Affaire Jean Paul Akono: les preuves d’un envoûtement collectif
Louvain-La-Neuve (Belgique): 19 MAI 2013
© Narcis Bangmo | Correspondance
Le Cameroun, comme à son habitude, est étanchement cloisonné entre les pro et les anti-Akono, entre ceux qui croient aux miracles perpétuels des sorciers Blancs et ceux qui pensent que, 50 ans après les indépendances, après quatre coupes d’Afrique et six participations à des phases finales de coupe du monde, le Cameroun pouvait stratégiquement apprendre à perdre avec ses fils, qui ne sont pas les moins nantis des entraîneurs sélectionneurs en Afrique.
La répartition internationale du travail n’est pas un « camerounisme ». C’est l’émanation de la volonté des puissances depuis le 15ème siècle d’aller chercher des compétences physiques ou intellectuelles partout où besoin est, pour résoudre des problèmes ponctuels ou structurels. La traite négrière procédait de la sorte. Il fallait de gros bras pour approvisionner l’Europe en produits de première nécessité dont elle avait besoin.
Malheureusement, les choses n’ont pas beaucoup évolué aujourd’hui, non pas que le pouvoir dominant est resté empêtré dans la recherche d’une certaine main-d’œuvre, mais parce que l’immigration, même choisie, est l’une des peurs que s’est faite l’Occident. L’un des plus grands défis dans tous les pays développés est le financement des retraites qui pose un problème démographique d’ordre générationnel. Malgré cela, toutes les filières ne s’ouvrent pas à tout le monde même quand on a obtenu la citoyenneté. Il y existe des filières stratégiques, dites de souveraineté.
Les Camerounais ont volontairement choisi d’auto-engourdir leurs facultés intellectuelles dans le football par résignation ou par simple choix délibéré. Les politiques dont les souhaits et vœux ont été exhaussés surprennent et nous désolent sur ce coup-ci. Tout pays qui se veut moderne doit impérativement s’ouvrir. Cependant, l’ouverture doit obéir à des besoins du moment. Elle est orientée partout vers l’espionnage économique, la où le transfert des compétences n’est pas possible.
Le Cameroun a eu besoin de chaudronniers pour construire le pipeline tchado-camerounais. A défaut d’ouvrir une école face à la faiblesse de l’offre locale, le recours aux chaudronniers étrangers, notamment équatoriens, s’imposait pour les besoins de la cause. Comment donc comprendre qu’avec des entraîneurs qu’on compte parmi les plus chevronnés d’Afrique, on ait toujours recours « aux charlatans blancs » pour la plupart en panne de notoriété dans leurs pays respectifs ? Devrons-nous continuer 50 ans après les indépendances de faire de nos pays des exutoires des travailleurs en fin de carrière si ce n’est pour des rétro-commissions ? La concussion nous semble bien entretenue par ces « coursiers miraculeux du développement » dont l’enthousiasme débordant vers les bantoustans devrait susciter des questionnements.
Cette réflexion n’est pas un chauvinisme et encore moins un racisme, mais il est question de nous interroger nous-mêmes sur l’état de nos compétences. Dans un pays souverain, le recours à l’expertise extérieure est l’exception et la promotion des cadres internes la règle. S’il y a un secteur à « blanchir » c’est moins celui du football que les autres secteurs de la vie de la nation. Le président Biya a bien reconnu l’inertie et même l’incompétence de certains de ses collaborateurs. Le blanchissement devrait si on y tient tellement commencer par là, et non sur la seule ethnie ou chaque camerounais se reconnait. Et non sur le seul facteur d’équilibre de développement que nous possédons. Le capital football est immense pour peu que les gouvernants veuillent le voir et le rentabiliser de façon endogène.
C’est ce qui pourrait expliquer les propos jugés excessifs de notre ambassadeur national qui n’a fait que dire, avec sa posture langagière et son tempérament, ce que de millions de Camerounais disent dans la rue et dans les chaumières. Protéger un compatriote victime d’un complot n’a rien de « raciste » en soi. Voler au secours d’un entraineur qui vient de sortir l’équipe nationale des profondeurs abyssales du classement pour la tête de poule n’a rien de « navrant » au fond.
