AFRIQUE DU SUD • Nelson Mandela va mourir, c’est triste mais tout ira bien
- GroundUp |
- Nathan Geffen |
- 24 juin 2013
Certains d'entre eux se couvrent de ridicule en faisant croire à un démantèlement du pays à la mort de l'ancien Président. Une version encore plus raffinée a été publiée par le quotidien britannique The Telegraph, sous la plume de David Blair"Tant qu'il est encore là, écrivait Blair, les Sud-Africains estiment que leurs dirigeants actuels respecteront peut-être un peu mieux les principes qui ont présidé à la renaissance de la nation il y a 18 ans. Les étrangers ne le comprennent pas vraiment, mais Mandela s'en porte toujours garant, avec tout ce que cela comporte comme promesses et idéalisme".
Eh bien ! Je suis Sud-Africain et je ne crois pas à cette thèse. Franchement, M. Blair, je crains que vous ne disiez des bêtises. Mandela a quitté la vie politique il y a de cela quelques années. Depuis, il n'y joue pratiquement plus aucun rôle. Notre pays reste uni non pas grâce au Nelson Mandela actuel, mais à ce qu'il avait fait durant toute sa vie, une vie qui aujourd'hui, tristement mais inévitablement, arrive doucement à son terme. L'intégrité de l'Afrique du Sud reste préservée également parce que nous vivons dans une démocratie constitutionnelle qui marche plus ou moins, mettant en présence d'innombrables forces qui se contrebalancent les unes les autres : syndicats, organisations militantes de la société civile, partis d'opposition, entreprises, tous plus puissants les uns que les autres, ainsi que les quelques bons éléments qui restent dans l'African National Congress (ANC), quelques tribunaux efficaces et une presse libre et dynamique.
Rien n'est garanti.
L'Afrique du Sud peut tout aussi bien tomber dans un gouffre - et un autre
mandat pour le Président Zuma en accroît le risque - mais à mon avis, cela est
peu probable. Néanmoins, que l'Afrique du Sud demeure prospère ou se
désintègre ou -scénario le plus vraisemblable - continue simplement d'avancer cahin-caha, ne dépend pas du
fait que l'ancien président soit en vie ou non.
Un grand homme qui s'est parfois trompé
Nelson Mandela est un grand homme, l'un des plus grands de ces 100 dernières années. Malgré une jeunesse passée dans un milieu rural à l'horizon limité, il s'est fortement investi dans ses études et est devenu l'Africain le plus respecté de tous les temps. Il a passé 27 années derrières les barreaux pour avoir défendu ses principes, mais il a pardonné à ceux qui l'avaient jeté en prison, et a utilisé son autorité pour empêcher la guerre civile. Il a contribué à mettre fin à l'apartheid et à la transformation de l'Afrique du Sud en une démocratie assez stable malgré ses défaillances. L'Histoire n'est pas le produit des actions d'un seul individu, mais il est fort possible que sans Mandela, la stabilisation politique n'aurait pas eu lieu et que le pays serait tombé dans le chaos.
Pourtant, Mandela est un être humain, et il a commis des erreurs. Comme toutes les grandes figures qui doivent prendre de nombreuses décisions extrêmement difficiles tout au long de leur vie, il s'est parfois lourdement trompé. La manière dont il a traité l'épidémie du sida dans les années 90 et son passage de témoin à Thabo Mbeki [président sud-africain de 1999 à 2008], en constituent les exemples les plus malheureux. Il s'en est rendu compte pour la lutte contre le sida et s'en est excusé. Pour Mbeki, il en a apparemment pris conscience plus tard. Sa décision d'engager l'ANC dans la lutte armée restera à jamais controversée. Mais tout compte fait, sa grandeur dépasse de très très loin ses fautes.
Il n'en reste pas moins que Nelson Mandela est un mortel. C'est également un homme âgé. Il a 94 ans, et est à l'évidence de santé fragile. Ce sera peut-être dans 10 ans, 5 ans, en 2013 ou même dans les semaines à venir, mais inexorablement, sans l'ombre d'un doute et comme nous tous, il va mourir.
Qui plus est, la plupart des personnes d'un âge très avancé commencent à perdre leurs facultés mentales. Il est temps que quelqu'un l'exprime publiquement. Après tout, la plupart d'entre nous le murmurent déjà en privé : Madiba est en train de perdre ses facultés mentales. Seuls ses proches savent jusqu'à quel point mais nous savons tous, à certains signes manifestés en public, que cela est vrai et semble fort grave. C'est triste, mais il n'y a rien de honteux ni d'embarrassant. Son héritage n'en est en rien terni.
Accepter sa condition humaine
Ce qui lui arrive fait partie naturellement de la vie et de la mort, et il est temps qui nous le disions et l'acceptions, ouvertement, publiquement et sans euphémisme. Le Nelson Mandela actuellement en vie ne joue plus aucun rôle notable dans la vie politique sud-africaine. D'un autre côté, l'œuvre de toute une vie et le souvenir que nous en gardons exercent une profonde influence en Afrique du Sud et dans le monde. Et ils continueront à le faire longtemps après son décès.
La fabrication de mythes sur Mandela, l'idée constamment entretenue par l'ANC [African National Congress, le parti au pouvoir] d'une infaillibilité de l'ancien président et la prétention du parti d'opposition DA [Democratic Alliance] d'être son héritier, conjuguées à l'impossibilité de discuter d'une manière critique ses idées, son action, ses succès et ses échecs, le desservent. Elles réduisent sa vie à des citations édifiantes et servent d'excuses à toutes sortes de mauvais comportements tenus en son nom. Elles déshumanisent Mandela et signifient en réalité que nous n'avons pas compris ses réalisations.
Il est triste de voir vieillir, se fragiliser et tomber malades ceux que nous aimons. Il est triste d'assister à leur décès, mais cela fait partie, inévitablement et nécessairement, de la vie, de la façon dont fonctionne le genre humain. La mort est un fait tragique et inéluctable, mais c'est aussi bien, parce qu'elle permet le changement. C'est faire injure à Mandela que de faire croire que l'œuvre de sa vie se désintégrera à la fin de sa vie. Traitons Madiba avec tout le respect qu'il mérite en acceptant sa condition humaine, sa fragilité, son déclin, sa condition de mortel, et en reconnaissant que la vie continuera après sa disparition.
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- 24 juin 2013
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