Affaire de l’avion présidentiel: Inoni Ephraim et M. Hamidou Yaya en prison
YAOUNDE - 17 AVRIL 2012
© Le Jour
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"Vers 10h, Marafa Hamidou Yaya débarque dans une gandoura blanche. Coïncidence vestimentaire avec la tenue du juge d’instruction. Il est accompagné de son avocat, Me Abdel Bagui, avec qui il se rend dans le bureau de Pascal Magnaguemabe. Dans la cour, plusieurs hommes arborant des gandouras, visiblement des proches de Marafa H. Yaya, ont les visages anxieux."
L’ancien Premier ministre et l’ancien ministre d’Etat ont passé leur première nuit à Kondengui hier.
Palais de justice de Yaoundé. 9h35. Le juge d’instruction Pascal Magnaguemabe, en charge du dossier sur l’affaire de l’avion présidentiel dans lequel Inoni Ephraim et Marafa Hamidou Yaya sont cités, sort de son bureau, après une longue conversation téléphonique.
« Je n’ai pas le temps de vous recevoir maintenant. Il faut repasser plus tard » avance-t-il à un avocat venu lui signifier l’absence de son client qui ne pourra pas répondre à sa convocation. Le juge d’instruction écoute à peine. Dans sa gandoura blanche, il semble très affairé. Il a le pas pressé lorsqu’il sort de son cabinet. C’est que, Gilbert Schlick, le président du tribunal de Grande instance du Mfoundi, l’attend depuis quinze minutes dans son bureau. Le procureur général, Jean Fils Ntamack, l’y a précédé quelques minutes plus tôt.
Visages anxieux
Pascal Magnaguemabe se rend alors dans le bureau de Schlick au premier étage du Tgi. Il prend place aux côtés de Jean Fils Ntamack. La porte entr’ouverte pendant quelques secondes, laisse voir des visages souriants. L’entretien entre les trois hommes, qui ont la réputation d’être les tombeurs des personnalités dans l’opération Epervier met une vingtaine de minutes environ. Arrivés séparément, ils ressortent à trois. Souriants. Jean fils Ntamack va regagner ses bureaux au parquet. Gilbert Schlick, lui, va s’arrêter au cabinet de Pascal Magnaguemabe. Les deux hommes vont s’enfermer pendant une dizaine de minutes. Lorsque Gilbert Schlick ressort, il demande de vider la salle d’attente du juge d’instruction.
Vers 10h, Marafa Hamidou Yaya débarque dans une gandoura blanche. Coïncidence vestimentaire avec la tenue du juge d’instruction. Il est accompagné de son avocat, Me Abdel Bagui, avec qui il se rend dans le bureau de Pascal Magnaguemabe. Dans la cour, plusieurs hommes arborant des gandouras, visiblement des proches de Marafa H. Yaya, ont les visages anxieux. L’ex-ministre mettra moins d’une heure dans le bureau du juge d’instruction. Sous le regard de Jeannette Djanga épouse Marafa, il ressort du bureau du juge escorté par des gendarmes, qui le conduisent dans un véhicule banalisé, une pick - up grise de marque Toyata Hilux Ce 122 E. Madame Marafa baisse la tête, avant de la relever désespérément, pour voir son époux partir. Pour longtemps certainement. Marafa Hamidou Yaya est installé à l’arrière du véhicule, coincé par deux gendarmes. Dans la cabine, deux hommes en civil. L’ex-secrétaire général de la présidence de la République est conduit à la prison centrale de Kondengui où il arrivé vers 12h. Quelques heures après, il a été installé. Au moment où nous allions sous presse hier soir, son avocat s’y trouvait toujours. « En séance de travail » nous a-t-il répété au téléphone.
Kondengui
Entre temps, Inoni Ephraim, ancien Premier ministre, se trouve chez le juge d’instruction. Lui aussi y mettra moins d’une heure. Le temps d’être notifié de son mandat d’arrêt. Il a pourtant quitté Limbé la veille, avec son épouse Glawdys, dans l’espoir d’y revenir juste après avoir répondu à la convocation du juge d’instruction. L’ancienne coordonnatrice du Cercle des amis du Cameroun (Cerac) retournera seule de ce voyage. Sanglé dans un costume bleu à rayures, Inoni Ephraim, lui, va prendre place à bord d’un minibus blanc qui porte l’immatriculation de la gendarmerie nationale. Il est encadré par six gendarmes qui le conduisent dans un premier temps au secrétariat d’Etat à la Défense (Sed), à Melen, avant de le transporter à la prison centrale de Kondengui. Entre ces deux arrestations, un avocat a également été interpellé. Me Mekiaje, avocat de la Camair dans l’affaire Atangana Mebara et avocat de Isaac Njiemoun dans l’affaire Titus Edzoa est aussi conduit à Kondengui après avoir été dévêtu de sa robe d’avocat devant le juge d’instruction Pascal Magnaguemabe.
