La lumière du jour se devinait simplement au bas de la porte qui, par bonheur, ne touchait pas totalement le sol. J’y dormais à même le sol et cohabitais avec mes déjections recueillies dans un seau placé à un mètre cinquante (1,5m) environ de moi. L’odeur dans ma cellule était de ce fait pestilentielle. Je n’ai bénéficié des rayons du soleil que pendant cinq (5) à dix (10) minutes par jour, tout juste le temps de vider mon seau-wc. J’en bénéficiais également pendant les rares moments où j’étais interrogé par mes enquêteurs. Je qui demeuré dans ce cachot sans lumière et nauséabond pendant trente (30) jours.
Plus les jours passaient, plus je me rendais compte que j’étais en train de perdre la vue. Au bout d’un moment je me suis mis à craindre profondément que le sort d’André-Marie Mbida, premier ministre du Cameroun, ne m’arrive, à savoir, tomber aveugle en prison, parce que dans le noir pendant une longue durée.
4 JOURS EN ISOLEMENT TOTAL
Pendant les quatre premiers jours qui ont suivi ma déportation à la légion de gendarmerie de Bertoua, j’a été placé en isolement total. C’est une pratique qui consiste à maintenir un individu tout seul dans un cachot pendant plusieurs jours, et sans contact extérieur. C’est une forme de torture qui n’a pas de nom. Au bout d’un certain temps, la personne qui la subit se surprend en train de nouer la conversation avec…les murs. Elle s’adresse à ceux-ci sans s’en rendre compte.
Cela m’est arrivé à plusieurs reprises. Autre syndrome de la solitude en espace carcéral qui m’est arrivé, celui des murs qui font mal au corps. Au bout d’une certaine durée entre quatre murs, un être humain a l’impression que les murs tout autour de lui se déplacent et viennent d’abord se coller à son corps, puis se mettent à vouloir le broyer. Enfin, les murs donnent l’impression d’avoir pris possession de son cerveau et tentent de le presser. Il en souffre alors profondément. J’ai connu cela.
3 BAINS EN…30 JOURS
En trente jours prisonnier d’Oumarou Galibou, j’ai pu, après d’innombrables supplications, ne prendre que trois bains. Je puais par conséquent telle une bête. Mes aisselles dégageaient une odeur épouvantable. J’avais la peau du corps qui collait comme si je m’étais enduis le corps d’une pâte visqueuse. Etant donné la différence de température à Bertoua, le jour je transpirais abondamment, et la nuit je gelai littéralement.
J’ai supplié en vain mes geôliers de m’autoriser à me servir d’un drap qui se trouvait dans ma valise. Rien n’y fit. Pas moyen non plus de me couper les ongles. Ceux-ci ce sont rapidement mis à ressembler à ceux d’un corbeau, tellement ils étaient devenus longs et crasseux.
BASTONNADE ET HURLEMENTS DEMENTIELS
Pendant ma détention, Oumarou Galibou m’a fait la grâce de ne pas me faire bastonner par ses subalternes. Mais plusieurs personnes ayant séjourné dans ma cellule après ma période d’isolement total n’ont guère eu cette chance.
Certaines l’étaient deux à trois fois par jour. La forme de bastonnade utilisée à la légion de gendarmerie de Bertoua était, tantôt les coups de machette sous la plante des pieds, tantôt la matraque, tantôt les gifles sur le visage. La cruauté des gendarmes était telle que l’âge des personnes gardées à vue leur importait peu.
C’est ainsi que dans mon cachot avait été projeté violemment un matin, un jeune homme âgé de 18 ans, elève en classe de première espagnole au Lycée Bilingue de Bertoua. Accusé d’avoir volé une bouteille de Gaz, ce qu’il niait totalement, il a été bastonné deux jours durant. Les gifles qui lui étaient infligées étaient si fortes qu’il avait perdu l’usage de l’une de ses oreilles pendant plusieurs jours. Pour sa remise en liberté, les parents ont dû débourser la somme de cent mille francs (100.000) exigée comme pourboire à payer à ses enquêteurs.
Le jeune Sébastien Z., dans une autre cellule, a également connu le même sort. Il a été torturé, à la matraque sous la plante des pieds, deux jours durant. Accusé de vol de moto, il a été enchainé aux mains et aux pieds pendant une semaine entière. Il n’était âgé que de tout juste 14 ans !!!Même tarif cent mille francs pour sa relaxe.
Deux autres jeunes gens en classe de seconde au Lycée Classique de Bertoua et âgés de 16 ans tous les deux ont été également torturés à la machette sous la plante des pieds plusieurs jours durant et leur famille ont dû également débourser la somme « réglementaire » de cent mille francs pour leur remise en liberté.
