Chronique d'un montage mal ficellé: au-delà de l'émotion...Une enquête minutieuse permet-elle de démêler l'écheveau des intrigues autour d’une affaire qui fait couler encre et salive? La cour des visites de la prison centrale de Kondengui (Yaoundé) est encore bondée de monde ce jeudi 12 janvier 2012. Soudain, le reporter de Germinal qui vient de nouveau de franchir la grille qui sépare ce lieu de la cour d’honneur où est logée l’administration aperçoit, dans un coin non loin du hangar destiné à accueillir les visiteurs, Ndi Benoit, coaccusé d’Enoh Dieudonné, lui aussi incarcéré, dans ce lieu malfamé, depuis le 22 décembre 2011. Sandales aux pieds, chemise kaki à manches légèrement retroussées au niveau du poignet, pantalon velours noir troué au niveau du genou gauche, Ndi Benoît affiche un léger sourire quand il aperçoit le reporter de Germinal. Après quelques civilités, il n’hésite pas à remercier les médias et journalistes camerounais qui ont porté leur problème sur la place publique. « Sans les médias, on nous aurait envoyé au Kosovo », déclare-t-il. Aussi ne doute-t-il pas que les médias continueront de jouer leur rôle jusqu’au jour où la vérité finira pas éclater. Il devine l’objet de notre présence en ce lieu et sans hésiter, il nous apprend que son « complice » Enoh Dieudonné est maintenant logé au quartier 3. Immédiatement, un « taximan » est sollicité pour aller chercher le « chef » d’un gang qui aurait perpétré un braquage à main armée dans localité de Betaré Oya (Est-Cameroun). Deux minutes environ après, souriant, Enoh Dieudonné, scandales aux pieds, tricot blanc rayé et pantalon flottant belge, franchit le portail du quartier 3. Sur le carnet à lui remis, le « taximan » a pris soin d’écrire L31, numéro du local, sorte de cagibi où il est désormais logé. Après avoir pris connaissance de l’objet de la visite du reporter de Germinal, il fait quelques éclaircissements et demande à Ndi Benoît de dire la vérité, toute la vérité. Aussi le reporter de Germinal demande-t-il à rencontrer Manda Bernard, qui arrive environ trois minutes après.
Après avoir écouté les uns et autres, et après avoir pris connaissance de (presque) tout ce qui a été écrit sur cette affaire, il est possible aujourd’hui de reconstituer le film des événements.
Au commencement
Tout commence par le déplacement de Ndi Benoît à « Eden », localité située entre Abong Mbang et Lomié. Par la suite, Enoh Dieudonné se déplace de Yaoundé pour Bipindi (Sud Cameroun), village de sa mère où il se rend compte de l’existence de l’or exploité de manière artisanale par ses compatriotes. C’est alors qu’il décide de s’adresser aux investisseurs singapouriens qu’il convainc de venir investir au Cameroun dans le secteur minier.
Selon des sources proches d’Enoh Dieudonné, de retour à Yaoundé, il envoie une équipe pour faire la prospection à d’autres endroits à l’Est-Cameroun. Y étant, les missionnaires sont à court d’argent et le lui font savoir. Enoh Dieudonné se déporte vers les bureaux de ses amis et frères sis en face du Mess des officiers pour essayer d’avoir 20 000 FCfa (30,49€) nécessaires pour la survie de l’équipe de prospection. Il rentre bredouille et sollicite Ndi Benoît qui se débrouille pour leur envoyer successivement 4 500 FCfa (6,86€), 6 500 FCfa (9,90€) et 9 500 FCfa(14,49€).
Avant l’arrivée de Manda Bernard, en mission de prospection à Bétaré Oya, localité où les étrangers sont vite identifiés, il y avait eu braquage, affirment certaines sources à la légion de gendarmerie de Bertoua. Selon ces sources « ce sont des Centrafricains qui sont à l’origine de ce braquage, les mêmes qui probablement ont brûlé le drapeau camerounais quelques jours plus tard à Garoua Boulaï et dont trois des leurs soldats avaient été arrêtés et incarcérés à la légion de gendarmerie de Bertoua. » Selon un enquêteur, cette information aurait été étouffé à la légion de gendarmerie de Bertoua prétendument pour ne pas brouiller les relations entre le Cameroun et la Centrafrique.
