Afrique : Roufaou Oumarou "...arrêter de nous ridiculiser en appelant nos propres langues “dialectes“ ou pire “patois“. "
Afrique : Roufaou Oumarou "...arrêter de nous ridiculiser en appelant nos propres langues “dialectes“ ou pire “patois“. "
Cette semaine, les langues du Grand-Nord Cameroun sont à l'honneur de notre projet sur la promotion de nos langues et cultures africaines. Pour en savoir plus, la rédaction de Camer.be s'est rendue à Aachen pour s'entretenir avec Mr. Roufaou Oumarou. [...) La Libération de la femme est une partie intégrante de la Libération de l’Afrique[...] Le travail à faire pour décomplexer les jeunes, réparer les dégâts causés par le système éducatif néo-colonial que nous avons, créer les conditions pédagogiques et matérielles de l’apprentissage des langues est si énorme que les seules initiatives privées ne suffiront pas.
Monsieur Roufaou, Bonjour! Merci de nous accorder cette interview, d'entrée de jeu, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs et lectrices?
Je suis originaire de Meiganga, la meilleure ville du Cameroun (rires) et ma ville d’adoption est Aachen, située très précisément au coin frontière entre la Belgique, l’Allemagne et la Hollande. C’est la ville de l’empereur Charlemagne, raison pour laquelle on l’appelle Kaiserstadt.Je suis informaticien de formation et c’est dans l’Informatique que je réussis à concilier gagne-pain et hobby. Ma première passion est cependant la lecture et l’écriture, c’est ce qui m’a permis de pouvoir sortir assez tôt du carcan étroit de l’éducation néo coloniale que les Français nous ont laissé.J’ai eu la chance de grandir dans un environnement culturel qui était réellement le Cameroun en miniature: mes parents comptaient parmi leurs amis des gens de toutes les religions, des gens originaires de tous les coins du Cameroun, des Centrafricains, Nigérians, et Tchadiens. Une autre chance que j’ai eue est aussi d’avoir fait mes études primaires et secondaires à l’époque où la Crise n’avait pas encore terrassé le système éducatif au Cameroun, les enseignants venaient de tous les coins du Cameroun, étaient très motivés et avaient une très haute image de leur profession.
Que regroupent pour vous les différentes cultures Africaines?
Les cultures africaines sont très riches et créatives. Elles ont généralement une vision du Monde qui, bien que plaçant l’Homme au centre de la Création, veuille à ce que l’être humain vive en Harmonie avec la Nature (précision: bien loin de moi la vision bancal et exotique des ethnologues occidentaux). Cette vision est menacée par l’urbanisation et les difficultés de la vie, liées notamment au réchauffement climatique, mais elle n’a pas fondamentalement changée.
Quelles réflexions vous inspire la situation actuelle de nos langues nationales?
Je suis heureux que vous me posiez cette question. On ne peut parler de nos langues sans parler d’une maladie mentale grave, maladie typique des pays anciennement colonisés par la France, assez courante chez certains Camerounais, qui se recrutent malheureusement surtout parmi ceux qui ont fait des études: le manque de considération pour leurs langues maternelles. Posez la question « quelle est ta langue maternelle » et vous aurez la réponse « mon patois est le… ». C’est grave, douloureux et insupportable. Et inexplicable, que des êtres humains, héritiers de cultures si riches comme la notre, aient permis qu’une chose aussi méprisante puisse rester encrée dans leur tête.
Je rappelle qu’il n y a pas si longtemps que le Dictionnaire de l’Académie française définissait le Patois ainsi: « langage rustique, grossier, comme celui d’un paysan, ou du bas peuple ». Le message que l’idéologie coloniale voulait faire passer en tentant d’imposer cet infâme vocabulaire est le suivant : Français = langue du salut, de la modernité et de l’évolué et Langues nationales = “patois“, sauvage, limité intellectuellement, incapable d’exprimer des sentiments, de la musique ou de l’art. C’était une démarche de déshumanisation, d’infériorisation, d’illégitimation et de stigmatisation. Un matraquage violent appliqué sous la Colonisation et poursuivit par les premiers régimes post-indépendantistes a mené à ce qu’en Afrique dite francophone le français est devenu une langue "de dépendance et de négation de l'être originel" (Ambroise Kom).
Le terme « patois » est donc stigmatisant et constitue une forme de discrimination raciale. Notre drame est que nous continuons nous-mêmes à ânonner ce que le Colon a matraqué dans nos crânes. C’est comme si votre ennemi, à force de vous dire que vous êtes un âne, parvient effectivement à ce que vous vous présentiez partout vous-même comme un âne. Je m’excuse de la dureté de mes mots, mais les choses sont exactement comme cela.