Inoni Ephraim et Marafa Hamidou Yaya sont accusés de « malversations financières ». Le dernier a été cité comme témoin dans l’affaire de l’avion présidentiel pour laquelle Jean-Marie Atangana Mebara, Gérôme Mendounga, Otele Essomba et Yves Michel Fotso sont en prison. Otele Essomba, coaccusé de Mebara avait déclaré que c’est Marafa Hamidou Yaya et Yves Michel Fotso qui ont fait disparaître les 24 milliards FCfa destinés à l’achat de l’avion présidentiel. A l’époque des faits, Marafa Hamidou Yaya était secrétaire général de la présidence de la République. C’est lui qui a piloté le projet d’acquisition d’un nouvel aéronef pour le chef de l’Etat. Opération engagée en 2001. Marafa Hamidou Yaya et Inoni Ephraim se sont réveillés ce matin dans des cellules de Kondengui. Ils y ont retrouvé des anciens collègues et camarades du parti qu’ils n’avaient plus revu depuis bien longtemps.
Eitel Elessa Mbassi
Dossier: Sur les ailes de l’enfer
L’interpellation de deux anciens membres du gouvernement aurait trait à des affaires d’avion.
Il y a longtemps que les noms de l’ancien Premier ministre, Inoni Ephraïm, et de l’ancien secrétaire général de la présidence de la République (Sgpr), Marafa Hamidou Yaya, sont cités dans ce qu’on appelle l’affaire de l’avion présidentiel. Si les deux personnalités jouissaient encore d’une relative quiétude, les personnes déjà interpellées dans le cadre de cette affaire ont sans cesse évoqué leur implication. Et même l’ordonnance de disjonction de la procédure signée le 3 févier 2010 par le juge Magnaguémabé cite au moins Marafa Hamidou Yaya parmi les personnes mises en cause dans le détournement de la tranche de 27 millions de dollars Us avancés par la Snh pour l'achat du «Bbj-2» présidentiel.
L’ancien ministre d’Etat chargé de l’Administration territoriale a également été chargé lors de l’audience du 31 janvier dernier par Hubert Otele Essomba, actuellement en détention provisoire à la prison centrale de Yaoundé dans le cadre de cette affaire. « Je vais donc vous dire le nœud gordien de cette affaire : c’est Marafa Hamidou Yaya et Yves Michel Fotso qui ont détourné les 27 millions de dollars de l’avion présidentiel », affirmait-il.
Lorsqu’en 2001, le Cameroun décide d’acheter un avion pour les déplacements du président de la République, le projet est piloté par Marafa Hamidou Yaya, alors Sgpr. D’après les déclarations d’Otele Essomba, c’est lui qui a permis que l’administrateur directeur général de la Camair, Yves Michel Fotso, obtienne l’avion en leasing à travers un intermédiaire, l’entreprise Gia International. Sous ajustement structurel, le Cameroun ne pouvait pas se permettre une telle acquisition, c’est pourquoi il a fallu utiliser ce stratagème. L’argent, 29 millions de dollars Us, sortis des caisses de la Snh, n’est jamais entièrement parvenu à Boeing, qui n’aurait reçu que 2 millions de dollars Us.
Si Marafa Hamidou Yaya avait déjà été entendu dans l’affaire de l’avion présidentiel, ce n’est pas le cas pour Inoni Ephraïm dont on a plutôt évoqué le nom dans le cadre de l’audit des locations des avions de la Camair. Secrétaire général adjoint n°2 de la présidence de la République à l’époque des faits, il avait également été président du conseil d’administration d’Asset Portfolio Management (Apm), dont le directeur général n’était autre que Hubert Otele Essomba.
En juillet 2008, son audition à la police a été annoncée par la presse. « Je m’étais personnellement rendu à la Police judiciaire pour mon audition », avait indiqué plus tard l’ex-Pm dans les colonnes de l’hebdomadaire Repères. Ce fut d’ailleurs la seule sortie publique d’Ephraïm Inoni sur Apm, une entreprise qui était chargée de l’audit des locations des avions de la Camair.
