Albert DZONGANG: "La plus grande incongruité a été la sollicitation des moyens de l'Etat pour les obsèques de quelqu'un qu'on dit être tué par ce même Etat"
YAOUNDE - 10 AOUT 2010 © Muna Dimbambe | Aurore Plus "...il faut savoir assumer, quand on demande à faire l'amour avec une folle, elle vous interpellera le jour du marché pour une nouvelle partie..." Albert DZONGANG, PRÉSIDENT DE LA DYNAMIQUE «La plus grande incongruité a été la sollicitation des moyens de l'Etat pour les obsèques de quelqu'un qu'on dit être tué par ce même Etat» Homme politique et notable à l'Ouest, Albert Dzongang donne son point de vue sur les obsèques de Pius Njawe, non sans s'obliger un détour en analysant les mutations sociopolitiques intervenues au Cameroun depuis quelque temps. Président, merci de me recevoir pour cet entretien à bâtons rompus. Que Devient Albert Dzongang ? Vos activités politiques semblent fonctionner au ralenti ? Nous sommes perpétuellement en activité, évitant bien sûr l'activisme des autres leaders. La Dynamique est un parti d'éducation. Pour cela, nous sommes présents à tous les débats contradictoires (ce que redoutent beaucoup d'autres qui préfèrent les monologues des conférences). Nous allons bientôt commencer la campagne d'information sur l'importance de s'inscrire sur la liste électorale et de tout faire pour avoir sa carte de vote. Nous emprunterons pour convaincre les uns et les autres, au Président Américain Abraham Lincoln qui disait «Un bulletin de vote est plus fort qu'une balle de fusil». Les camerounais n'ont pas encore intégré qu'ils ont le gouvernement qu'ils méritent, tant qu'ils ne font aucun effort pour le censurer. La modification de la constitution sur la non-limitation des mandats présidentiels est-elle de nature à rendre le jeu politique plus ouvert ? En démocratie, on ne devrait pas limiter les mandats des dirigeants si ceux-ci émanaient vraiment de la volonté populaire. Là où le bât blesse, c'est que toutes les élections sont truquées dans les pays qui font sauter un verrou sécuritaire, et il n'y a plus de moyen pour éviter le règne à vie. Quand après près de 30 ans de pouvoir on recourt à cette disposition, personne ne peut croire que c'est sans arrière pensée. Le jeu politique se ferme bien au contraire. Comme nous l'avons dit plus haut, seul le peuple doit être maître du changement et de l'alternative au pouvoir. Serez-vous candidat à la prochaine élection présidentielle ? La triste expérience que j'ai eu en 1997 où tous mes résultats ont été confisqués m'a emmené à comprendre que tant que le travail de l'éducation du peuple n'est pas accompli, pour qu'il soit capable de voter et de surveiller son vote, inutile d'aller jouer les faire valoir. Je m'investi dans ce travail pour préparer un jour meilleur, 2011 pourquoi pas, si les acteurs sont prêts. En 1997, les 98 % que j'ai eu à Satie dans les Hauts Plateaux ont été transformés en 5 voix et 00001 %, les cadres de ce village ayant prétendu que si ce résultat était connu, la sanction du pouvoir serait grave pour eux. Il en a été ainsi partout à l'Ouest, avec une variante à Bafoussam sous le Préfet qui m'a laissé mes 12500 voix sur 16000 votants, mais a considéré que tous les non votants ont voté pour le Rdpc, ce qui m'a ramené de près de 98% à 5%. Avec la création de Elecam, êtes vous plus rassuré sur la volonté de transparence du régime dans le cadre du processus électoral ? Le pouvoir a remplacé une tache par un trou. Avec l'Administration Territoriale, il s'agissait quand même des tricheurs sachant au moins de quoi on parlait. Il s'agit avec ELECAM d'un ramassis à la tête duquel trônent les cadres du RDPC dont la survie dépend de la volonté du pouvoir qui les a nommés. Plusieurs étant sous la menace des poursuites judiciaires, ou des recalés aux différentes élections. Une fois de plus, je vous affirme que ELECAM ne peut rien si le peuple est mobilisé, motivé et décidé. Quelle armée pourrait arrêter un million d'hommes en furie en cas de détournement de leur vote ? Le véritable problème des camerounais, c'est qu'ils sont des poltrons, près à mettre leur manquement sur le dos des leaders «d'opposition». Ils oublient que plusieurs parmi ces soit disant opposants même les plus insoupçonnables, souhaitent fortement le maintien au pouvoir de M. Paul BIYA qui est en fait leur complice. Ils redoutent un changement qui pourrait amener à la tête de l'Etat quelqu'un qui leur couperait les vivres, persuadés déjà de leur propre incompétence à ce poste. Ils pratiquent la politique de la terre brûlée «Tant que ce