Affaire du bébé volé: Pauvre Vanessa ! - Par Suzanne Kala-Lobè
DOUALA - 20 FEV. 2012
© Suzanne Kala-Lobè | La Nouvelle Expression
"Voilà une affaire où tout le monde semble s’accorder sur le fait qu’il est tout à fait légitime, moralement correcte et politiquement acceptable qu’une adolescente de 17 ans ait un bébé, de père plus ou moins inconnu et que l’on en fasse les gorges chaudes à longueur de colonnes ! L’affaire devient si bouleversante que des hommes politiques et hommes de Dieu, se ruent dans les tribunaux pour dénoncer un crime de lèse-Vanessa !"
L’Affaire du bébé volé de Vanessa qui défraie la chronique, mobilise ici et là, et s’étale sur toutes les unes est un de ces faits sociologiques qui en dit long sur l’état d’esprit et les mentalités au Cameroun. En effet voilà une affaire où tout le monde semble s’accorder sur le fait qu’il est tout à fait légitime, moralement correcte et politiquement acceptable qu’une adolescente de 17 ans ait un bébé, de père plus ou moins inconnu et que l’on en fasse les gorges chaudes à longueur de colonnes ! L’affaire devient si bouleversante que des hommes politiques et hommes de Dieu, se ruent dans les tribunaux pour dénoncer un crime de lèse-Vanessa ! Cette pauvre petite file pauvre qui a 17 ans a le droit d’avoir un bébé, mais pas celui de voter !
Curieux borborygmes : une jeune fille peut être arrachée à sa vie d’enfant à 15 ans, être mariée forcément contre son gré, mais n’a pas le droit de voter ! Autrement dit, n’a pas voix au chapitre en ce qui concerne l’orientation que l’on peut donner à la politique de son pays, au destin des petites filles, et aux politiques de planning familial qui peuvent être décidées pour sortir les filles du diktat de l’excision, des mariages forcées et autres joyeusetés qu’elles subissent sans rien dire. Au nom de la tradition !
Une partie de l’opinion publique camerounaise admire le «courage» d’une adolescente qui réclame à cor et à cri son «bébé» et des justiciers masqués se cachent derrière les pourfendeurs des dénis de la République !
Curieuse société qui n’en est pas à un paradoxe près et manie la contradiction comme Platon la dialectique ! Pauvre Vanessa ! Que l’on me pardonne d’entrer dans le vif de ce sujet en refusant de partager l’unanimisme de la presse autour d’une affaire qui a plusieurs contours, beaucoup d’avenant mais qui vaut le détour d’une analyse anthropologique des mœurs camerounaises au 21ième siècle. Comme chaque Lundi en trois temps, tentons de décortiquer une actualité qui a supplantée toutes les autres en faisant oublié aux politiques qui s’agitent autour de Vanessa que bientôt il y a aura les élections municipes et législatives. Des médias se font un sang d’encre sur le sort de cette petite Vanessa, nouvelle victime populaire portée par une doxa impitoyable, très prompte à brouiller les pistes du savoir.
Le temps du conte
Si Vanessa m’était contée, je refuserais tout d’abord de rendre publique ce qui ne fut au fond qu’une erreur de jeunesse. Un dérapage dans le contexte d’une société où l’éducation sexuelle, arrive toujours après trois ou quatre grosses aux jeunes filles. Souvent naïves, inexpérimentées. Vanessa s’est retrouvée un jour enceinte et en a parlé à ses parents. Eux- ont-ils eu le courage de laisser leur enfant porter leur petit-fils ou petite fille ou ont-ils cherché une «cliente» susceptible de sauver la famille du déshonneur et Vanessa d’une destinée bousculée ? Comment les choses se sont-elles passées avant que Vanessa n’arrive à Ngossou ? Ces questions intéressent peu ceux et celles qui ont juste à cœur de prendre l’affaire du bébé volé pour régler leurs comptes avec le système.
Un système en pleine déréliction qui est capable de laisser voler l’enfant d’une adolescente qui elle-même est une enfante... Voire l’infante. La contradiction échappe à ce groupe de personnes aveuglées par une passion qui légitime l’esclavage des jeunes filles et tout le monde s’agglutine autour du vol de l’enfant d’une enfant...