« J’avais proposé dans le cadre de ce second audit qu’il fallait payer son argent au cabinet Apm sur place au Cameroun, pour permettre au fisc de récolter les retombées financières de cette opération. Faut-il le rappeler, Apm s’était fait payer à Londres pour le premier audit. C’est dans ce contexte que les dirigeants de Aircraft Portfolio Management (Apm Londres) ont constitué Asset Portfolio Management (Apm Cameroun). Sans me consulter, ils vont m’attribuer le rôle de président du conseil d’administration. Peut-être pour me contenter. Mis au courant, j’ai saisi l’avocat de Apm pour lui signifier mon refus catégorique. Mon nom a été enlevé. J’ai la minute », indiquait-il.
Jules Romuald Nkonlak
Garoua: Les forces de l’ordre déployées
Elles patrouillent et dispersent tout regroupement de plus de cinq personnes.
La nouvelle de l’arrestation de Marafa Hamidou Yaya a fait le tour de la ville de Garoua hier. Ce qui était encore une rumeur à été confirmé par le neveu de l’ancien ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation. Des jeunes se réclamant du Rdpc ont été dispersés par la police de la permanence du parti à Garoua. Les éléments du groupement mobile d’intervention N° 4 de Garoua ont été postés devant la résidence de Marafa Hamidou Yaya et ont quadrillé le quartier Marouaré, fief de l’ancien Minatd. Selon le président de la section Rdpc de la Bénoué centre 1, « c’est un silence de mort. Nous sommes avec le ministre Marafa dans la prière et continuons à le soutenir. Nous avons demandé à la population de croire en la justice de notre pays », a affirmé Youssoufa Dawa.
L’association Jeunesse septentrion, que préside Oumarou Moktar, a appelé les jeunes à se mobiliser, pour le boycott de la cérémonie d’installation du nouveau gouverneur de la région du Nord ce jour. « Nous allons mobiliser ce mardi 2000 jeunes pour dire au président Biya que le Nord n’est pas d’accord avec lui, mais surtout montrer notre soutien au ministre Marafa ». Une source du Jour à la délégation régionale de la police pour le Nord a confié sous anonymat : « Nous avons reçu un ordre express d’interpeller et de mâter toute marche de soutien à M. Marafa. Il y a des renseignements que nous avons reçus ayant trait à la cérémonie d’installation du gouverneur ce jour ». Hier après midi, l’arrivée de René Emmanuel Sadi, le ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, pour la cérémonie d’installation du nouveau gouverneur de la région du Nord à été boycottée.
Hier après midi, 11 personnes ont été convoquées au poste de liaison de la Dgre de Garoua. Elles sont accusées de préparer une marche de protestation contre l’arrestation de Marafa Hamidou Yaya. Joint au téléphone, Alhadji Sali Nouhou, membre du comité central de l’Undp dans le Nord, a confié : « Je suis au poste de liaison de la Dgre à Garoua. On nous accuse de vouloir organiser une marche de soutien à Marafa ». Les personnes convoquées par la Dgre sont des responsables de l’administration originaire de Garoua, des cadres du Rdpc et de l’Undp. Le secrétaire général de la Communauté urbaine de Garoua a été lui aussi entendu par les services de renseignement.
Adolarc Lamissia
«Machine à broyer»
J’ai reçu la notification de ma convocation chez le juge d’instruction vendredi dernier. Il m’était demandé de me présenter avec mon conseil, ce lundi 16 avril 2012 à 09 heures [ndlr hier]. Il s’agit de l’affaire de l’achat de l’avion présidentiel. Il est fort probable que je ne rentre pas chez moi après ma visite chez le juge. Parce que la machine à broyer à été mise en branle. Je sais que je suis innocent, j’ai fais ce qui était à faire dans cet affaire. Je demande à tous mes proches d’être forts et de beaucoup prier. Nous sommes préparés au pire comme au meilleur. J’ai été toujours disponible, parce que j’avais demandé au président de la République de me permettre de me défendre de la horde d’accusations donc je fais l’objet. Depuis ma sortie du gouvernement, j’ai toujours fais des rapports quotidiens au chef de l’Etat. Je ne me reproche rien. Nous attendons la décision de la justice, mais je souhaite que cet acharnement contre moi s’arrête.
Propos recueillis
au téléphone dimanche par A.L.
Inoni Ephraim: Le crash du « pilote »
L’ex-Pm se targuait de diriger la lutte contre la distraction des biens publics.
Drôle d’escorte hier pour l’ancien Premier ministre, Ephraim Inoni. Différente, par l’absence de rutilantes limousines comme c’était le cas lorsqu’il était chef du gouvernement. Différente aussi par l’itinéraire : point de départ, le parquet près le tribunal de Grande instance du Mfoundi, arrivée, prison centrale de Yaoundé. En fait, Ephraim Inoni est désormais privé de liberté. Le juge d’instruction au Tgi du Mfoundi, Pascal Magnaguemabé, en a décidé ainsi hier, décernant à son encontre un mandat de dépôt à la prison de Kondengui, synonyme d’inculpation, pour des faits de détournement présumé de fonds publics dont les contours ne sont pas encore vraiment connus.