ne sera pas moi, que les choses restent telle quelle». Quelle lecture faites-vous de l'actualité récente avec l'attaque de la CRTV, le cambriolage au Minfi, les rumeurs sur une tentative de coup d'Etat ? Y a-t-il un lien entre tout cela ? Quand la porte du changement par les urnes se ferme plus hermétiquement chaque jour davantage, les citoyens vont dans leurs fantasmes et rêvent de tout ce qui peut défoncer cette porte. Certains les plus idiots vont voir les marabouts, comme si le pouvoir ne connaissait pas lui aussi la route de leurs maisons, d'autres plus croyants vont prier dans les Eglises, les Temples et Mosquées, tandis que les plus réalistes imaginent la solution radicale, le coup d'Etat. Ce coup d'Etat peut être interne ou externe au régime, ou même des anges comme l'avait prédit feu Monseigneur Ndongmo pour le régime Ahidjo. Ces faits que vous signalez, montrent seulement que ça bouge de l'intérieur et que les différents grands s'affrontent, s'espionnent et se font mutuellement peur. Ça peut être aussi une simple mise en scène en prévision des situations futures, pour justifier telles pertes ou disparitions. En réalité ces faits montrent que tout est possible dans ce pays où l'impunité s'est érigée en système de gouvernement, et où la méritocratie a été rangée au placard des souvenirs. Votre absence aux obsèques de Pius Njawe a été remarquée. Comment l'expliquez-vous ? De par ma croyance, j'ai appris à respecter les morts, et crois qu'ils ne sont vraiment pas morts et nous voient de la où ils sont. Il ne faut donc pas faire du cinéma avec un mort. Feu Njawe n'était ni mon ami, ni ma relation suivie. Les obsèques sont une sorte de tontine, et je n'ai pas souvenir l'avoir vu de son vivant à la mort de mes parents. Ceci n'enlève en rien la peine que j'ai eue à l'annonce de sa mort, en pensant surtout à ses enfants, à ceux qui l'aimaient, sans oublier le monde des médias dont il était un grand acteur. J'ai seulement eu un remord de constater qu'il soit mort pour si peu. C'est vraiment un général qui rentre du front et se fait tuer par un vélo. Dès l'annonce de son décès, on a vite entendu les récupérateurs rivaliser d'initiatives et d'invectives, chacun lui trouvant la meilleure cause à son décès, qui va justifier ses sorties post mortuaires, sans honte. Bande de lâches ! Ses grands adversaires sont brusquement devenus ses pleureurs, chacun jurant de le venger contre un ennemi déjà trouvé, le gouvernement. On a commencé par manipuler la conscience populaire en présentant des fausses photos prétendues de son accident pour créer un choc dans l'opinion, afin d'exploiter la mort d'un héros, mort non dans un banal accident de circulation, mais sous le feu de l'adversaire de toujours, le gouvernement camerounais. Du coup, sa mort a donné du crédit à un banal évènement qui devait disparaître comme un feu de paille et a prolongé le débat. La plus grande incongruité a été la sollicitation des moyens de [''État pour les obsèques de quelqu'un qu'on dit être tué par ce même Etat. Chez nous à l'Ouest, 'd'où est aussi originaire ce grand homme, on dit, «quand tu détestes le moineau, tu ne manges pas ses œufs». J'ai parlé du respect du mort, ceci veut dire que ceux qui décident à sa place après lui, doivent devant chaque situation se demander ce qu'aurait fait le mort s'il était là. Ceux qui sont allés prendre l'argent du pouvoir ont prouvé que le mort l'aurait fait de son vivant. Ceux qui condamnent cet acte sans faire au moins comme Judas, qui voyant la peine de Jésus était allé rendre les 3 deniers qu'il avait pris pour le livrer. L'argent de Paul Biya a bien servi aux obsèques et les messages du pouvoir étaient les bienvenus. Plusieurs figures présentes à Douala ou à Bafang sont allées se faire voir certains, pour s'assurer que ce dérangeur est vraiment mis à deux mètres sous terre. « Hypocrisie quand tu nous tiens » ! Ceux qui ont organisé les cérémonies religieuses ne sont pas non plus en reste. De son vivant, Pius Njawe était membre des églises d'éveil, qui rejettent les catholiques et les protestants. Pourquoi les Prêtres et les Pasteurs présents ont fait la messe ? Le théâtre traditionnel n'était pas en reste. Quoique grand notable, de par sa nouvelle religion, il ne pouvait plus satisfaire aux rites traditionnelles qui comprennent le culte du crâne et les funérailles. Les notables qui le transportaient ont-ils de son vivant transporté un autre notable avec lui ? Sur le protocole, il est regrettable ce qui s'est passé. Célestin Monga est le seul bien placé pour faire sans