Afrique : la tentation monarchique du pouvoir
Au cours du voyage qu’il effectua en Afrique en juillet 2009, le président américain, Barak Obama, lança aux Africains un avertissement qui avait valeur de défi. L’Afrique, disait-il, n’a pas besoin d’hommes forts; ce qu’il lui faut, ce sont des institutions stables et démocratiques. Cette affirmation de la primauté des institutions sur les hommes devrait figurer au frontispice de nos édifices publics. Elle n’est pas encore ancrée dans notre culture et dans nos mœurs politiques.
Au cours des décennies écoulées, les tentatives de violation flagrante de la Constitution n’ont pas manqué en Afrique. En Zambie par exemple, le président Frederick Chiluba a tenté de modifier la Constitution pour s’octroyer un troisième mandat. Plus récemment, Abdoulaye Wade a voulu user d’un subterfuge juridique pour changer la Constitution sénégalaise. Son but inavoué était de transmettre, le moment venu, le pouvoir à son fils Karim Wade. Dans les deux cas, fort heureusement, le peuple s’est opposé à la dérive dictatoriale du président élu.
Le cas du Niger est singulier en ce sens que, dans ce pays, c’est paradoxalement l’armée qui s’est portée garante de la continuité institutionnelle. En 2010, elle a fait respecter la volonté du peuple en renversant le président Mamadou Tandja qui avait fait modifier la Constitution afin de se représenter aux élections présidentielles. Fait extrêmement rare en Afrique, l’armée nigérienne n’est pas tribalisée. C’est une armée républicaine qui s’est toujours placée au-dessus de la mêlée politique et a su intervenir pour contrecarrer les velléités dictatoriales des présidents élus.
Henri Kissinger, l’ancien secrétaire d’État américain, prétendait, en orfèvre, que le pouvoir est un aphrodisiaque. Paul Biya au Cameroun, Blaise Comparé au Burkina Faso et Robert Mugabe au Zimbabwe, en savent quelque chose des délices du pouvoir. Drogués par les honneurs et aveuglés par les faveurs du trône, ils en sont tous arrivés, après plus de trente ans de règne, à s’inventer une mythologie du pouvoir. Pour eux et bien d’autres en Afrique, le pouvoir est un don du Ciel et celui qui le détient doit être adulé. C’est malheureusement cette conception divine du pouvoir qu’ils ont toujours essayé de disséminer parmi les masses africaines encouragées à la soumission.
Pour légitimer sa durée au pouvoir, le leader charismatique entretient parfois la théorie du vide. Guide « éclairé » de la Nation, il ne voit personne d’autre capable de diriger le pays et agite le spectre du chaos après son départ. Pareils propos étaient récurrents dans les discours de Kamuzu Banda au Malawi et Mobutu Sese Seko au Zaïre. Sur un ton prophétique, l’un et l’autre ne cessaient d’annoncer le déluge après eux. La vérité est que, en Afrique, la plupart de nos chefs d’État ont mis en place un système autocratique hautement personnalisé. Bien que le leader crée autour de lui des institutions, son pouvoir restera individuel s’il ne se soumet pas lui-même aux dites institutions et si, en conséquence, celles-ci ne lui survivent pas.
L’envahissement de l’État par la famille présidentielle constitue l’un des symptômes de la dégénérescence du pouvoir en Afrique. Sitôt élu, le président s’entoure des siens. Sa famille élargie s’installe au palais. Au fil des ans, elle met la main sur les rouages stratégiques de l’économie. Dans la plupart des pays, la collusion entre la famille présidentielle et les milieux d’affaires constitue la source de la corruption officielle qui ronge le pays. La présidence devient le réceptacle des intrigues politiques, le lieu géométrique de toutes les magouilles, le centre occulte où sont monnayées les licences commerciales attribuées à quelques commerçants véreux de la capitale. Exemplaire est, à cet égard, le cas tunisien. La famille de Le?la Trabelsi, seconde épouse du président Zine El Abidine Ben Ali, s’est arrogé les richesses de la Tunisie depuis le milieu des années 1990, usant d’alliances, de corruption et de menaces.