Ah, si Vanessa m’était contée je lui dirais que la meilleure chose qui puisse lui arriver c’est que l’on fasse la clarté non pas seulement sur les circonstances du vol mais aussi sur les raisons qui l’ont amenée là où elle se trouve ! Au centre d’un tapage médiatique et politique, otage des hommes de Dieu qui appellent déjà leur seigneur pour la vengeance contre le diable. Dans le conte il y a plusieurs personnages centraux : le bébé volé, la supposée voleuse, la mère spoliée et la famille de Vanessa. Ce quatuor constitue les mailes d’une chaîne sociale où toutes les confusions sont possibles à cause du jeu d’intérêt.
Mais qu’est-ce que Vanessa est allée faire dans cette galère ? Et pourquoi une partie de l’opinion s’accroche à la version d’une enfant victime d’un gang organisé ?
Le temps des faits
Il y a six mois, une jeune fille du nom de Vanessa Tchatchou accouchait d’un prématuré à l’Hôpital gynéco-obstétrique et pédiatrique, de Ngousso. C’était le 20 août 2011. Le lendemain la gamine ne retrouve plus son enfant qui était mis en couveuse hors de sa propre chambre. Les explications données par les différents acteurs de la chaîne, ne permettent plus de déceler comment l’enfant a pu sortir de L’Hôpital, par qui et pourquoi ? Toujours est-il que de déclarations en déclarations on ne sait plus à quel corps d’enfants se vouer. Dans un galimatias, et salmigondis d’indices, l’enquête, loin d’être confiée aux professionnels est laissée à l’imaginaire populaire– la doxa- qui s’en donne à cœur joie et règle de nombreux comptes.
Comptes politiques d’abord, pour dénoncer un système qui ne prend même pas soin de ses adolescentes qui sont déjà mère !
Comptes sociologiques pour défendre la légalité d’un système matrimonial qui légitime la pédophilie puisqu’on peut envoyer sa fille en mariage à... 15 ans !
Comptes sociétaux enfin, puisqu’on en profite pour signaler deux questions mise en parallèle : l’adoption et le trafic d’enfants !
Cette seule symétrie va indiquer de quels côtés vont tourner les soupçons. Comment l’enquête va être menée et orientée. Un acteur et une hypothèse seront complètement exclus du questionnement des faits : quel rôle joue la famille dans ce maelström, ce tourbillon sociétal, où tout est mêlé ?
Le temps de l’analyse
La société camerounaise a mal à son évolution et la société politique est aujourd’hui dominée par un discours religieux ambigu. Elle refuse de faire sa mue en interrogeant la déréliction de ses mœurs et la démocratie fait de grands écarts, torpillée par les traditions ! Puisqu’elle admet que l’on puise épouser une fille de 15 ans alors que le droit de vote est à 21 ans ! Il ne semble n’y avoir aucune corrélation entre la maturité citoyenne et la maturité domestique. En acceptant qu’une jeune fille de 17 ans puisse être mère elle admet implicitement que les femmes n’ont rien d’autre à faire que de faire des enfants. Elle admet explicitement qu’il n’est pas mure pour procéder à leur éducation sexuelle et que les politiques de planning familial ne seront bonnes que... pour les arrières petits enfants de Vanessa. Car n’en doutons pas Vanessa peut encore faire beaucoup d’enfants dans de meilleures conditions que celles que lui impose une doxa qui a tourné le dos à l’éthique et qui se vautre dans des faux fuyants sur lesquels il faudrait revenir. Des comités de soutien aux admonestations des hommes politiques (rares) et quelques chroniqueurs (encore plus rares !), il y a lieu de se demander si au fond ceux qui crient aux loups ne veulent pas que l’on prenne la proie pour l’ombre. Il est possible que le point de vue ici développé fasse l’objet d’une censure. Ce sera peut-être la preuve de la défaite de la liberté d’expression, tant que celle-ci ne se borne qu’à critiquer un système qui a fait son temps sans rien voir de l’usure du temps sur des pratiques désuètes, contradictoires et non conformes à l’idéal démocratique. Mais pauvre Vanessa entraînée malgré elle dans un drame où sans doute elle n’a ni les tenants et encore moins les aboutissants.
