Comptes bidouillés et bidons, des dizaines de milliards compromis dans des crédits complaisants, violations à répétition des règles de gouvernance bancaire, soupçons de blanchiment d'argent et de financement du terrorisme international, etc. Considérée comme la plus " grosse " banque du Cameroun il y a quelques années encore, Afriland First Bank ne serait qu'une coquille vide. Et le navire du groupe tentaculaire menace de sombrer,corps et fonds.
La nomination d'Alamine Ousmane Mey au dernier gouvernement a été diversement décryptée par l'opinion. Alors que la majorité des Camerounais y voyait la juste récompense servie à un cadre de haut vol qui s'était impliqué à fond en tant que chef de file dans la mise en place de l'emprunt obligataire de l'Etat du Cameroun, une petite minorité y lisait en filigrane une manoeuvre politique plus vicieuse : Paul Biya avait simplement décidé de débarquer le directeur général d'Afriland First Investment Bank d'un navire qui commençait sérieusement à tanguer.
Et il est des hasards qui ne trompent pas. En 1999 par exemple, la Cobac décide d'infliger un blâme aux dirigeants de la banque. Trois responsables sont épinglés, le PCA Kammogne Fokam, le directeur général adjoint, Boniface Kacyem, et le cabinet comptable Arthur Endersen qui assure le commissariat aux comptes. Détail plutôt curieux, le directeur général Alamine Mey n'est pas concerné par la sanction.
En 2011, un lobby d'hommes d'affaires de l'Ouest avait demandé à Paul Biya la tête de Lazare Essimi Menye, le ministre des Finances accusé de travailler contre les intérêts de la Région de l'Ouest. On a jubilé trop tôt, lorsqu'au remaniement suivant, l'indésirable ministre était débarqué et remplacé dans la foulée par un homme du clan. On pensait dur comme fer que Alamine Ousmane Mey gèlerait définitivement le dossier de la vignette sur les alcools et les tabacs qui faisait faire des gorges chaudes dans la coterie.
Espoirs déçus. La vignette va passer. Et plus vite que ça. Mais on n'est pas encore au bout de ses désillusions. Moins d'un an après son entrée au gouvernement, les fonds de culotte de son employeur se retrouvent dans la rue. Simples coïncidences ? Au moins Alamine Mey n'aura pas à répondre d'une gestion jugée calamiteuse à Afriland First Investment Bank.
L'art de la triche et du bidouillage comptable
Au milieu des années 90 déjà, un banquier chevronné s'inquiétait des performances affichées par la CCEI Bank. Elle était déjà classée première banque de la place camerounaise avec des dépôts qui excédaient les 180 milliards. L'inquiétude tenait à un petit détail : c'est bien de récolter des dépôts, même si l'argent des tontines à travers le pays, mais il va bien falloir les rémunérer.
Kammogne Fokam avait trouvé l'astuce pour conserver ses clients et pour continuer à en capter de nouveaux. Il en capte tellement bien que les dépôts de la clientèle atteignent aujourd'hui 480 milliards. Son secret ? Les rapports techniques établissent que près de 70 % des ressources récoltées sont rémunérées. Pour le reste, Kammogne a eu l'intelligence des CDS, les comptes de dépôt spéciaux, pour lesquels les clients payent 1000 francs par mois, que le compte ait été mouvementé ou non.
Le patron d'Afriland Investment Bank est plus astucieux encore. Le capital risque est une industrie relativement récente au Cameroun. Il se révèle un instrument primordial pour accompagner le financement de l'économie, en amont d'une bourse des valeurs mobilières. Kammogne Fokam va être l'un des pionniers du capital risque au Cameroun avec Cenainvest.
Contrairement aux mauvais procès qu'on lui fait, il ne subtilise pas les projets de ses clients. Il choisit toujours d'accompagner les promoteurs de projets, mais avec des conditions tellement draconiennes qu'il s'assure de récupérer sa mise même s'il en étouffe le promoteur du projet.
Mais un capital-risqueur n'est pas lui-même à l'abri de mauvaises surprises. Aux dernières nouvelles, et c'est officiel, pour les travaux d'extension de la Sonara, Kammogne Fokam aura mis 80 milliards sur le tour de table. Il aura bien fallu qu'il trouve de la ressource quelque part. On connaît le résultat des courses. A force de toutes ces opérations financées avec l'argent des dépôts des clients de la banque, la situation de la boutique est à l'alerte rouge. Sur 350 milliards de crédits à la clientèle, près de 40 % des créances, soit 140 milliards sont douteuses ou définitivement compromises.
Le rapport de la Cobac est clair : " Afriland First Bank communique aux autorités de tutelle et de contrôle des informations erronées qui ne reflètent pas la réalité économique, financière et juridique de la banque. "
Le rapport enfonce plus loin le clou de la tricherie et fait état de : "
nombreux écarts entre les données contenues dans la balance interne et
celles déclarées, des omissions d'informations dans de nombreux états,
des retraitements manuel faussant la situation prudentielle… la non
déclaration de plusieurs informations, notamment celles relatives aux
engagements sur les apparentés et aux hypothèquesreçues ".
Le constat est gravissime.Lorsqu'un banquier ment ou ne dit pas la vérité sur les actifs qu'il prend en nantissement, il n'est rien de plus qu'un voyou.