Le phénomène de l’accaparement de l’État par la famille présidentielle existe au Togo depuis plus de quatre décennies. Venu au pouvoir par un coup d’état, Gnassingbé Eyadema a fondé son régime sur la division ethnique et régionale. Sous son règne, la plupart des hauts cadres de l’armée et de la police étaient issus du nord, sa région d’origine. Cette stratégie visait à pérenniser la mainmise des ressortissants du nord sur l’appareil d’État. Elle fut mise à exécution avec beaucoup de succès puisque, après la mort du dictateur, l’armée installa son fils Faure Gnassingbé au pouvoir comme président. Face aux pressions internationales, il dut renoncer temporairement à la présidence pour organiser des élections sur mesure dont l’issue ne faisait aucun doute.
En Guinée équatoriale, depuis l’accession du pays à l’indépendance en 1968, le peuple croupit sous une dynastie de fait, celle des Nguéma. Depuis la révolution de palais de 1979 qui avait entrainé la chute du tyran Francisco Macias Nguéma, la Guinée équatoriale est dirigée par son neveu Teodoro Obiang Nguéma. La famille Nguéma règne sur le pays d’une main de fer. Successeur désigné, le fils de Teodoro Obiang Nguéma est connu dans le monde entier pour ses extravagances, son goût immodéré pour le luxe et sa propension à dilapider les fonds publics à l’étranger.
Malheureusement, la dynastie équato-guinéenne, l’une des plus archaïques du continent, semble avoir fait des émules en Afrique centrale. Depuis qu’il s’est emparé du pouvoir en 1990 à la faveur d’un coup d’État, Idriss Deby Itno a transformé l’État tchadien en une véritable entreprise familiale. Le 9 mai, il a nommé son fils Zacharia au poste de directeur de cabinet civil adjoint à la présidence en remplacement de son frère Brahim décédé en France en 2007. Cultivant la méfiance à l’extrême, ce sont désormais ses enfants qui forment l’ossature de la sécurité présidentielle. Ainsi, le lieutenant-colonel Nassour Idriss Deby assure les fonctions de chef d’état-major particulier adjoint de son père. Daoussa Idriss Deby s’occupe des projets présidentiels, tandis qu’Adam Idriss Deby gère l’intendance. Quant à leur sœur Amira Idriss Deby, elle est chargée des approvisionnements.
Le Congo Brazzaville n’a pas échappé à la fièvre de la dérive dynastique. Les récentes décisions de Sassou Nguesso traduisent son intention de positionner son fils sur la scène politique nationale. En juillet dernier, Denis Christel, le fils du président, a remporté les élections législatives de la localité d’Oyo, située au nord du pays. Nul doute que cette entrée à l’Assemblée nationale va susciter des ambitions politiques chez le fiston.
Fragilisée par les mégalo-bouffonneries de Bokassa, la République Centrafricaine titube, dolente et patraque, à la recherche de son destin. Toute la vie politique se résume en une alternance de régimes dictatoriaux qui ne se sont maintenus que grâce à la répression. Venu au pouvoir par un coup d’État, l’actuel président, François Bozizé, prépare patiemment sa succession en plaçant son fils Francis Bozizé au poste stratégique de ministre de la défense. Non content de contrôler le pouvoir exécutif, le président part désormais à la conquête du pouvoir législatif. C’est ainsi qu’il vient de se faire élire lui-même, sa femme Monique ainsi que deux de leurs enfants à l’Assemblée nationale centrafricaine.
C’est un fait que, dans nombre de pays africains, le palais présidentiel finit par se transformer en une véritable Cour royale où s’affrontent les clans rivaux du régime. S’y retrouvent des courtisans qui rivalisent de flagorneries et forment des alliances antagoniques autour des membres de la famille présidentielle. Si ces derniers sont tant sollicités, c’est parce qu’ils ont toujours eu leur mot à dire dans les nominations de hauts fonctionnaires, l’octroi de contrats publics ou l’attribution de licences à des investisseurs étrangers. Au Cameroun par exemple, lors du dernier remaniement ministériel, les réseaux incontrôlés de Madame Biya auraient imposé plus de la moitié des ministres au président de la République.