Vrai ou faux ? Toujours est-il qu’au lieu de
retourner sur Yaoundé le 10 novembre 2011, comme prévu, après avoir
effectué la mission de prospection qui lui avait été confiée, et après
avoir obtenu quelques pépites d’or (environ 5 à 10g), Manda Bernard
décide d’aller à la rencontre d’un tradi-praticien auprès de qui il
cherche à entrer en possession d’un antidote contre le poison. Hélas,
mal l’a pris de prolonger son séjour. Puisque le 11 novembre 2011, il
est appréhendé, par les gendarmes qui le torturent sans ménagement et
lui demandent de dénoncer ses complices et les Centrafricains qui ont
braqué les Coréens, sinon ses complices et lui seront considérés comme
étant les véritables responsables du braquage. C’est donc à partir de
Manda Bernard que les gendarmes de Bertoua tentent de remonter la «
filière » tout en essayant, à travers des manœuvres d’intimidation, de
le pousser à dire que c’est Enoh Dieudonné qui les a envoyés pour
braquer les Coréens.
Entre temps Song Kanga qui faisait partie de la mission de prospection
qui devait sillonner certaines localités était rentré sur Yaoundé, après
avoir reçu un coup de fil l’informant de l’état de santé très
préoccupant de son enfant.
Enoh Dieudonné voyage
Le 15 novembre 2011, aux environs de 9 heures, sur invitation de ses partenaires qui ont entièrement financé le voyage, Enoh Dieudonné prend le vol de Kenya Airways en partance pour Singapour.
Faut-il le souligner, le voyage d’Enoh Dieudonné avait été par deux fois reporté. La première fois parce qu’il n’avait pas d’argent pour payer les taxes d’aéroport, la seconde à cause du décès de son père survenu le 08 novembre 2011. En outre, avant son déplacement, il s’était rendu chez le notaire Ada, sis à la montée Anne Rouge à Yaoundé, dans l’optique de connaître la constitution du dossier à fournir et les démarches à suivre lorsqu’un entrepreneur veut créer une entreprise en partenariat avec des étrangers. Maître Ada a mis à sa disposition lesdits documents. Aussi avait-il souhaité obtenir un visa au niveau de la Dgsn pour ses partenaires, mais son cousin, commissaire de police à l’aéroport de Yaoundé-Nsimalen, lui avait dit qu’il suffisait à ces étrangers de détenir une lettre d’invitation pour obtenir un visa d’entrée au Cameroun dès leur arrivée à l’aéroport.
Enoh Meyomesse voyage donc normalement ce 15 novembre sans être inquiété et ignorant que Manda Bernard a été arrêté.
Ce même jour, dans l’après-midi, Song Kanga est appréhendé.
En se fondant sur les bordereaux de retrait d’argent retrouvés probablement dans les effets de Manda Bernard, Ndi Benoït tombe lui aussi dans les filets des gendarmes le 18 novembre 2011. Ce jour-là, de 16h30 mn à environ 17h30 mn, son domicile est fouillé de fond en comble, sans mandat de perquisition, par ces « corps habillés » d’un autre genre.
« Perquisition »
À la fin de la fouille, ils se déportent aux
environs de 19 heures au domicile de l’ex-candidat recalé à l’élection
présidentielle du 09 octobre 2011 où, sans mandat de perquisition dûment
délivré par le procureur de a République et en son absence, ils
défoncent la porte et mettent la maison sens dessus-dessous. Le saccage
dure 2 heures de 19h à 21 h. Enoh Meyomesse raconte: « pendant que je me
trouvais hors du Cameroun. Sans même s’embarrasser de se munir d’un
tout petit mandat de perquisition du Procureur de la République, il a
envoyé quatre de ses meilleurs éléments chez moi, accompagné d’un
lieutenant en service au Sed à Yaoundé. [ils] ont cassé sans
ménagement ma porte, fouillé de fond en comble mon domicile, éventrant
mon mobilier, renversant tout, et au bout du compte…..rien. Ils n’y ont
trouvé aucune arme. Zéro ! Pas même une aiguille. Devant leur échec, il
ne leur restait plus qu’à dérober mes clés USB dans l’espoir d’y
trouver le plan du coup d’État, des manuscrits de mes livres et des
photographies de moi qu’ils projetaient de transmettre à Interpol
pour que je sois recherché et arrêté aux quatre coins de la planète. »
Après cette perquisition d’un autre genre, le gendarme major Edou,
celui-là même qui avait fracassé la porte du domicile d’Enoh remet,
selon l'infortuné, une somme de 5000 FCfa (7,67€) à un voisin pour le
remplacement de la serrure qu’il venait de détruire.
