Alassane Ouattara : « L'usage de la force s'impose pour régler la crise »

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Alassane Ouattara : « L'usage de la force s'impose pour régler la crise »
(La Croix 20/01/2011)


Le président élu de Côte d’Ivoire estime qu’il faudra une intervention militaire pour que Laurent Gbagbo quitte le pouvoir

ENTRETIEN
Alassane Ouattara, président élu de Côte d’Ivoire Pour réaliser cet entretien exclusif, le correspondant de La Croix, basé à Abidjan, a dû se rendre à l’hôtel du Golf dans un hélicoptère affrété par les Nations unies. C’est le seul moyen de rencontrer Alassane Ouattara, président élu de la Côte d’Ivoire, retranché dans cet hôtel depuis fin novembre, et encerclé par les forces de Laurent Gbagbo.
"La Croix" : Le premier ministre kényan, Raila Odinga, était lundi et mardi 18 janvier à Abidjan pour une nouvelle médiation. Il vous a rencontré, ainsi que Laurent Gbagbo. Qu’est-ce que cette nouvelle tentative vous inspire ?

Alassane Ouattara : J’ai parlé avec Raila Odinga. Je suis convaincu qu’il va comprendre, comme tous les autres médiateurs, que des discussions n’auront aucun résultat positif sur la résolution pacifique de cette crise, et qu’à un moment donné la décision de prendre d’autres mesures, notamment la force légitime, sera nécessaire.

Comme à son habitude, Laurent Gbagbo a demandé du temps et a fait des promesses qu’évidemment il ne respectera pas. Mais il est clair qu’il veut utiliser ce temps pour importer des armes, des munitions et des mercenaires.
Le dialogue est donc définitivement rompu, selon vous ?

Je suis un homme de dialogue, un homme de paix. Bien sûr, je souhaite une résolution pacifique de cette crise. Ce n’est pas que je ne veux pas discuter, mais je souhaite discuter seulement si Laurent Gbagbo reconnaît que le peuple ivoirien m’a élu président. Mais il ne le veut pas. Le monde entier a reconnu mon élection. Laurent Gbagbo le sait.

Le résultat de l’élection a été certifié par les Nations unies. Il a renversé le résultat. Ce n’est pas démocratique, et ce n’est pas acceptable ! En 2011, il y a aura 18 élections en Afrique. C’est un précédent très dangereux si Laurent Gbagbo arrive à s’en sortir. Le verdict des urnes n’aurait plus aucun intérêt.
Il ne reste plus, selon vous, que l’intervention militaire ?

Quand on est pacifique, comme je le suis, on essaie de trouver toutes les éventualités pour sortir de la crise par une voie pacifique. L’élection a eu lieu le 28 novembre. Cela fait plus d’un mois. Il y a eu de nombreuses missions de la Cedeao (1) et de l’Union africaine.

J’aurais pu dire après les deux premières missions : « Ce n’est pas la peine », mais je veux donner toutes les ouvertures possibles pour que nous puissions y arriver de manière pacifique. Je pense qu’après cette mission, l’Union africaine et la Cedeao comprendront que cette voie n’est plus possible avec Laurent Gbagbo, et qu’il faut avoir recours à d’autres mesures, y compris l’usage de la force.
Vous pensez vraiment que la Cedeao va passer des menaces à une action sur le terrain ?

Tout est en train d’être mis en place. L’intervention militaire est déjà prévue, organisée. Elle sera programmée. J’ai parlé avec le président nigérian Goodluck Jonathan dimanche 16 janvier, il m’a assuré de sa détermination. C’est pour cela que les chefs d’état-major des pays de la Cedeao se sont réunis mardi à Bamako.

Des arrangements sont en cours pour qu’ils aillent faire des reconnaissances à Bouaké, qui sera peut-être le centre de regroupement des soldats. La Côte d’Ivoire ne peut pas continuer comme ça, avec ce monsieur qui se prend pour un président. C’est un clown, et c’est tragique pour notre pays.
Demander à vos partisans de marcher pacifiquement ne serait pas envisageable comme alternative ?

Le 16 décembre, nous avons organisé une manifestation populaire qui a réuni jusqu’à 50 000 personnes dans certains quartiers comme Abobo. Vous avez vu comment les gens ont été massacrés ? Nous avions le choix : soit mettre 100 000 personnes par quartier dès le lendemain, et constater 1 000 ou 2 000 morts, ou accepter pendant une certaine période la voie pacifique.

Nous avons choisi la voie pacifique et nous avons suivi la Cedeao. Elle nous dira dans quelques jours comment elle compte procéder. Je préfère la voie de la Cedeao qui est en réalité de proposer une exfiltration. Il s’agit de venir chercher Laurent Gbagbo, comme cela a été fait pour d’autres chefs d’État en Afrique ou ailleurs.

S’il y a des fidèles qui s’accrochent, ils en feront les frais. Cette solution est meilleure que d’avoir des milliers de morts. J’ai un devoir de protection de tous les citoyens, et de la vie humaine. Je ferai tout ce que je peux pour éviter la violence et la perte de vies humaines.
L’étouffement économique du régime en place paraît connaître des limites ?

Cela reste une option indispensable, et je travaille beaucoup sur cela. Pourtant, du 24 décembre au 14 janvier, le gouvernement illégitime de Laurent Gbagbo a débité sur le compte trésor ivoirien de la banque centrale, basée à Dakar, des sommes d’argent d’un montant de 80 milliards de francs CFA (120 millions d’euros), notamment pour payer les salaires de décembre et les mercenaires.

Alors que j’ai été désigné par les ministres des finances de l’Uemoa (2) comme le seul gestionnaire des finances ivoiriennes. C’est un détournement de deniers publics, qui s’est fait sur instruction du gouverneur et du directeur de la banque centrale à Abidjan. La conférence des chefs d’État de l’Uemoa, le 22 janvier, à Bamako, sera l’occasion de régler définitivement cette question.
La situation économique du pays paraît aussi difficile.

La confiance des investisseurs est désastreuse, c’est pour cela qu’il faut régler rapidement le problème. La Côte d’Ivoire a des fondements économiques très solides, ce qui explique que le pays ait résisté. Le taux de pauvreté est au-delà de 50 %, il était de 49 % il y a deux ans.

Les effets de la situation actuelle sont désastreux : le PIB va chuter, tout comme les exportations et importations. La misère va augmenter. Je ne comprends pas que Laurent Gbagbo puisse infliger de tels maux à son pays. Il ne pense qu’à son pouvoir.
Comprenez-vous l’inquiétude de certains chrétiens qui redoutent la prise de pouvoir d’un musulman, en l’occurrence vous ?

Certains évêques – pas tous – ont pris position en ce sens. Mais je suis très à l’aise sur cette question, car je suis la personne la mieux placée pour rassembler les Ivoiriens. Je suis musulman, mon épouse est chrétienne catholique, et mes enfants sont chrétiens protestants. Ma famille est œcuménique. Il n’y a pas de souci à se faire.

J’ai eu de forts taux de vote en ma faveur aussi bien dans le nord, dans le centre que dans le sud du pays. Quelques personnes essaient d’introduire la religion dans le débat, mais fondamentalement, elle n’y a pas sa place.

Recueilli par Olivier MONNIER (à Abidjan)

(1) Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest.
(2) Union économique et monétaire ouest-africaine.

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20/01/2011
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