© Suzanne Kala-Lobè | La Nouvelle Expression
"Voilà une affaire où tout le monde semble s’accorder sur le fait qu’il est tout à fait légitime, moralement correcte et politiquement acceptable qu’une adolescente de 17 ans ait un bébé, de père plus ou moins inconnu et que l’on en fasse les gorges chaudes à longueur de colonnes ! L’affaire devient si bouleversante que des hommes politiques et hommes de Dieu, se ruent dans les tribunaux pour dénoncer un crime de lèse-Vanessa !"
L’Affaire du bébé volé de Vanessa qui défraie la chronique, mobilise ici et là, et s’étale sur toutes les unes est un de ces faits sociologiques qui en dit long sur l’état d’esprit et les mentalités au Cameroun. En effet voilà une affaire où tout le monde semble s’accorder sur le fait qu’il est tout à fait légitime, moralement correcte et politiquement acceptable qu’une adolescente de 17 ans ait un bébé, de père plus ou moins inconnu et que l’on en fasse les gorges chaudes à longueur de colonnes ! L’affaire devient si bouleversante que des hommes politiques et hommes de Dieu, se ruent dans les tribunaux pour dénoncer un crime de lèse-Vanessa ! Cette pauvre petite file pauvre qui a 17 ans a le droit d’avoir un bébé, mais pas celui de voter !
Curieux borborygmes : une jeune fille peut être arrachée à sa vie d’enfant à 15 ans, être mariée forcément contre son gré, mais n’a pas le droit de voter ! Autrement dit, n’a pas voix au chapitre en ce qui concerne l’orientation que l’on peut donner à la politique de son pays, au destin des petites filles, et aux politiques de planning familial qui peuvent être décidées pour sortir les filles du diktat de l’excision, des mariages forcées et autres joyeusetés qu’elles subissent sans rien dire. Au nom de la tradition !
Une partie de l’opinion publique camerounaise admire le «courage» d’une adolescente qui réclame à cor et à cri son «bébé» et des justiciers masqués se cachent derrière les pourfendeurs des dénis de la République !
Curieuse société qui n’en est pas à un paradoxe près et manie la contradiction comme Platon la dialectique ! Pauvre Vanessa ! Que l’on me pardonne d’entrer dans le vif de ce sujet en refusant de partager l’unanimisme de la presse autour d’une affaire qui a plusieurs contours, beaucoup d’avenant mais qui vaut le détour d’une analyse anthropologique des mœurs camerounaises au 21ième siècle. Comme chaque Lundi en trois temps, tentons de décortiquer une actualité qui a supplantée toutes les autres en faisant oublié aux politiques qui s’agitent autour de Vanessa que bientôt il y a aura les élections municipes et législatives. Des médias se font un sang d’encre sur le sort de cette petite Vanessa, nouvelle victime populaire portée par une doxa impitoyable, très prompte à brouiller les pistes du savoir.
Le temps du conte
Si Vanessa m’était contée, je refuserais tout d’abord de rendre publique ce qui ne fut au fond qu’une erreur de jeunesse. Un dérapage dans le contexte d’une société où l’éducation sexuelle, arrive toujours après trois ou quatre grosses aux jeunes filles. Souvent naïves, inexpérimentées. Vanessa s’est retrouvée un jour enceinte et en a parlé à ses parents. Eux- ont-ils eu le courage de laisser leur enfant porter leur petit-fils ou petite fille ou ont-ils cherché une «cliente» susceptible de sauver la famille du déshonneur et Vanessa d’une destinée bousculée ? Comment les choses se sont-elles passées avant que Vanessa n’arrive à Ngossou ? Ces questions intéressent peu ceux et celles qui ont juste à cœur de prendre l’affaire du bébé volé pour régler leurs comptes avec le système.
Un système en pleine déréliction qui est capable de laisser voler l’enfant d’une adolescente qui elle-même est une enfante... Voire l’infante. La contradiction échappe à ce groupe de personnes aveuglées par une passion qui légitime l’esclavage des jeunes filles et tout le monde s’agglutine autour du vol de l’enfant d’une enfant...