Très actifs dans les affaires, les membres de la famille présidentielle ne manquent pourtant pas d’ambitions politiques. Si Houphouët Boigny, Léopold Sédar Senghor et Julius Nyerere ont totalement écarté leurs familles de la gestion des affaires publiques, il en va tout autrement de la génération actuelle. Hosni Moubarak, Mouammar Kadhafi et Abdoulaye Wade avaient clairement affiché leurs désirs d’une succession dynastique. Ils étaient convaincus qu’après eux, le trône devait nécessairement revenir à la progéniture. D’où l’idée d’associer leurs enfants au pouvoir afin de leur faire partager l’autorité du père.
Nulle part en Afrique, la mainmise de la famille sur l’appareil d’État fut aussi effective qu’au Gabon. Pour préparer ses enfants à la succession, Oumar Bongo a placé sa famille au cœur de l’État gabonais. Le clan Bongo a contrôlé l’administration, l’économie et les médias du pays. Pascaline Mferri Bongo Ondimba, la fille aînée d’Omar Bongo, a d’abord occupé le portefeuille des Affaires étrangères qu’elle céda, trois ans plus tard à Jean Ping, le père de ses deux enfants. Sitôt rentré au pays après ses études en France, Ali Bongo Ondimba, le fils du président, se vit confier les fonctions les plus importantes du gouvernement. Après le ministère des Affaires étrangères qu’il dirigea de 1989 jusqu’à 1991, il fut successivement député à l’Assemblée nationale puis ministre de la Défense, poste qu’il occupa jusqu’à la mort de son père en 2009. Ainsi, la machine du clan Bongo était bien huilée pour propulser, grâce à une fraude électorale massive, le fils dans le fauteuil initialement occupé par le père.
Sans désigner explicitement un dauphin, quelques autres chefs d’État africains ont cependant emboîté le pas aux adeptes de la succession dynastique. En Guinée, après l’avoir maintenu discrètement dans l’ombre, Alpha Condé a nommé son fils au poste de conseiller chargé des questions minières à la présidence de la République. La thèse officielle est que le fils possède des compétences linguistiques et une expérience professionnelle particulière qui justifient sa présence au palais présidentiel Sékhoutoureya. Les Guinéens ne savent pas s’il faut en rire ou en pleurer. Il y a plutôt de quoi en pleurer. Car, la présence de ce jeune homme dans les délégations guinéennes, comme ce fut récemment le cas au Brésil, n’est pas de nature à rassurer nos partenaires étrangers. Quant aux Guinéens, ils veulent, à juste raison, en savoir davantage sur le parcours académique et l’expertise dans les questions minières de ce fils auquel on semble tout offrir sur un plateau d’argent.
Si, en Afrique, l’ère des coups d’État est presque révolue, les présidents élus n’hésitent pas encore à fouler la Constitution au sol. La séparation des pouvoirs n’existe que dans quelques rares pays. Les Assemblées nationales ne sont que des chambres d’enregistrement du pouvoir. Désignés par le président de la République, les membres des instances juridiques supérieures (Cour Suprême, Conseil constitutionnel) n’obéissent qu’à la volonté du Chef de l’État. En Côte d’Ivoire par exemple, après les élections présidentielles de 2010, les résultats de la Commission électorale indépendante, qui donnaient Alassane Ouattara vainqueur, ont été invalidés par le Conseil constitutionnel. L’institution, seule habilitée à proclamer les résultats définitifs, était présidée par un proche de Laurent Gbagbo.
Comme on le voit, le malheur de l’Afrique vient, dans une large mesure, de l’exercice personnalisé du pouvoir et son mode de transmission. La dérive monarchique de nos dirigeants résulte de l’étendue des pouvoirs dont ils disposent seuls, de façon inconditionnée. Des signes encourageants apparaissent dans certains pays qui ont inscrit dans leur constitution la limitation de la durée du mandat présidentiel. Mais quelques hirondelles ne feront pas le printemps en Afrique. Plus que jamais, il faut renforcer les instances de contrepouvoir et les mécanismes de contrôle du pouvoir exécutif.