AVEC 140 MILLIARDS DE CRÉANCES DOUTEUSES ENREGISTRÉES, LA NOTE EST PLUS SALÉE ENCORE.
A ce tarif, le record d'Yves Michel Fotso à la CBC est largement battu. Où sont passés les milliards ? Le rapport renseigne que, en dehors des 80 milliards risqués dans la Sonara, l'argent a très souvent servi à ses propres entreprises de leurs tensions de trésorerie.
Et les entreprises appartenant directement ou indirectement à Fokam Kammogne sont une kyrielle, et dans les domaines aussi variés que le négoce et l'importation du ciment, le tabac (Cam Tobacco), le transit (Camtainer), les assurances (Société africaine d'assurance et de réassurance, SAAR), l'immobilier (SCI Royal Immo), le papier hygiénique (Sitracel), la liste est interminable.Pour ces seules entreprises de Fokam Kammogne, la banque doit provisionner pour plus de 17,7 milliards les créances douteuses ou compromises. Soit la moitié des 32 milliards relevés.
Une première conclusion se dégage de ce rapport.
Chaque fois que deux milliards est compromis dans les opérations de
crédit de la banque Afriland Investment, un milliard va à ses propres
entreprises. Pour masquer le coup qui s'apparente à un
hold-up bancaire, Fokam Kammogne a mis en place un système de
bidouillages comptables tellement complexe que le premier venu n'y voit
que du feu.
Au 30 septembre 2011, les entreprises appartenant au patron de la banque pointaient à 80 milliards en tout dans les livres comptables. Mais très astucieusement, ce montant n'a jamais été déclaré depuis plusieurs années. On découvre seulement le pot aux roses lorsque les experts se mêlent de passer au peigne fin la balance comptable de la banque.
Cette astuce lui a permis depuis des années de ne pas avoir, en violation de la réglementation, à respecter les normes de division des risques et à attirer l'attention sur les dépassements des engagements apparentés. A Afriland First Investment Bank, les cadres sont loin d'être mal formés.
On compte parmi eux des cracks. Mais Kammogne va se mettre en besogne de passer outre toutes les compétences dont il s'est entouré. Alors que, aux termes d'une note de service instituant un comité de direction au sein de la banque, sa présence n'est nullement prévue lors des délibérations, il s'impose aux réunions du comité.
On est en Afrique, et c'est lui le patron. Le premier qui moufte prend la porte. Et pour donner la preuve que c'est bien sa banque et qu'il est le seul capitaine à bord, c'est lui qui nomme les directeurs opérationnels et pas le comité de direction. Les notes de service qui nomment ses hommes de main dans la maison sont rédigées et signées sur des papiers à entête " First Bank Group ", une entité qui n'est connue ni au registre du Commerce, ni au greffe du Tribunal. À la Cobac, on connaît Afriland First Bank, ou à la limite Afriland First Group. Mais First Bank Group, c'est une trouvaille sortie tout droit du chapeau de magicien de Fokam Kammogne.
Soupcons de blanchiment d' argent?
Le dernier rapport de la Cobac soupçonne fortement Fokam Kammogne d'être la plaque tournante d'un réseau de blanchiment d'argent. Les dispositifs recommandés par la Cobac et visant à lutter contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme sont insuffisamment mis en place, constate le rapport.
Fokam Kammogne est-il un terroriste ? Rien n'est exclu. Le patron de la CCEI bank avait déjà été fortement soupçonné de créer une monnaie parallèle avec ses " flash cash ". Pour quelques jobards, les flashs cash n'étaient qu'un instrument de paiement comme un autre.
Comme un chèque, comme une carte de crédit Visa ou Mastercard. Une carte de crédit ne vaut que la puissance du dépôt dans le compte en banque. Mais avec les " flash " de Fokam Kammogne, on créait carrément une monnaie parallèle. La preuve, les " flash " en question n'étaient pas acceptés par tout le monde. Et surtout pas dans les banques de la place qui ne reconnaissaient pas ce curieux instrument de paiement.
En revanche, les "flash " circulaient de main en main, dans les tontines du village, dans les boutiques supermarchés des cousins, et pas ailleurs. Alors que les chèques ne servent jamais à honorer les montants dus à une tontine, les " flash " faisaient l'affaire.
Tant pis si le détenteur des " flash " n'avait pas un seul centime en compte à la CCEI. Fokam Kammogne, à condition que vous soyez son ami, peut vous servir des " flash " de dix ou vingt millions, alors que votre compte est au rouge dans la banque. Ou même qu'il n'en existe pas un. Toutes ces manoeuvres tiennent de l'organisation nationale ou internationale de l'escroquerie.
C'était grossier. La Guinée équatoriale avait servi toutes les autorisations administratives et légales à Yves-Michel Fotso, elle a tout remis en question. Pourquoi ? Personne ne dit que dans les transactions dans les salons de Bata ou de Malabo, le président Obiang Nguema a besoin de blanchir un peu d'argent.
Pour blanchir ses milliards de pétrodollars, rien de plus propre qu'une banque qui vient du Cameroun voisin. Au croisement de toutes ces manoeuvres, Afriland First bank en est à ouvrir une antenne à Paris…