Il faut savoir qu’on ne parle de dialectes et de patois qu’au sein d’une même langue. Par exemple lorsque l’on pense au Fulfulde au Nord Cameroun, on peut parler du Dialecte de Maroua ou au niveau d’un quartier ou d’un village de patois, c’est à dire une variation strictement régionale ou locale d’une langue. Mais appeler le Duala'a, le Basa'a, l’Ewondo, le Gbaya, le Haussa ou le Fulfulde dialecte ou patois est franchement pure ignorance, légèreté et mépris de soi.
Il faut quand même s’étonner du fait que les Xhosa, les Zulu, les Indonésiens, les Danois, les Roumains, les Corses, les Bretons, etc sont fières d’utiliser leurs langues, font tout pour imposer et renforcer l’usage de ces langues au 21ème siècle et nous au Cameroun on continue à parler de patois lorsqu’on pense Duala'a ou Basa'a. C’est absurde, il faut arrêter, il faut (ré-)cracher cette maladie mentale. Et ça c’est un devoir suprême et individuel que chacun doit faire à son niveau.
Enfin je voudrais vous livrer cette réflexion de l'universitaire nigérien Chaibou Elhadji OUMAROU qui disait, lors d'un Colloque qui a eu lieu à Bucarest en 2006 sur le thème « Expériences et mémoire : partager en français la diversité du Monde » ceci : « les linguistes s'accordent pour reconnaître que, dans le meilleur des cas, pas plus de 10% de la population des pays francophones d'Afrique maîtrisent véritablement le français », et de citer un chiffre avancé par Amboise Kom : « au Sénégal 10% de la population maîtrise véritablement le Français »
Comment peut-on motiver les jeunes Camerounais(es) à apprendre à lire et écrire différentes langues nationales camerounaises?
Pour motiver les jeunes à apprendre et à utiliser nos langues maternelles il faut donc commencer par les réhabiliter dans notre propre subconscient. « Liberate yourself from mental slavery ». Spécialement pour nous Camerounais: arrêter de nous ridiculiser en appelant nos propres langues “dialectes“ ou pire “patois“.
Pour ce qui est des jeunes, à mon humble avis les élites et les gouvernements africains doivent jouer dans cette problématique un rôle central. Le travail à faire pour décomplexer les jeunes, réparer les dégâts causés par le système éducatif néo-colonial que nous avons, créer les conditions pédagogiques et matérielles de l’apprentissage des langues est si énorme que les seules initiatives privées ne suffiront pas. L'Union Africaine et les États de notre Continent doivent prendre leurs responsabilités.
En attendant c’est à chacun de faire le travail à son niveau. Nous avancerions beaucoup si par exemple chaque africain, chaque africaine se faisait un point d’honneur à transmettre sa langue à ses enfants. J’ai toujours du mal à comprendre les parents qui parlent entre eux leurs langues maternelles mais qui parlent le Français ou l’Allemand à leur enfant.
Parlons en des langues nationales Camerounaises, quelles sont les grandes langues parlées et écrites du Grand Nord?
Le Grand-Nord est très riche en matière de langues nationales. La première langue de communication est le Fulfulde, ceci pour des raisons historiques. Puis vous avez le Gbaya, le Mbum, le Haoussa, le Kanuri, le Moundang, le Toupouri, le Guider, l’Arabe Choa, le Kotoko, le Mafa, etc. Toutes ces langues sont bien parlées par plusieurs milliers à plusieurs millions de locuteurs.
La plus part de ces langues sont actuellement écrites, soit avec l’alphabet latin soit avec l’alphabet arabe: le Fulfulde, le Kanuri, le Gbaya, le Haoussa, le Toupouri, le Moundang, l’Arabe Choa, le Kotoko, etc.
La question de l’écriture n’est pratiquement plus un problème pour nos langues, à supposer que cette question ait jamais été un problème. Certaines langues telles que le Fulfulde, le Haussa ou le Kotoko sont écrite depuis des siècles, d’autres ont adopté plus récemment les caractères latins. A partir de 1966 beaucoup de gouvernements ou des communautés ont adopté des systèmes standards pour écrire nos langues.