Premier ministre du Cameroun entre 2004 et 2009, Ephraim Inoni goûtait, à cette époque glorieuse, aux délices d’une longue carrière dans la haute administration, avec des passages remarqués à la présidence de la République, comme secrétaire général adjoint. C’est d’ailleurs à cette fonction que remonteraient ses ennuis. Il avait flirté avec Asset Portfolio Management (Apm), un cabinet qui a œuvré dans l’audit de la location des avions de la Camair et dont le Dga Hubert Otélé Essomba est déjà en prison. Inoni Ephraim a assumé les fonctions de président du conseil d’administration de Apm avant de démissionner précipitamment, alors qu’il occupait toujours les fonctions de secrétaire général adjoint de la présidence de la République.
La presse a abondamment relayé ses auditions antérieures par le parquet de Yaoundé centre administratif. Dans une interview accordée à BBC en avril 2008, alors qu’il était Premier ministre, M. Inoni se vantait de piloter l’opération Epervier, sous la haute conduite du chef de l’Etat : "Nous sommes dans un Etat de droit. Les dossiers sont préparés mûrement avant leur transmission à la justice... L'opération se poursuivra jusqu'à ce que les gens arrêtent de voler." Sans doute a-t-il révisé cette position volontariste depuis qu’il est lui-même confronté au rouleau compresseur de la machine judiciaire.
Claude Tadjon
Marafa Hamidou Yaya: On a repris le miraculé
S’il a échappé au pire en 1984, il va connaître de nouveaux tourments.
Pourquoi l’opinion semble-t-elle si étonnée d’apprendre que Marafa Hamidou Yaya est depuis hier à la prison de Kondengui ? Pour diverses raisons dont un bon nombre tiennent de l’irrationnel et des atavismes camerounais. L’homme est perçu depuis quelques années comme l’un des dauphins potentiels de Paul Biya dans la perspective d’une succession selon le fameux axe Nord-Sud. Et dans cette optique, il aurait à la fois le soutien des Etats-Unis, de la France et de Nicolas Sarkozy, président sortant que les sondages annoncent battu, le mois prochain, par François Hollande. Des soutiens réels ou supposés qui font qu’au Cameroun, l’on ne voyait pas très bien ce technocrate tomber en disgrâce et sortir du jeu.
Mieux encore, membre du gouvernement jusqu’en décembre 2011, Marafa Hamidou Yaya y est resté dix sept ans avec un épisode comme secrétaire général de la présidence de la République. L’épisode des ennuis. Une longévité qui lui aura permis de tisser de précieuses relations au sein de l’appareil d’Etat, au sein du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) mais aussi au sein de l’élite des trois régions septentrionales.
Près de vingt ans durant, l’ex-Minatd s’est ménagé un carnet d’adresses précieux et un socle qui, dans un pays comme le nôtre, pouvaient s’avérer décisifs le moment venu. Viendra-t-il, ce moment ? Ne s’étant jamais exprimé sur ses intentions, le discret Marafa Hamidou Yaya a laissé le soin aux autres- politiques, observateurs et journalistes- de parler pour lui et de lui prêter des ambitions présidentielles. L’opinion a prêté les mêmes desseins à quelques autres pontes du régime Biya dont un bon nombre sont poursuivis pour détournements de deniers publics. Une épuration politique contre les prétendants au palais d’Etoudi à laquelle, vraie ou fausse, Marafa n’échappe donc pas aujourd’hui.
Rien à voir avec l’épisode de 1984 où, cette fois, Marafa Hamidou Yaya l’avait échappé belle. Aux lendemains du coup d’Etat manqué du 6 avril de cette année, des arrestations massives sont opérées au sein de la communauté d’origine des commanditaires du putsch. Alors que Marafa Hamidou Yaya est arrêté et sur le point d’être conduit vers une destination d’où beaucoup ne sont pas revenus, son épouse, originaire du Littoral, obtient que son mari soit épargné. Il n’a alors que 32 ans et ne travaille que depuis quatre ans comme ingénieur à Douala chez Elf Serepca. Ce frais émoulu des universités américaines a en effet obtenu un Master of Science degree en Petroleum Engineering dans le Kansas. La Société nationale des hydrocarbures recrute ensuite ce « pétrolier » et c’est de là qu’en novembre 1992, il devient secrétaire d’Etat n°2 aux Finances, le prélude d’une longue carrière ministérielle et politique dont le vrai tournant est amorcé depuis hier.
Stéphane Tchakam