Affaire Djomo Pokam: Les vérités du premier juge

 
DOUALA - 26 AVR. 2010
© Casimir Datchoua Soupa | La Nouvelle Expression

La collégialité, présidée par Marie Nomo Zanga Meye, avec à ses côtés les magistrats Magnaguemabe et Annie Hortense Tchembou, a prononcé trois peines de 20 ans, deux peines de 15 ans et trois acquittements.

La collégialité, présidée par Marie Nomo Zanga Meye, avec à ses côtés les magistrats Magnaguemabe et Annie Hortense Tchembou, a prononcé trois peines de 20 ans, deux peines de 15 ans et trois acquittements.

Le 21 août 2006, à 11h, le corps sans vie de Narcisse Djomo Pokam s’écrase sur la terrasse de l’hôtel Hilton, après avoir été défenestré d’une chambre d’un étage de l’immeuble. Le directeur général de l’établissement saisit la police judiciaire pour enquête. Les investigations menées et les traces d’un instrument chauffant sur le corps du défunt orientent les enquêteurs vers la thèse de l’origine criminelle de la mort déplorée.

Les enquêteurs se fonderont sur les traces de sang et de brûlures retrouvées sur la moquette de la chambre 815 pour dire que c’est à partir de cette chambre que le corps a été défenestré. Mais, au cours des débats, la défense a soutenu que si le corps était jeté du 8e étage, il n’aurait pas été retrouvé intact, il aurait été déchiré enpièces… Toujours est-il que les enquêteurs ont maintenu cette thèse, d’autant que la 815 était dans l’axe de la trajectoire suivie par le corps dans sa chute. Les indices cumulés ont conduit à l’interpellation de 17 personnes dont la plupart en service à l’hôtel Hilton. Les enquêteurs ont eu à exploiter les serrures, les vidéos et cameras de surveillance ainsi que toutes autres pièces utiles placées sous scellés.

Sur la localisation du lieu du drame, deux témoins, Antar Gassagay et Jacques Bimaï, occupant le balcon de la chambre 615, située aussi dans la trajectoire de la chute, ont soutenu que le corps venait des étages situés au-dessus du 6e étage! L’historique d’ouverture des portes a révélé que seule la chambre 814-815 a été ouverte dans un temps voisin du drame, soit à 10h55. Toutes les autres chambres situées dans l’axe de la trajectoire sont restées fermées toute la matinée, jusqu’à l’arrivée de la police.

L’enquête a révélé qu’entre l’entrée de la victime dans l’ascenseur et sa chute sur la terrasse, il s’est écoulé exactement 04 minutes et 03 secondes. Ce qui permet de soutenir qu’il est impossible que le crime ait été commis à un niveau et la dépouille transférée à un autre niveau pour être défénestrée…

François Tabue Fotso, soupçonné, a nié les faits et expliqué qu’il est bagagiste à Hilton. Le jour des faits, la victime avait déclaré vouloir rencontrer quelqu’un qui habite à l’hôtel. Son rôle se serait limité à lui indiquer l’emplacement du téléphone et des ascenseurs. Dès qu’elle a pris l’ascenseur, il ne l’a plus revue… Mais l’enquête a retenu que François Tabue était la dernière personne à s’entretenir avec la victime, comme l’atteste les cameras et vidéos de surveillance. Les déclarations des inculpées ont permis aux enquêteurs de faire certains découpages. Ainsi, François Tabue aurait demandé à son collègue Guiondogno d’aménager une chambre de la suite 314-315. Curieusement, fait ressortir l’enquête, Guiondogno ayant pris l’ascenseur 41 secondes après François Tabue, serait arrivé deux minutes avant lui. L’enquête s’est accrochée sur cette curiosité restée sans explication… L’accusation prend en compte le fait qu’après le drame, l’accusé ait pris un visa pour quitter le pays à destination de Chypre.

Siméon Onambele Atanga, employé à la société Nicam, était chargé de désinfecter les chambres du 8è étage le jour des faits. A 10h, il est monté au 8è, en compagnie de Eboubidja. A leur arrivée, ils ont trouvé deux employés de la société Amd en train de souder des tuyaux. Eboubidja, après avoir ouvert la porte, l’a laissé travailler seul, jusqu’à 11h.

L’accusation lui reproche d’avoir déclaré, dans un premier temps, qu’il n’était plus à l’hôtel au moment des faits et d’être revenu pour dire qu’il était encore là, mais n’était pas au courant de sa survenance. L’exploitation du registre entrée et sortie des employés a montré que cet inculpé est arrivé à 07h55 et est rentré à 16h50. Or, le drame a eu lieu à 11h16. Pour l’accusation, cet inculpé est même entré dans la chambre de la commission des faits et ne pouvait pas ne pas être au courant des faits, même s’il n’a pas participé lui-même…

Alors que l’inculpé dit avoir fait deux descentes pour recharger son appareil, le responsable de Nicam a soutenu qu’un seul réservoir suffit par désinfecter un niveau de l’immeuble. Il lui est reproché d’avoir laissé la porte ouverte en connaissance de cause pour faciliter le crime.

