Affaire Marafa : Moktar porte plainte
« Je vais à mon tour porter l’affaire devant les tribunaux », Moktar Oumarou, président du Conseil national de la jeunesse du Cameroun.
Votre domicile a été perquisitionné par
des agents de la police judiciaire. Pouvez–vous nous dire ce qui s’est
exactement passé ce jour-là ?
J’étais couché dans ma chambre, car j’avais mal à la dent, lorsque la
police est arrivée chez moi le dimanche 19 août autour de 14 heures avec
à sa tête, le commissaire intérimaire Abdou de la police judiciaire
avec d’autres policiers en civil. Je suis sorti et j’ai reconnu le
commissaire Abdou que j’ai déjà vu physiquement. Il m’a fait comprendre
qu’ils sont envoyés, je ne sais par qui, pour perquisitionner ma maison.
Je me suis laissé prêter à ce jeu, bien que mon grand-frère juriste ait
pu leur demander s’ils avaient un mandat de perquisition. Ils ne
l’avaient pas malheureusement. J’ai demandé à mon grand-frère de les
laisser faire, puisque je ne me reprochais rien.
C’est ainsi qu’ils se sont mis à fouiller dans mes affaires, en commençant par mon ordinateur de bureau. Ils ont ouvert un à un des fichiers. Ils n’ont rien trouvé de compromettant. Ils ont ensuite fouillé les armoires, les classeurs, les dessous de chaises. Ils se sont ensuite dirigés dans ma chambre à coucher où ils ont fouillé valises, armoires, placards, matelas, etc. C’est dans ma bibliothèque de chambre qu’ils ont trouvé le livre « L’automne de la colère de Marafa Hamidou Yaya », sorte de compilation des audiences et documents relatifs à Marafa Hamidou Yaya, rassemblés et vendus par Bidjocka (Barlev Sismondi Bidjocka, ndlr) au prix de 10 000 Fcfa que j’ai acheté à Douala. Ils m’ont posé la question pourquoi je l’avais avec moi. J’ai répondu que c’était pour ma propre culture avant de leur demander pourquoi ce livre les gênait particulièrement, alors même que j’en avais d’autres dont les livres des personnalités telles le président de la République, Nelson Mandela, Obama, Sarkozy, Ségolène Royal, le Cardinal Christian Tumi, Joseph Antoine Bell et j’en passe.
Pourquoi focaliser votre attention sur ce livre ?
Ils n’ont pas daigné répondre à ma question, mais m’ont plutôt averti
que je m’expliquerai par rapport à la présence de ce livre chez moi plus
tard à la police judiciaire. Ils ont fouillé dans toutes les autres
pièces et n’ont rien trouvé. C’est ainsi qu’ils sont revenus sur
l’ordinateur, toujours rien. Ils m’ont posé la question de savoir
pourquoi j’avais l’effigie du ministre d’État Marafa dans mon salon. Je
leur ai répondu que ce n’était pas le seul portrait que j’avais ; que
j’en avais ceux du président Biya, du président de l’Assemblée
(Assemblée nationale, ndlr) Cavaye Yeguié Djibril, Grégoire Owona,
Amadou Ali.
Au final, c’est mon ordinateur notamment l’unité centrale et un acte
notarié qu’ils ont emporté chez moi. Ils m’ont enfin posé la question de
savoir pourquoi je préfère les journaux qui parlent de l’affaire
Marafa. La réponse était simple, l’actualité relative au procès de
Marafa ne saurait laisser personne indifférent. Ils m’ont demandé de les
suivre à la police judiciaire en présence de mon conseil Me Evina.
Nous sommes arrivés vers 16 heures pour ressortir à 20 heures voire 21 heures 30 après m’avoir auditionné sur procès-verbal. Ils ont voulu savoir les activités que je mène en dehors de celles associatives, ce que je faisais en dehors de celles-là, mes relations avec l’ancien ministre Marafa Hamidou Yaya. Je leur ai donné mon Cv. Ils m’ont fait savoir que les véhicules que j’avais étaient ceux de l’ancien ministre d’État. Toutefois, la question et la réponse n’ont pas été mentionnées dans le Pv. Je leur ai dit que tous les véhicules qu’ils avaient vus étaient à mon nom que c’est moi qui les avais achetés. Qu’à ma connaissance, je ne sais pas pourquoi je garderais les véhicules de Marafa, si tant il est vrai qu’il a une famille et même si c’était le cas, est-ce un délit de garder le véhicule d’une autre personne s’il est démontré que vous ne l’avez pas volé ?