Ce qu’on ne dit pas assez, c’est que la force d’un entraineur dans le contexte camerounais ne réside pas essentiellement dans le type d’école fréquentée ou les gloires accumulées, mais plutôt dans sa capacité à ramener la sérénité dans la tanière. Quand on a affaire aux footballeurs de la trempe de Sammuel Eto’o, on a plus nécessairement besoin d’un entraineur-magicien, mais plutôt d’un homme charismatique qui va tasser les égos surdimensionnés et ramener tout le monde vers un idéal commun. Lequel idéal peut durer le temps d’une ou de deux coupes du monde.
Nos entraineurs nationaux ont la capacité de jouer ce rôle, pour peu que le traitement qu’on leur donne soit à la dimension de la tâche qui leur incombe. Honnêtement, qui peut oser dire qu’Akono n’a pas œuvré dans cette logique, lui qui a su ramener Assou Ekoto et les autres à des meilleurs sentiments, là où ses prédécesseurs ont tous échoué. Beaucoup de Camerounais comme moi ne vivent plus dans le complexe du colonisé qui consiste à préférer que des expatriés s’approprient des millions de francs de nos impôts parfois sans efforts, pendant que les locaux qui font tout le travail croupissent dans la misère avec des salaires sacerdotaux.
Ce sont, au contraire, les actions concertées du MINSEP et de la FECAFOOT qui relèvent de l’auto-envoûtement. Le Cameroun est le seul pays au monde où la compétence n’est pas obligatoire, où des gens viennent se découvrir des carrières d’entraîneur et reprendre du poil de la bête quand ils sont au fond de la nasse. Tous ces entraîneurs qui nous ont fait gagner les coupes d’Afrique, que deviennent-ils après le Cameroun ? Pourquoi ne réussissent-ils plus après ? Étaient-ils les véritables artisans de ces victoires ? Où était passé Pierre Lechantre après son départ du Cameroun ? Qu’a-t-il gagné entre-temps ?
Le Cameroun doit être fier de lui car l’émergence sous entend aussi la résistance dans un environnement mondialisé où la déstabilisation peut passer par les secteurs les plus banals de la vie quotidienne. La France ne prendra jamais Mourinho ou Guardiola pour entraîner les bleus. Apprenons aussi à perdre avec les nôtres. C’est de là que se forgera le socle des victoires structurelles et perpétuelles.
© Narcis Bangmo | Correspondance
Le Cameroun, comme à son habitude, est étanchement cloisonné entre les pro et les anti-Akono, entre ceux qui croient aux miracles perpétuels des sorciers Blancs et ceux qui pensent que, 50 ans après les indépendances, après quatre coupes d’Afrique et six participations à des phases finales de coupe du monde, le Cameroun pouvait stratégiquement apprendre à perdre avec ses fils, qui ne sont pas les moins nantis des entraîneurs sélectionneurs en Afrique.
La répartition internationale du travail n’est pas un « camerounisme ». C’est l’émanation de la volonté des puissances depuis le 15ème siècle d’aller chercher des compétences physiques ou intellectuelles partout où besoin est, pour résoudre des problèmes ponctuels ou structurels. La traite négrière procédait de la sorte. Il fallait de gros bras pour approvisionner l’Europe en produits de première nécessité dont elle avait besoin.
Malheureusement, les choses n’ont pas beaucoup évolué aujourd’hui, non pas que le pouvoir dominant est resté empêtré dans la recherche d’une certaine main-d’œuvre, mais parce que l’immigration, même choisie, est l’une des peurs que s’est faite l’Occident. L’un des plus grands défis dans tous les pays développés est le financement des retraites qui pose un problème démographique d’ordre générationnel. Malgré cela, toutes les filières ne s’ouvrent pas à tout le monde même quand on a obtenu la citoyenneté. Il y existe des filières stratégiques, dites de souveraineté.
Les Camerounais ont volontairement choisi d’auto-engourdir leurs facultés intellectuelles dans le football par résignation ou par simple choix délibéré. Les politiques dont les souhaits et vœux ont été exhaussés surprennent et nous désolent sur ce coup-ci. Tout pays qui se veut moderne doit impérativement s’ouvrir. Cependant, l’ouverture doit obéir à des besoins du moment. Elle est orientée partout vers l’espionnage économique, la où le transfert des compétences n’est pas possible.