Pokoupong, inculpé, était superviseur des agents de sécurité en service au Hilton. Le jour des faits, il est sorti de l’hôtel à 10h pour accompagner le tapissier de l’hôtel au marché et n’est revenu qu’à 11h45, après les faits. L’accusation a soutenu qu’en sa qualité de superviseur des agents de sécurité, il devait veiller à la protection des hommes et des biens de l’hôtel. Le Dg de l’hôtel a déclaré que cet inculpé n’était pas joignable au téléphone pendant plus de 30 minutes, alors qu’habituellement, il pouvait être joint à tout moment… « Attitude curieuse » que l’accusation retient. L’inculpé a pris soin de quitter les lieux et de bloquer son téléphone afin de faciliter la préparation ou la commission du meurtre. En abandonnant son poste, il a relâché la sécurité, laissant le champ libre à la commission des faits. Il aurait tenu, le jour des faits, « une réunion avec tous les agents de sécurité pour leur demander de se taire. »

Célestin Tchuenkam était plombier à la Société Amd. Le jour des faits, il est monté au 8e avec Eyoum pour inspecter la tuyauterie, tandis que son collègue Michel Ngui, plombier, est resté au 2e étage. Peu après, Eyoum est sorti de l’hôtel pour se rendre à Mbankomo. Célestin Tchuemkam aurait déclaré qu’un employé de la buanderie était venu lui annoncer qu’un collègue venait de tomber d’un étage… selon ses déclarations, il travaillait au 8è étage où le meurtre a été commis. Alors qu’il soutient que son collègue Ngui était sorti de l’hôtel à l’heure des faits, le registre d’entrée et de sortie a fait ressortir que Ngui n’était parti de l’hôtel qu’à 16h45, et donc qu’il était encore à l’hôtel au moment de la commission des faits…

Michel Ngui, inculpé, se trouvait au Hilton le jour des faits et travaillait pour le compte de Amd. Les déclarations concordantes de Eyoum et de Célestin Tchuenkam permettent de retenir que cet inculpé qui travaillait au 2e étage, était remonté au 8è retrouver Célestin Tchuenkam… L’inculpé étant soudeur, avait comme matériel de travail des instruments électriques chauffantes et transportables.

A l’autopsie, le corps de la victime ayant présenté des blessures faites à l’aide d’un instrument chauffant, l’accusation a conclu à la probabilité que le matériel de ce soudeur ait été utilisé soit par lui, soit par quelqu’un d’autre, avec sa bénédiction…

Les faits mis à la charge des autres agents renvoyés devant le tribunal ont été passés au peigne fin et n’ont pas emporté la conviction du tribunal. Il s’agit de Eboubidja, gouvernant général par intérim de l’hôtel, Thomas Makon, agent de sécurité à Wackenhut, et Abel Noé Eyoum, employé comme plombier de la Sté Amd.



Le tribunal



...Statuant publiquement, contradictoirement à l’égard de Tabue Fotso François, Eboubidja Pierre Arnold, Onambelé Atanga Siméon, Pokoupong, Makon Thomas, Eyoum Abel Noé et de la partie civile, par défaut contre les accusés Tchuenkam Sélestin, Ngui Michel en matière criminelle et en premier ressort :

—-Déclare l’accusé Tabue Fotso François coupable de meurtre des articles 74, 275 du code pénal ;

—-Déclare les accusés Eboubidja Pierre Arnold, Makon Thomas, Eyoum Abel Noé non coupables de complicité de meurtre ;

—-Les acquitte pour faits non établis ;

—-En revanche déclare les accusés Onambele Atanga Siméon, Pokoupong, Tchuemkam Sélestin et Ngui Michel coupables de complicité de meurtre des articles 74, 97, 275 du code pénal ;

—-Accorde des circonstances atténuantes aux accusés Tabue Fotso François, Onambele Atanga Siméon, Pokoupong, Tchuenkam Sélestin et Ngui Michel en raison de leur qualité de délinquant primaire ;

—-Condamne Tabue Fotso François, Tchuenkam Sélestin, Ngui Michel à 20 (vingt ans) d’emprisonnement ferme chacun ;

—-Condamne Onambele Atanga Siméon, Pokoupong à 15 (quinze) ans d’emprisonnement ferme chacun

—-Ordonne main – levée des titres de détention décernés contre Eboubidja Pierre Arnold, Makon Thomas, Eyoum Abel Noé ;

—-Reçoit dame Tcoungang épouse Djomo Marthe Delphine en sa constitution de partie civile et l’y dit partiellement fondée ;

—-Condamne Tabue Fotso François, Onambelé Atanga Siméon, Pokoupong Tchuenkam Sélestin, Ngui Michel à lui payer solidairement la somme de 10 000 000 F (dix millions) à titre de dommages-intérêts ;

—-La déboute du surplus comme non fondé et de la réparation du préjudice matériel comme non justifié ;

—-Condamne en outre tous les accusés condamnés aux dépens solidaires liquidés quant à présent à la somme de 1 147 910 F (un million cent quarante sept mille neuf cent dix francs) ;

—-Dit que conformément à l’Article 564 al 1(h) du code de procédure pénale, la durée de la contrainte par corps sera de 24 (vingt quatre) mois en cas de non paiement des dépens ;

—-Décerne mandats d’arrêt contre Tchuenkam Célestin et Ngui Michel pour l’exécution de la peine d’emprisonnement prononcée à leur encontre conformément à l’article 18 du Code de procédure pénale ;

—-Décerne mandats d’incarcération contre tous les accusés condamnés pour le cas où il y aurait lieu d’exercer la contrainte par corps, conformément à l’article 25 du Code de procédure pénale ;

—-Ordonne la confiscation des scellés.



30/04/2010
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