Ils m’ont également demandé quel est le président
de la République que je soutiens. Je leur ai répondu que pour l’instant
je connais un seul président au Cameroun, c’est Paul Biya et que je ne
savais pas qu’il y en avait deux. Ils m’ont demandé de m’expliquer
pourquoi j’avais démissionné du Fsnc d’Issa Tchiroma Bakary. Je leur ai
dit que ma fonction, en tant que président départemental de la Bénoué
pour le Conseil national de la jeunesse du Cameroun, ne permettait pas
d’être encore un militant de base d’un parti politique surtout que nous
sommes apolitiques au sein du Conseil. Ils m’ont enfin indiqué que je
restais à leur disposition. Chaque fois qu’ils auront besoin de moi pour
un complément d’enquête, ils me feront appel.
Que pensez-vous de cette situation ?
Je suis confus, surpris, triste. Ça ne m’étonne pas, car depuis que le
ministre d’État a été arrêté et détenu, plusieurs personnalités à Garoua
ont subi ce type de pression. Je pense à Yerima Dewa, Babagaroua et les
autres qui ont été plusieurs fois auditionnés.
Quelles étaient vos relations avec l’ancien ministre d’État ?
Je n’avais pas de relations particulières avec lui, mais c’est l’un des
hommes qui encourageaient la jeunesse à servir la République, le régime
et dont nous étions toute oreille à ses conseils.
Êtes-vous impliqué de près comme de loin dans la distribution des tracts qui ont circulé le 19 aout dans la ville de Garoua ?
Si je connaissais quelque chose dans les tracts je ne me serais jamais
servi des médias pour exprimer mon opinion. J’allais toujours agir dans
l’ombre. Je suis un homme qui ne cache pas ses opinions encore moins ses
sentiments. Par ailleurs, ma citoyenneté me donne ce droit élémentaire
d’exprimer librement mes opinions. Depuis l’université jusqu’à ce jour,
j’ai toujours défendu ce que je considère comme droits de la jeunesse.
Je suis libre de soutenir officiellement qui je veux, comme je suis
libre de fréquenter qui je veux. Et cela ne limite pas uniquement sur le
ministre d’État Marafa. Je rencontre toutes les élites camerounaises.
Que comptez-vous faire pour réparer le tort qui vous a été causé ?
J’ai été humilié. Nous sortions d’une période de jeûne, de prière, de
piété et ils choisissent uniquement le jour du ramadan pour venir
perquisitionner ma maison, m’empêchant du
même coup de jouir comme tous les autres croyants du monde entier de la
fête de fin de Ramadan. Ils m’ont empêché de faire mes prières de
l’après-midi : 15, 18 et 19 heures 30. S’ils sont venus sur le plan
politique, je devrais à mon tour porter l’affaire devant les tribunaux.
Ils n’ont rien trouvé de compromettant chez moi. Est-il interdit
d’avoir un portrait d’une élite ou encore un livre qui parle d’un ancien
haut cadre de la République ? L’unité centrale de mon ordinateur a été
confisquée pour quelle fin ? Ils m’ont d’ailleurs demandé de mettre un
mot de passe ce que j’ai refusé.
Ce qui s’est passé est regrettable pour notre pays
et si nous avions, nous aussi par exemple, opposé une résistance. Je ne
sais pas comment les choses allaient se passer. Les autorités,
furent-elles de la police judiciaire, n’ont pas le droit de pénétrer
chez des gens sans mandat. Dans les prochains jours, nous allons nous
plaindre auprès de la justice, pour leur faire comprendre que nous
maitrisons nos droits.
Quels sont vos rapports avec les autorités de la ville ?
Mes rapports avec les autorités de la ville sont bons. Je n’ai jamais eu
de problèmes particuliers avec elles. Jusqu’à preuve de contraire, nous
travaillons toujours ensemble. Jamais au grand jamais, on ne m’avait
jamais vu en train de distribuer des tracts pour appeler des gens aux
soulèvements. Lors de l’arrestation du ministre Marafa, j’avais juste
fait comprendre qu’avec ce type d’initiatives, cela peut permettre
davantage de créer une rupture ou une tension au plan politique entre
les militants de base et les cadres du parti.
L’histoire m’a donné raison, car, nous avons vu que plusieurs personnalités sont descendues à Garoua pour essayer de réconcilier les uns et les autres. En le disant, c’était une manière de demander aux Camerounais de descendre dans la rue, car, nous aussi, sommes Camerounais et nous avons le droit de nous s’exprimer, de dire ce que nous pensons. Pourquoi Moktar Oumarou est indexé, au point qu’on advient à perquisitionner sa maison sans un mandat ; et qu’on puisse garder ses effets ? Pourquoi Moktar Oumarou doit être inquiété parce qu’on a trouvé un livre d’un ancien ministre chez lui alors qu’il y en a d’autres ? Tout cela est bizarre.