Quelles sont les régions du Cameroun et pays africains qui parlent ces différentes langues (Fulfulde, Mafa, etc …)
Beaucoup de langues parlées au Nord-Cameroun sont parlées aussi dans les pays frontaliers: Nigeria, Tchad et Centrafrique (parfois jusqu’au Soudan comme dans le cas du Fulfulde et du Gbaya). Il serait fastidieux pour moi de citer chaque langue avec les pays où ces langues sont parlées. Ce que je voudrais souligner est simplement le fait que le Nord-Cameroun, sur le plan humain, linguistique, culturel, ne peut pas être vu de manière isolé par rapport aux voisins. Ils y a des liens séculaires très forts qui peuvent former une bonne base pour l’intégration régionale. Qu’on ne vienne jamais nous dire que les peuples forment un obstacle à l’intégration régionale.
Le Fulfulde est la langue la plus parlé dans toute l’Afrique de l’Ouest (Mauritanie, Sénégal, Liberia, Sierra-Léone, Guinée, Burkina Faso, Côte d’ivoire, Niger, Nigeria, Ghana, Togo, Benin, etc), dans une bonne partie de l’Afrique centrale (Cameroun, Tchad, Centrafrique, Gabon), puis de manière marginale en Afrique de l’Est (Soudan notamment) et en Afrique australe (Angola, Mozambique). Le Haussa, une autre langue à dimension internationale, utilisée par plusieurs chaines de radios et télévisions internationales comme la BBC, Voice of America, etc. Elle est parlée entre autre dans les pays suivants: Ghana, Benin, Nigeria, Cameroun, Tchad, Niger, Burkina Faso, Sénégal, Togo, etc. Le Moundang est parlé au Tchad et au Cameroun; le Mafa se retrouve au Cameroun, au Tchad et au Nigeria, le Kanuri est parlé au Nigeria, au Tchad, au Soudan, en Lybie et au Niger.
De toutes ses langues nationales du Grand-Nord, lesquelles parlez et écrivez-vous?
Je parle et écrit le Fulfulde et le Haussa, quand au Gbaya je le parle un petit peu (à ma grande honte j’avoue que les années en Europe ont leur impact négatif sur ce plan).
Les langues nationales Camerounaises du Grand-nord sont-elles en chute ou en progression depuis les indépendances?
Je ne dispose pas de données scientifiques pour répondre à la question, je ne peux donc que me référer à ce que je lis ici et là et aux expériences pratiques que j’ai vécus. En nombre je dirais qu‘elles sont certainement en chute, comme beaucoup de langues africaines. Mais en ce qui concerne l’utilisation et la place des langues dans la société, je dois dire qu’il y a plutôt, Dieu merci, Renaissance.
La fin salutaire du Parti Unique et de la pensée unique qu’il comportait, à la fin des années 80, a entrainé une grande libération des esprits et laissé s’exclamer les revendications identitaires. Moi je suis heureux qu’une des premières choses que beaucoup de gens au Nord ont revendiquées ou bien se soient organisés pour réhabiliter, ce sont les langues. Je connais des Toupouri, des Gbaya, des Peuls, des Moundang, etc qui, parfois au delà même de leurs sphères culturelles, se sont engagés pour ré-dynamiser et réhabiliter leurs langues. C’est un travail de longue haleine. Je prends le risque de dire ici que moi je ne veux pas de la fameuse unité nationale si le prix à payer est la disparition de nos langues nationales.
Je signale aussi le fait que la CRTV a élargi ses programmes en langues nationales pour englober plus de langues parmi les plus importantes, ce qui est absolument heureux. Je pense que toutes les langues ont leurs valeurs et il ne faut pas s’inquiéter du nombre, mais se réjouir de la richesse que ces langues portes.
La langue c’est l’identité. Si vous méprisez votre langue maternelle (et c’est bien le cas lorsque vous utilisez le terme “patois“ pour désigner le Medumba, Basa'a, le Duala'a ou le Fulfulde) alors vous méprisez en même temps, consciemment ou inconsciemment, votre propre identité. Dès ce moment il n’est pas étonnant que vous n’ayez pas confiance en vous, que vous croyiez toujours avoir besoin des autres pour développer votre pays.
Certaines langues patriotes suggèrent que dans l'avenir pour travailler dans l'administration il faudrait être à mesure de s'exprimer en 10 Langues Nationales Camerounaises, quel est votre avis? Et quelles pourront être ces langues là?
Dix langues c’est irréaliste et même inutile, mais par exemple deux ou trois, je pense que c’est faisable et c’est nécessaire. Et puis il faut arrêter une escroquerie mentale, encore une fois répandue par les tenants de la domination des langues étrangères: dans quelle administration au Cameroun avez-vous besoin de 10 langues nationales pour servir tout le monde ? Il ne faut pas exagérer nos diversités. Partout il suffit de parler maximum 3 langues pour s’entendre avec tout le monde.