farce ni arrière pensée, l'éloge de Pius Njawe. Les organisateurs qui ignorent la pratique du protocole n'ont pas compris qu'ayant accepté la présence des Autorités Administratives au plus haut niveau, Ministres et Gouverneur, et surtout qu'en donnant la parole au représentant du Chef de l'Etat qu'est le S/Préfet, ce dernier ne peut parler qu'en dernier. D'ailleurs chez les Bamiléké, quand le chef parle c'est pour clore les débats, Je sais que Monga est avisé et réfléchi, et que son discours n'allait pas sortir du contexte. Le gouvernement à semble-t-il à ce que j'ai appris, voulu préserver l'image de l'autorité de l'Etat. Tout ceci montre que ceux qui n'étalent pas présents ont peut-être pleuré le disparu que certains charognards qui y étaient actifs. Les chefs bamiléké pour la plus part n'ont pas montré un empressement particulier lors de ce douloureux évènement Qu'en pensez vous ? La tradition à l'Ouest où je suis grand notable, veut que les chefs des villages ne se déplacent à pareille occasion que sur invitation de leur pair du village des évènements. Si le Chef Babouantou n'a pas jugé utile de déplacer ses collègues, il a sa raison qui peut être relationnelle ou traditionnelle. Peut-être que le fait d'être grand journaliste ne fait pas de vous un ami des chefs bamiléké. Il s'agit quand même du patron d'un organe qui entre autres critiques n'a jamais loupé les chefs qui se sont inféodés au pouvoir au point de devenir plutôt des présidents des comités de base de leur village. Il faut aussi savoir si les organisateurs ont associé l'autorité traditionnelle, et lui ont donné les moyens pour recevoir les autres chefs, j'aillais dire « Rois ». Beaucoup ont salué le geste du président Biya venant en aide à la famille éprouvée, tout en déplorant la publicité faite autour de ce don. N'est ce pas une sorte de récupération politique ? Ce sont ceux qui goûtent aux fruits qui savent s'ils sont sucrés où pas. Je ne fais pas partie des amis du Président Paul BIYA dans le malheur. J'ai perdu Père et Mère et n'ai reçu aucun réconfort de ce côté-là. Ses largesses ont des yeux, pour parler camerounais. En effet, on ne vient au secours en cas de deuil qu'à ses amis, pas ses ennemis et on n'accepte de «Kiwou», colis de deuil que de ses relations. Il y a eu d'autres journalistes morts avant Njawe, je ne sais combien leurs familles ont reçu. Quant à ce que vous appelez publicité, il faut savoir assumer, quand on demande à faire l'amour avec une folle, elle vous interpellera le jour du marché pour une nouvelle partie. J'ai dit plus haut que quand on déteste le moineau, on ne mange pas ses œufs, surtout que le geste du président répond à une demande de la «famille» du regretté. Les récupérateurs politiques étaient nombreux à cette cérémonie sans qu'on sache si le défunt était militant de leurs différents partis. Ils ont tué Njawe une deuxième fois et les jours prochains nous réserveront les surprises. Vous savez bien que chaque fois que le régime aide ses «amis» de l'opposition, soit lors de leurs propres obsèques ou de ceux de leurs proches, il le fait savoir par tous les moyens. Regarder dans votre rétroviseur. Je crois qu'en sollicitant l'aide du pouvoir, la «famille» a démontré que Pius Njawe n'avait ni argent, ni amis pour financer ses obsèques, en dehors de ce dernier, ce qui est grave pour la mémoire du défunt, et injurieux pour ses amis qui étaient prêts à tout prendre en charge, ou ses collègues qui avaient déjà donné le ton. Il y a 6 mois, la CBC était placée sous administration provisoire pour un semestre. Avec le recul que pensez-vous de cette affaire ? C'est une bonne chose que le gouvernement intervienne pour sécuriser l'épargne des citoyens en cas de mauvaise gestion. Seulement, la publicité faite autour de cela par l'autorité monétaire n'était pas de nature à rassurer les clients, et c'est l'effet contraire qu'il faut craindre. La France, l'Amérique ont intervenu chez eux pour sauver les banques en péril, pourquoi pas chez nous ? L'activité économique tourne au ralenti. Les investisseurs se font rares. Le Cameroun est-il un pays à risque économique ? De part ses textes organiques sur la création des entreprises avec un parcours de combattant et des mesures fiscales non excitatives doublé de la voracité des fonctionnaires et une corruption à ciel ouvert, le Cameroun s'est exclu lui-même de la liste des pays où il fait bon investir. Pourtant seuls les investissements privés peuvent aider un pays comme le notre à résoudre l'épineux chômage de près de 80 % de sa population active. |
|