Arrivé au Singapour, Enoh Dieudonné essaie de joindre Ndi Benoît le 18
novembre 2011. Celui-ci prend le combiné et répond comme s’il y avait un
problème. Enoh a le pressentiment que quelque chose ne tourne pas
rond. Il promet de le rappeler le soir vers 19 heures. A l’heure
convenue, Ndi est injoignable. Son téléphone est éteint. À chaque
tentative, il est renvoyé à sa messagerie vocale. Après plusieurs
tentatives infructueuses, il joint un ami sénégalais basé à Yaoundé qui
l’informe que Ndi Benoît a été arrêté et qu’il se trouve à la
gendarmerie. Cet ami sénégalais lui fait comprendre qu’il ne connait pas
le motif de son arrestation.
Retour au pays
Le 22 novembre 2011, il prend le vol Kenya Airways, fait escale à Bangkok , et à Nairobi où deux vols sont respectivement en partance pour Bangui et pour Yaoundé. Ne se reprochant rien, il prend celui à destination du Cameroun. Arrivé à l’aéroport, il est surpris de constater que quelqu’un - le lieutenant Djakou Ghislain du Secrétariat d’État à la Défense (Sed)- brandit sa photo qui se trouvait dans sa chambre. Le Lieutenant Djakou était accompagné de l’adjudant Koung Jean-Marie venant de Bertoua, du gendarme Major Edou et de l’élève gendarme Kissebe. Il se dirige vers eux. Enoh Meyomesse relate : « À peine-ai-je mis ma main dans la poche de mon veston pour en extraire mon passeport, qu’un des gendarmes de sieur Oumarou s’est jeté sur moi : «M. Enoh ? Oui ! Gendarmerie nationale vous êtes en état d’arrestation. Donnez-moi votre téléphone». En fait, il me l’avait arraché. Puis, j’ai été conduit dans les locaux du Sed où il m’a été signifié deux chefs d’accusation : 1/- tentative de coup d’État. 2 / vol avec port d’arme. J’ai volé quoi ? De l’or. D’abord 350 grammes s’étaient transformés en un kilogramme. Peu importe. En fait, c’est la tentative de coup d’État qui était la préoccupation principale, en quelque sorte le plat de résistance ».
Au Sed, pendant qu’il essaie de donner les raisons de son déplacement au Singapour, il lui est demandé de vider le contenu de ses poches et de déposer tout ce qui s’y trouvait sur la table. Au même moment, un gendarme inspecte le contenu de sa valise. Des 79€ déposés sur la table du lieutenant Djakou Ghislain, un billet de 50€ disparaît en une fraction de seconde. Il se rend à l’évidence que ces gendarmes sont plus rapides que Lucky Luke, ce personnage des dessins animés qui tirent plus vite que son ombre. Il passe sa première nuit en garde à vue au Sed.
Le 23 novembre 2011, le colonel Oumarou Ngalibou
s’installe dans le fauteul de Djakou Gislain et conduit l’interrogatoire
qui dure deux interminables heures. « Il est 20 h. je vais ainsi
subir les foudres de cet individu qui sait déjà tout sur le coup d’état
que mes «complices» et moi préparons. Tout ce qu’il me demande c’est
d’être «coopératif». Il désire «m’aider «, à savoir alléger l’affaire
devant le juge de telle sorte que si l’on devait me passer au poteau
d’exécution, que l’on ne m’inflige que…50 ans de prison !!! », souligne
Enoh Dieudonné. Épuisé le colonel Oumarou Ngaibou se retire. Le
directeur adjoint de la sécurité militaire prend le relais. Pendant près
d’une heure, il essaie lui aussi en vain d’arracher les aveux.
Faut-il le souligner, à la fin du premier entretien l’adjudant Koung
avait dit à Enoh Dieudonné qu’il ne faudrait pas qu'il s’amuse, car son
problème était très grave. Aussi avait-il fait savoir au présumé
putschiste et « chef de gang » que ses « complices » avaient été envoyés
sur le terrain pour braquer des Coréens à l’Est-Cameroun. Etonné, le
candidat recalé à l’élection présidentielle du 09 octobre apprend
également que tous ces complices étaient passés aux aveux et l’ont
désigné comme étant leur chef. C’est alors qu’il commence à méditer sur
tout ce qui lui arrive.
Embarquement pour Bertoua
Le 23 novembre 2011 à 23 heures 30mn, il est
embarqué par cinq sbires dans un pick-up de la gendarmerie. Direction
Bertoua où il arrive aux environs de 3h30mn, le jeudi 24 novembre 2011
et où il est jeté dans une cellule infeste et sombre de la légion de
gendarmerie.
Selon certaines sources, après deux jours passés dans l’isolement total
dans cette cellule qui n’a ni fenêtre, ni quelque autre ouverture que ce
soit en dehors de la porte, l’adjudant Koung Jean-Marie, chargé des
enquêtes à Bertoua, vient le voir pour lui faire la proposition suivante
: «Nous avons essayé d’étudier ton problème. Nous sommes des hommes.