Ah, si Vanessa m’était contée je lui dirais que la meilleure chose qui puisse lui arriver c’est que l’on fasse la clarté non pas seulement sur les circonstances du vol mais aussi sur les raisons qui l’ont amenée là où elle se trouve ! Au centre d’un tapage médiatique et politique, otage des hommes de Dieu qui appellent déjà leur seigneur pour la vengeance contre le diable. Dans le conte il y a plusieurs personnages centraux : le bébé volé, la supposée voleuse, la mère spoliée et la famille de Vanessa. Ce quatuor constitue les mailes d’une chaîne sociale où toutes les confusions sont possibles à cause du jeu d’intérêt.
Mais qu’est-ce que Vanessa est allée faire dans cette galère ? Et pourquoi une partie de l’opinion s’accroche à la version d’une enfant victime d’un gang organisé ?
Le temps des faits
Il y a six mois, une jeune fille du nom de Vanessa Tchatchou accouchait d’un prématuré à l’Hôpital gynéco-obstétrique et pédiatrique, de Ngousso. C’était le 20 août 2011. Le lendemain la gamine ne retrouve plus son enfant qui était mis en couveuse hors de sa propre chambre. Les explications données par les différents acteurs de la chaîne, ne permettent plus de déceler comment l’enfant a pu sortir de L’Hôpital, par qui et pourquoi ? Toujours est-il que de déclarations en déclarations on ne sait plus à quel corps d’enfants se vouer. Dans un galimatias, et salmigondis d’indices, l’enquête, loin d’être confiée aux professionnels est laissée à l’imaginaire populaire– la doxa- qui s’en donne à cœur joie et règle de nombreux comptes.
Comptes politiques d’abord, pour dénoncer un système qui ne prend même pas soin de ses adolescentes qui sont déjà mère !
Comptes sociologiques pour défendre la légalité d’un système matrimonial qui légitime la pédophilie puisqu’on peut envoyer sa fille en mariage à... 15 ans !
Comptes sociétaux enfin, puisqu’on en profite pour signaler deux questions mise en parallèle : l’adoption et le trafic d’enfants !
Cette seule symétrie va indiquer de quels côtés vont tourner les soupçons. Comment l’enquête va être menée et orientée. Un acteur et une hypothèse seront complètement exclus du questionnement des faits : quel rôle joue la famille dans ce maelström, ce tourbillon sociétal, où tout est mêlé ?
Le temps de l’analyse
La société camerounaise a mal à son évolution et la société politique est aujourd’hui dominée par un discours religieux ambigu. Elle refuse de faire sa mue en interrogeant la déréliction de ses mœurs et la démocratie fait de grands écarts, torpillée par les traditions ! Puisqu’elle admet que l’on puise épouser une fille de 15 ans alors que le droit de vote est à 21 ans ! Il ne semble n’y avoir aucune corrélation entre la maturité citoyenne et la maturité domestique. En acceptant qu’une jeune fille de 17 ans puisse être mère elle admet implicitement que les femmes n’ont rien d’autre à faire que de faire des enfants. Elle admet explicitement qu’il n’est pas mure pour procéder à leur éducation sexuelle et que les politiques de planning familial ne seront bonnes que... pour les arrières petits enfants de Vanessa. Car n’en doutons pas Vanessa peut encore faire beaucoup d’enfants dans de meilleures conditions que celles que lui impose une doxa qui a tourné le dos à l’éthique et qui se vautre dans des faux fuyants sur lesquels il faudrait revenir. Des comités de soutien aux admonestations des hommes politiques (rares) et quelques chroniqueurs (encore plus rares !), il y a lieu de se demander si au fond ceux qui crient aux loups ne veulent pas que l’on prenne la proie pour l’ombre. Il est possible que le point de vue ici développé fasse l’objet d’une censure. Ce sera peut-être la preuve de la défaite de la liberté d’expression, tant que celle-ci ne se borne qu’à critiquer un système qui a fait son temps sans rien voir de l’usure du temps sur des pratiques désuètes, contradictoires et non conformes à l’idéal démocratique. Mais pauvre Vanessa entraînée malgré elle dans un drame où sans doute elle n’a ni les tenants et encore moins les aboutissants.