Le Cameroun a eu besoin de chaudronniers pour construire le pipeline tchado-camerounais. A défaut d’ouvrir une école face à la faiblesse de l’offre locale, le recours aux chaudronniers étrangers, notamment équatoriens, s’imposait pour les besoins de la cause. Comment donc comprendre qu’avec des entraîneurs qu’on compte parmi les plus chevronnés d’Afrique, on ait toujours recours « aux charlatans blancs » pour la plupart en panne de notoriété dans leurs pays respectifs ? Devrons-nous continuer 50 ans après les indépendances de faire de nos pays des exutoires des travailleurs en fin de carrière si ce n’est pour des rétro-commissions ? La concussion nous semble bien entretenue par ces « coursiers miraculeux du développement » dont l’enthousiasme débordant vers les bantoustans devrait susciter des questionnements.
Cette réflexion n’est pas un chauvinisme et encore moins un racisme, mais il est question de nous interroger nous-mêmes sur l’état de nos compétences. Dans un pays souverain, le recours à l’expertise extérieure est l’exception et la promotion des cadres internes la règle. S’il y a un secteur à « blanchir » c’est moins celui du football que les autres secteurs de la vie de la nation. Le président Biya a bien reconnu l’inertie et même l’incompétence de certains de ses collaborateurs. Le blanchissement devrait si on y tient tellement commencer par là, et non sur la seule ethnie ou chaque camerounais se reconnait. Et non sur le seul facteur d’équilibre de développement que nous possédons. Le capital football est immense pour peu que les gouvernants veuillent le voir et le rentabiliser de façon endogène.
C’est ce qui pourrait expliquer les propos jugés excessifs de notre ambassadeur national qui n’a fait que dire, avec sa posture langagière et son tempérament, ce que de millions de Camerounais disent dans la rue et dans les chaumières. Protéger un compatriote victime d’un complot n’a rien de « raciste » en soi. Voler au secours d’un entraineur qui vient de sortir l’équipe nationale des profondeurs abyssales du classement pour la tête de poule n’a rien de « navrant » au fond.
Ce qu’on ne dit pas assez, c’est que la force d’un entraineur dans le contexte camerounais ne réside pas essentiellement dans le type d’école fréquentée ou les gloires accumulées, mais plutôt dans sa capacité à ramener la sérénité dans la tanière. Quand on a affaire aux footballeurs de la trempe de Sammuel Eto’o, on a plus nécessairement besoin d’un entraineur-magicien, mais plutôt d’un homme charismatique qui va tasser les égos surdimensionnés et ramener tout le monde vers un idéal commun. Lequel idéal peut durer le temps d’une ou de deux coupes du monde.
Nos entraineurs nationaux ont la capacité de jouer ce rôle, pour peu que le traitement qu’on leur donne soit à la dimension de la tâche qui leur incombe. Honnêtement, qui peut oser dire qu’Akono n’a pas œuvré dans cette logique, lui qui a su ramener Assou Ekoto et les autres à des meilleurs sentiments, là où ses prédécesseurs ont tous échoué. Beaucoup de Camerounais comme moi ne vivent plus dans le complexe du colonisé qui consiste à préférer que des expatriés s’approprient des millions de francs de nos impôts parfois sans efforts, pendant que les locaux qui font tout le travail croupissent dans la misère avec des salaires sacerdotaux.
Ce sont, au contraire, les actions concertées du MINSEP et de la FECAFOOT qui relèvent de l’auto-envoûtement. Le Cameroun est le seul pays au monde où la compétence n’est pas obligatoire, où des gens viennent se découvrir des carrières d’entraîneur et reprendre du poil de la bête quand ils sont au fond de la nasse. Tous ces entraîneurs qui nous ont fait gagner les coupes d’Afrique, que deviennent-ils après le Cameroun ? Pourquoi ne réussissent-ils plus après ? Étaient-ils les véritables artisans de ces victoires ? Où était passé Pierre Lechantre après son départ du Cameroun ? Qu’a-t-il gagné entre-temps ?
Le Cameroun doit être fier de lui car l’émergence sous entend aussi la résistance dans un environnement mondialisé où la déstabilisation peut passer par les secteurs les plus banals de la vie quotidienne. La France ne prendra jamais Mourinho ou Guardiola pour entraîner les bleus. Apprenons aussi à perdre avec les nôtres. C’est de là que se forgera le socle des victoires structurelles et perpétuelles.