Nous pouvons t’aider à te sortir de cette situation si tu parles bien.
Je suis le bras droit du Commandant de légion (Colégion). Demain, le
Colégion viendra avec des gens afin que nous puissions nous entendre. Si
tu es direct, une solution peut être trouvée à ton problème.» En
aparté, il demande à Enoh d’essayer d’imaginer combien il peut proposer
au Colégion pour étouffer l’affaire.
Par la suite, le colonel Oumarou Ngalibou s’amène accompagné du lieutenant Djakou Ghislain du Sed, Koung Jean-Marie (Bertoua) et du directeur adjoint du Sémil.
Dans un premier temps, au cours de cette audition,
il est plus question de coup d’État. Pendant qu’il est en train de
subir l’interrogatoire musclé du colonel Ngalibou, Koung lui fait des
gestes et des signes indiquant qu’il lui fallait « parler comme un homme
», c’est-à-dire proposer quelque chose au colonel Oumarou Ngalibou.
Très épuisé, et juste pour faire baisser cette pression et atténuer son
acharnement, il cède à cette tentation et lui propose une somme 10 000
dollars pour arrangement. Il soupire, lâche prise et, sourire aux
lèvres, déclare :«voilà ce qui est bien dit, mais c’est trop peu. 10000
dollars, ça fait 10 000 0000 de FCfa ». Il précise en lui disant que
cela faisait un peu plus de 4 500 000 FCfa.
Les gendarmes le remettent en cellule en attendant qu’il « parle bien ».
Ainsi, l’enquête préliminaire est-elle bouclée le 27 novembre 2011.
Mais, ce n’est que le 22 décembre 2011 qu’ils sont transférés à Yaoundé.
Pourquoi ce silence qui a duré plus de deux semaines ?
En effet, selon des sources à la légion de
gendarmerie de Bertoua, ce blackout s’explique par le fait que le
colonel Oumarou Ngalibou et ses hommes attendaient que Enoh Dieudonné et
compagnie trouvent de l’argent pour étouffer l’affaire.
Hélas, pendant cette trop longue attente, l’affaire arrive aux oreilles
des journalistes qui se mettent à appeler le Colégion pour s’enquérir de
la situation d’Enoh Dieudonné et avoir des éléments d’information sur
le dossier. C’est ainsi qu’un organe d’information rédige un filet sur
l’arrestation d’Enoh Meyomesse. Après la lecture de cet article, le
lieutenant Koung Jean-Marie revient rencontrer Enoh Dieudonné dans sa
cellule le 20 décembre 2011 et lui dit : « Voilà que tu as tout gâté.
On t’avait dit de garder le silence. Tu as aggravé ton as en faisant en
sorte que la presse se saisisse de cette affaire. Maintenant, il y a des
gens qui appellent de Yaoundé. La présidence veut connaitre la suite de
ton dossier. Nous ne pouvons plus te sauver. » Entre temps, le
quotidien Le Jour était entré dans la danse et avait dévoilé l’affaire
au grand jour. Les autres médias s’emparent également de l‘affaire
Panique dans les rangs
Le Colégion et ses éléments sont pris de panique. Ils sortent Enoh Meyomesse et ses « complices » de leur cellule le 21 novembre 2011. Selon Enoh Meyomesse, « Fait curieux, tous les gendarmes ont revêtu des uniformes tout neufs et tout propres. Nous sommes rapidement informés d’un fait inattendu : le gouverneur de l’Est a décidé de nous rendre visite. Personnellement, je trouve cela curieux. Aux alentours de 14 heures, nous sommes conduits dans la cour de la gendarmerie. Stupeur ! Nous y trouvons une immense foule et une table sur laquelle sont posés, un uniforme militaire, un fusil, un pistolet, des cartouches, en un mot l’arsenal de guerre gigantesque avec lequel je devais renverser le régime. Mes «complices» et moi le découvrons pour la première fois. Le gouverneur de l’Est, tout naïvement, s’exclame devant Oumarou aux anges : «Mais, ces armes sont toutes neuves ! D’où proviennent-elles ?». Réponse idiote d’Oumarou : «effectivement, ils les ont achetées à l’étranger… »
Le 22 décembre 2011, ils sont de nouveau sortis de leur cellule. On leur apprend qu’ils retournent à Yaoundé pour être présentés au tribunal militaire. Après un bref passage devant le tribunal militaire ; ils sont conduits à la prison centrale de Kondengui où ils arrivent vers 15h. Quelques jours plus, on leur délivré un mandat de détention provisoire d'une durée de 6 (six) mois.
*Toutes nos excuses à toutes les personnes dont les noms ont été mal écrits.