardage ; l’activité de la pensée, au prétexte de l’urgence de l’action, est considérée comme une perte de temps ; aimer l’école devient suspect, voire même un sujet de moquerie. Ceci est dommage, car le fondement de tout développement est sans aucun doute le savoir.
Propos recueillis par
Claude Tadjon
Votre avis : Pourquoi le consensus sur les règles du jeu électoral est-il si difficile à obtenir au Cameroun ?
"La sale politique du pouvoir" : Paul Ayah, Président du Pap
Le consensus sur les règles du jeu électoral s’avère difficile au Cameroun pour plusieurs raisons. Premièrement, il y a des partis dits de l’opposition alors que ce sont des partis montés par le Rdpc pour semer la confusion dans les rangs de l’opposition. Ces partis ne sont pas les moins nombreux. En deuxième lieu, les partis de l’opposition qui, à vrai dire, ne visent que l’argent, le vrai jeu ne les préoccupe pas. Viennent à la troisième place les partis de l’opposition qui n’ont dans la tête que l’ambition de se faire voir dans le but de pouvoir se tailler une place dans l’équipe gouvernementale éventuelle. Les vrais partis de l’opposition sont très peu nombreux. Malheureusement, ces derniers se laissent aussi corrompre parfois par le Rdpc si bien qu’ils finissent par perdre l’autorité morale de pouvoir s’opposer réellement à la sale politique du parti au pouvoir. Par conséquent, des intérêts si divergents ne peuvent se réconcilier.
"Cela semble du domaine du rêve" : Yimgaing Moyo, président du Mouvement Citoyen
Au niveau de la mise en place du processus électoral devant permettre la création d'institutions fiables dans notre pays, ce n'est que 50 ans après que le Rdpc discute de la nécessité d'avoir un code unique régissant les élections, une carte électorale biométrique, un bulletin unique et un scrutin à deux tours. Cela semble pour eux du domaine du rêve. Nous devons être sérieux. Regardez ce qui se passe au Sénégal. Et même en France qui nous sert souvent d'exemple, c'est une élection à deux tours. Le refus du consensus comme mode de résolution des problèmes politiques me semble être préjudiciable à la paix. L'exemple de la Rdc devrait interpeller notre conscience. Il m'arrive souvent de douter de la capacité de certains partis politiques à élaborer une véritable stratégie de conquête du pouvoir. Car de façon rituelle, ces partis politiques posent souvent des conditions préalables pour leur participation aux différents scrutins et de façon récurrente. Ces conditions sont balayées de la main par le pouvoir en place. A chaque fois, dès que la date du scrutin est arrêtée, ces partis se précipitent. Allez donc comprendre.
“Egoïsmes”: P.Messanga Nyamding, comité central du Rdpc
Il n’y a pas consensus sur les règles de jeu électoral pour au moins deux raisons. D’abord, il y a la primauté des intérêts personnels au détriment de l’intérêt général. Les acteurs mettent leurs égoïsmes au dessus de tout, y compris celui de l’ensemble de la société. Ensuite, il y a ce que j’appelle la non maîtrise des mécanismes juridiques. Comment comprendre que le projet du code électoral comporte autant de légèreté ? Le mandat impératif par exemple est carrément anticonstitutionnel. Pareil pour nombre d’articles. Ceux qui ont élaboré ce document sont soit incompétents, soit ne pensent qu’à eux mêmes.
“La majorité oriente les choix” : Abel Calvin Ndjockè, député Rdpc
On ne peut pas dire que le code électoral s’élabore en l’absence de tout consensus, puisque les acteurs politiques sont tombés d’accord sur l’exigence de la refonte électorale et l’introduction de la biométrie dans le processus électoral. Cette impulsion donnée par le chef de l’Etat est une grande avancée dans la construction. Maintenant, on ne refuse pas que l’opposition demande deux tours, mais c’est une position qui n’est pas majoritaire parce que nous continuons de croire que certains pays qui ont essayé un système a deux tours l’on soit abandonné, le cas du Congo, soit ils ont fait face à des troubles (le cas de la Côte d’Ivoire). Le système à un tour évite le chantage et le marchandage qu’impose un second tour. Il y a, d’un côté, les considérations liées à des particularismes tels que le tribalisme, le poids de l’argent, la haine contre un candidat particulier animé par les survivants du premier tour. C’est pourquoi, quoique majoritaire, le Rdpc a toujours travaillé avec d’autres forces politiques. C’est une manière de répondre à la nécessité du rassemblement du plus grand nombre que peut exiger un second tour. S’agissant du bulletin unique, c’est une commodité de l’opposition qui n’apporte rien de nouveau au souci de transparence et de vérité des urnes consacrée par la refonte électorale et la biométrie.
Propos recueillis par
Aziz Salatou, Eitel Elessa Mbassi, Moïse Moundi et
Younoussa Ben Moussa