Le cas d’un jeune homme nommé Kamga mérite d’être souligné tout particulièrement. Accusé de vol, il avait été placé en garde à vue dans une cellule voisine de la mienne, et était enchaîné aux mains et aux pieds. Lorsque ce jeune homme subissait la bastonnade, les hurlements démentiels qu’il poussait nous glaçaient d’effroi nous tous qui étions en garde à vue. Ses séances de bastonnades étaient particulièrement longues. Elles atteignaient aisément une heure de temps, voire même plus. Un jour où les gendarmes l’avaient ramené de bastonnade et réintroduit dans sa cellule, il était tombé à la renverse, la nuque la première, et avait perdu connaissance.
Ses voisins de cellule s’étaient alors mis à tambouriner la porte pour faire venir les gendarmes de garde. Comme à l’accoutumée ceux-ci ont commencé par répondre par des injures. Puis, s’apercevant que le vacarme sur la porte était plus long que d’habitude cette fois-ci, ils s’étaient enfin amenés
Mon ami Song Kanga, pour sa part, a été maintenu enchaîné trente deux (32) durant, aux mains et aux pieds. Malgré ses supplications, les gendarmes d’Oumarou Galibou étaient demeurés inflexibles, et lui répondaient invariablement : « les ordres sont les ordres, on ne t’enlève pas les menottes, on ne te les desserre pas non plus… » Ce n’est qu’à moins une semaine du départ de Bertoua que les chaînes des pieds lui ont été retirées. Si moi j’ai pu bénéficier de trois bain en trente jours de garde à vue, lui, en revanche, en trente neuf jours de garde à vue, il n’en pu en bénéficier que … d’un seul. Son corps exhalait en conséquence une odeur épouvantable…
De même, mon ami Manda Bernard a été maintenu enchaîné pendant plus de semaines, aux mains et aux pieds. Il est resté quant à lui pendant quarante deux jours (42) en garde à vue. Au moment de son arrestation, il avait été projeté violemment dans la cellule, la tête en avant, et est allé s’écraser contre le mur. Il a aussitôt perdu connaissance et du sang s’était mis à couler de son nez. Pris de panique, les gendarmes ont veillé sur lui toute la nuit. Lorsqu’il était revenu en lui au petit matin, quel n’avait pas été leur soulagement.
Il importe de relever que, lorsque l’on est enchaîné aux mains et aux pieds, se soulager dans le seau à pipi est un calvaire. Par ailleurs, si déjà dormir en cellule, à même le sol sans matelas n’est pas chose aisée, que peut-il alors en être lorsque la main et les pieds sont enchaînés ?
Mon ami Ndi Benoît enfin, a pour sa part été enchaînés aux pieds et aux mains pendant deux jours et aux mains pendant une semaine entière. Que lui reprochait-on ? de ne pas vouloir « dire la vérité », c'est-à-dire celle que désiraient entendre les deux enquêteurs, l’Adjudant Chef Ambassa et l’Adjudant Koung Jean-Marie. Eux, ils la connaissaient déjà par avance, c’est celle que leur patron, le Colonel Galibou, avait énoncée à Manda Bernard samedi 12 novembre 2011 dans son bureau aux alentours de 20h30 : « là où tu es là, si tu essaies de démentir que ce n’est pas toi qui a opéré le braquage, on t’amène au fond de la cour là-bas dans le noir et on te tire une balle sur la poitrine. Tu as compris ? »
MONSIEUR ENOH, DEMANDEZ QUE L’ON VOUS ENVOIE DEVANT
Un matin de bonne heure, le gendarme de garde en m’accompagnant vider mon seau à excréments se rend compte que je suis ébloui par la lumière du jour et, que, de ce fait, je ne parviens pas à m’orienter. Pris de pitié il me déclare : « Monsieur Enoh, mais demandez que l’on vous envoie devant, en prison vos amis et vous serez mieux qu’ici. La –bas vous aurez chacun un lit, vous aurez de l’espace. Vous aurez de l’air et surtout, vous aurez la lumière du jour, vous sortirez du noir et cesserez de vivre tel un porc-épic dans un trou. Tel que je vous vois, Monsieur Enoh, si vous restez encore longtemps ici, vous allez tomber aveugle. Ne restez pas les bras croisés, protestez. Je ne sais pas pourquoi le commandant de légion vous maintient ici dans des conditions si difficiles, alors que l’enquête est déjà bouclée depuis plusieurs semaines. Je ne comprends pas ce type. Il est trop cruel. Et puis vous savez, toutes les chèvres, quelles qu’elles soient, broutent là où elles sont attachées. Ne restez pas la bouche fermée »
LA TORTURE EST UNE PRATIQUE ORDINAIRE AU CAMEROUN !
© Correspondance : ENOH MEYOMESSE, depuis la prison de Kondengui via la plateforme Enoh