Afrique Media : Le jeu trouble d’une chaine qui dérange
Au-delà du principe de la liberté d’expression qu’il faut défendre, il se pose la question de l’éthique professionnelle de ce média qui affiche son soutien au pouvoir de Yaoundé et à certaines dictatures africaines.
C’est un phénomène. Comment l’ignorer ? La chaine de télévision Afrique Media, qui fait l’objet d’une suspension du Conseil national de la Communication (Cnc), a cumulé du crédit au sein des populations camerounaises et africaines, au point de devenir aujourd’hui un exutoire idéal pour un peuple qui nourrit le ressentiment de la spoliation coloniale. En la matière, Justin Tagouh, le promoteur de cette télé à l’accent vindicatif,n’a pas inventé le fil à couper le beurre. Il a simplement dépoussiéré un disque ancien,mais toujours percutant. Son discours : l’Occident colonisateur est responsable de tous nos malheurs, il faut le combattre avec une véhémence absolue. Sa méthode :une version revue et corrigée de la télévision sous les tropiques. Des débats qui durent une demi-journée, des appels à la haine et au soulèvement contre « l’ennemi » blanc, des documentaires (importés de chez les blancs !) pour déconstruire le complot postcolonial.
Le tout mariné à la sauce d’une palette de consultants qui rivalisent de talents sur le terrain de la pénitence postcoloniale et du délire de grandes pleureuses. Et on peut dire que l’offre d’Afrique Media trouve preneur, au vu de l’engouement qu’elle suscite chez un peuple laminé pas l’oppression et confiné dans un dolorisme paralysant.
Dilemme
Pourtant, l’impérialisme postcolonial et ses avatars doivent être combattus. Et il existe des moyens plus élaborés de s’attaquer au piège de la reproduction colonialiste, en s’éloignant de la posture rébarbative d’une victimisation expiatoire. Par un journalisme d’investigation, des enquêtes sur l’hégémonie capitaliste d’une mondialisation foudroyante, des analyses éclairées sur le jeu de l’assimilation et de l’homogénéisation culturelle de la planète, il est possible de donner le change au totalitarisme médiatique venu d’Europe. Mais de ce thélà, Tagouh et ses amis n’en veulent pas. Diatribes cinglantes, attaques frontales, pulsions xénophobes sont le lot quotidien de cette chaine qui ravale les principes élémentaires du journalisme au sous-sol.
Pour innocente qu’elle puisse paraitre, la démarche ne relève point du hasard. Il s’agit d’une approche populiste, car Afrique Media a un autre agenda. La chaine veut disculper les dictatures africaines incapables de subvenir aux besoins élémentaires d’une population qui croupit dans la misère la plus abjecte. Ainsi donc, s’il n’y a pas d’eau à Maroua, c’est la faute aux colons qui seraient venus assécher nos fleuves. S’iln’y a pas d’électricité à Kolofata, c’est encore la faute à ces blancs qui, de toutes façons, ne nous aiment pas. Forçons ainsi la caricature pour faire comprendre les choses. La trame du discours de cette chaine qui déchaine vise à dédouaner les responsables des dictatures africaines de leurs échecs lamentables. Normal donc que ses principaux soutiens se recrutent parmi les potentats du continent.
Normal qu’Obiang Nguema Mbasogo y a trouvé un allié objectif pour se dépêtrer du scandale de biens mal acquis qui l’éclabousse en France. Normal que Paul Biya lui apporte son appui discret mais constant, pour dissimuler son bilan catastrophique à la tête du Cameroun. Mais, comme même les plans les plus machiavéliques ont toujours des failles, le pouvoir de Yaoundé se retrouve aujourd’hui pris à son propre jeu. Il se doit de choisir entre un Cnc, qu’il a lui-même créé, et dont il a nommé les membres, et une chaine de télévision qu’il couve de son attention, parce qu’elle l’aide à maintenir un pouvoir sénile et vacillant. Là est tout le dilemme de l’exécution de cette sentence du Conseil. Il repose le problème de l’émergence d’une presse libre, professionnelle et crédible au Cameroun. A l’évidence, le régime de Yaoundé ne s’en est jamais préoccupé.
Lui qui n’a toujours eu pour souci que de manipuler la presse pour servir des desseins bassement politiciens. A lui de s’occuper de cet autre monstre sorti tout droit de ses laboratoires.