A N’Gaoundéré si vous parlez le Fulfulde, le Mbum et/ou le Haussa vous pourrez communiquez avec tout le monde. A Douala, selon les quartiers, la maîtrise de deux langues nationales plus le pidgin vous permettra de communiquer avec tout le monde. A Maroua ce sont par exemple le Fulfulde, le Guiziga ou le Moundang. A Guider le Fulfulde et le Guider peuvent vous suffirent. Où est le problème ?
Ce qui devrait à mon être avis interdit c’est d’avoir des fonctionnaires de l'État, travaillant dans des postes où le contact avec le public est important et qui ne parlent aucune langue de la zone dans laquelle ils travaillent.
Un message aux femmes africaines
D’abord je voudrais leur exprimer mon admiration. La femme africaine est celle qui porte notre Continent, c’est la première gardienne de nos valeurs. Il est dommage qu’un peu partout ses Droits fondamentaux soient bafoués par les hommes. Sans la libération totale et l’épanouissement de la femme africaine l’Afrique ne se développera jamais.
Ce que je peux dire aux Femmes c’est de continuer leur combat, de s’éduquer et d’éduquer leurs filles. Dans certaines sociétés par exemple l’idée que la Femme n’est pas l’égale de l’Homme est transmise, inconsciemment, par des mères elles-mêmes victimes de lavages de cerveau. Il faut se libérer de cela. La Libération de la femme est une partie intégrante de la Libération de l’Afrique, c’est certainement à cela aussi que le Grand Bob Marley pensait en disant « liberate yourselves from mental slavery »
Un vœu pour l'Afrique?
Oui, le vœu que ses enfants se concentrent sur leurs forces et arrêtent de singer les autres. Cela vaut à double sens: refuser que les autres nous dominent et décident à notre place, mais refuser aussi par exemple, au nom d’un anti-occidentalisme d’un autre âge, d’accepter des dirigeants médiocres juste parce qu’ils ont une brillante rhétorique anti-occidentale. Il faut voir ce qu’ils apportent au quotidien à leurs peuples et non ce qu’ils disent.
Le vœu que plus d’Africains se battent pour le triomphe de certaines valeurs comme la Liberté, la Démocratie, le Respect des Droits de l’Homme, qui, je le appelle, sont des valeurs universelles et non des valeurs occidentales. Que plus d’Africains se lèvent contre le gaspillage et la braderie de nos ressources.
Qu’enfin plus d’Africains se lèvent pour la ré-dynamisation de nos langues, pour l’utilisation de ces langues dans les administrations, dans l’enseignement et dans les sciences.
Une question d'ordre personnel, qu'a-t-il de particulier dans ton village, la langue maternelle parlée et l'activité principale des populations?
Je viens de Meiganga, qui est vraiment un Cameroun en miniature en termes de populations représentées. Les plus grandes langues qui y sont parlées sont le Gbaya, le Fulfulde et le Mbum. Les activités principales de populations sont l’agriculture, l’élevage et le commerce. On avait une petite industrie de conditionnement de Miel mais je ne sais pas si elle a survécu à la crise.
Une dernière question, dans votre site (http://www.oumarou.net/), il y a un article sur le lac Tchad paru le 14 février 2010, intitulé: „Le lac Tchad se meurt...! “, que se passe-t-il réellement dans cette région regroupant le Cameroun, le Niger, Nigeria et le Tchad?
Il se passe des choses dramatiques dans cette région. En premier lieu les conséquences tragiques du changement climatique, dont la plus visible est l’assèchement du Lac Tchad. Je ne sais pas si vous pouvez vous imaginer ce que signifie qu’un lac a perdu 80% de sa surface en 40 ans, essentiellement du fait de l’action de l’Homme. J’invite les lecteurs intéressés à voir les images satellites. Ils comprendront le drame. Les répercussions sont terribles pour toute la population de la région, pour les agriculteurs, les pêcheurs et différents acteurs économiques. Le plus frustrant est que les gouvernements locaux ne font rien, rien du tout.
Le deuxième fléau est l’insécurité, avec les coupeurs de route et les bandits de grands chemins qui continue à faire des dégâts. Des actions sont prises par différents gouvernements, mais jusqu’ici les résultats sont franchement nuls. Il manque toujours une approche sous-régionale efficace.
La suite de cette interview pour la prochaine édition...
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© Camer.be : Interview réalisée par Lydie Seuleu