Plus d’un an après le jugement sur le fond rendu, le 7 septembre 2011, par la Chambre administrative de la Cour Suprême dans l’affaire CMC/MINCULT en faveur de la CMC, cette décision de Justice n’a toujours pas été appliquée par le ministère des Arts et de la Culture. Bien plus, la controverse n’a guère faibli concernant le bicéphalisme paradoxal dans la gestion collective du droit d’auteur de l’art musical au Cameroun entre la CMC, société légale au regard du droit en sa faveur, et la SOCAM, société fictive parce que illégale en droit mais soutenue malgré tout sur le plan administratif par le ministère des Arts et de la Culture.
Il me semble qu’il y’a davantage lieu d’apporter quelques éléments d’analyse à ce précédent qui constitue une entorse grave aux principes juridiques qui gouvernent l’exercice collectif des droits d’auteur au Cameroun au point de remettre grandement en question la nature juridique des pouvoirs et du contrôle des organismes de gestion collective du droit d’auteur et des droits voisins du droit d’auteur.
Pour paraphraser un grand agronome français, R. DUMOND, qui affirmait, il y’a quelques décennies, que « l’Afrique est mal partie », l’histoire ne me donnerait-elle pas raison si j’affirme que la gestion collective du droit d’auteur et des droits voisins du droit d’auteur est mal partie au Cameroun ? En effet, aujourd’hui, les échecs sont largement consommés aussi bien dans le fonctionnement de la Commission Permanente de Médiation et de Contrôle des sociétés de droit d’auteur (CPMC) chargée du contrôle du respect des normes en matière de perception et de répartition que dans celui des organismes de gestion collective du droit d’auteur et des droits voisins du droit d’auteur. Ce qui a poussé et pousse encore à s’interroger sur les causes réelles qui ont entraîné ce considérable effondrement.
C’est ainsi qu’on est arrivé à se focaliser, non plus sur les conditions de fond et les exigences de forme qui règlementent la gestion collective du droit d’auteur au Cameroun et les incompétences de ceux qui sont supposés veiller au respect de l’orthodoxie en la matière, mais sur les problèmes d’égo, les discours pompeux, les calomnies, les persécutions et les mensonges éhontés, sources de conflits de toutes sortes et présentement appréhendés comme facteurs principaux de blocage, sinon de paralysie de la gestion collective du droit d’auteur et des droits voisins du droit d’auteur.
Cette situation laisse apparaître des divergences graves à l’intérieur du système politico-administratif entre les acteurs politiques, sociaux et culturels et à l’extérieur, vis-à-vis des partenaires étrangers. La prise en compte de ces désaccords est importante dans la mesure où les critères de droit et de bonne gouvernance sont également devenus des préalables dans les négociations et les partenariats en ce qui concerne aussi le domaine culturel, notamment le droit d’auteur.
On s’aperçoit alors que tout le monde n’attribue pas le même sens au concept de « droit » au Cameroun et cette divergence de vues explique la divergence des objectifs, les luttes d’intérêt et même les résultats catastrophes d’aujourd’hui. Toutes choses valables autant pour l’art musical (CMC et SOCAM) que pour les trois autres arts : arts graphique et plastique (SOCADAP) ; arts audiovisuel et photographique (SCAAP) ; littérature, arts dramatique, dramatico-musical, chorégraphique et autres arts du même genre (SOCILADRA).
En prenant un exemple patent, c’est-à-dire l’affaire CMC/MINCULT qui a défrayé la chronique à travers le monde, il peut sembler surprenant de parler de justice administrative en lui accolant le problème de l’inexécution des décisions de justice, tellement la notion de justice administrative à elle seule implique non seulement l’extension de contrôle du juge sur l’action de l’administration, mais également le respect par celle-ci de tous les arrêts prononcés contre elle.
Si tel devait logiquement être le cas, il faut malheureusement reconnaître qu’il ne l’est pas toujours car il est dans la nature humaine des choses que l’administration ne se prête pas toujours de bonne grâce à l’exécution des décisions de justice. Le cas du ministère des Arts et de la Culture est pathologique avec des bassesses regrettables comme l’orgueil, l’entêtement, le mauvais vouloir si ce n’est la mauvaise foi.
Quelle valeur peut avoir un jugement ou un arrêt
si son application n’est pas garantie ? De quelle crédibilité de la
justice administrative peut-on parler si, au bout de plusieurs mois, la
décision dotée de l’autorité de la chose jugée est ignorée par une
administration convaincue de son invincibilité, voire de sa
« puissance » ?
Le problème en question n’est malheureusement pas passager. Négligé
comme on le déplore aujourd’hui, plus d’un an après, il risque de
prendre de très grandes proportions pour deux raisons au moins. Primo :
c’est n’importe quel ministre des Arts et de la Culture qui pourrait à
l’avenir, au mépris de la réglementation en vigueur, soumettre tous les
acteurs du droit d’auteur à sa magistrature arrogante et en toute
impunité. Secundo : au fur et à mesure que le juge prononcera des
astreintes contre l’administration et que celle-ci persistera dans son
entêtement, il s’avèrera que les solutions puisées dans le code de
procédure civile comporteront des armes d’une portée bien limitée contre
une administration intouchable et se complaisant dans l’anonymat de la
personne morale. C’est cette situation dramatique que les Camerounais,
dans leur majorité, déplorent.
Ayant été décidée sur le fond le 7 septembre 2011,
le jugement N°192/2011/CA/CS, qui a annulé le communiqué de presse
N°0091/MP/CAB du 3 mai 2008 ainsi que la décision N°0087/MINCULT/CAB du 8
mai 2008 ayant abouti à la création de la SOCAM, a vidé l’intégralité
du litige CMC/MINCULT pour trois raisons.
D’une part, tout jugement contradictoire sur le fond a l’autorité de la
chose jugée dès son prononcé. D’autre part, lorsque le jugement rendu
n’est plus susceptible d’aucun recours suspensif d’exécution, il est dit
passé en force de la chose jugée. Et de troisième part, lorsque ce
jugement n’est plus susceptible d’aucun recours, suspensif ou non
suspensif d’exécution, il est dit passé en chose irrévocable de chose
jugée. En d’autres termes, il a désormais force de vérité légale, ce qui
a été jugé étant tenu pour être la vérité et ne pouvant plus être mis
en cause de quelque manière que ce soit.
Un autre point qui mérite attention est que cette
décision, laquelle a revêtu la formule exécutoire, a été bel et bien
notifiée à la ministre des Arts et de la Culture par voie de
signification, c’est-à-dire par acte d’huissier de justice.
Tout ceci amène bien évidemment à dire que la justice administrative
camerounaise, en dépit des progrès hautement appréciables qu’elle a
enregistrés ces dernières années, est exposée à un mal des plus
délétères qui est celui de son ignorance par la puissance publique. Et
le cas de la CMC est en train de réduire la notion même de justice
administrative aujourd’hui à un simple décorum parmi les institutions de
l’Etat.
Cela étant dit, on ne fera pas offense aux hauts
cadres appréciés et appréciables du ministère des Arts et de la Culture
et de la CPMC en disant que pour la plupart des dispositions prises par
ladite administration, soit celles-ci présentent des insuffisances ou
des ambigüités, soit elles ne sont pas particulièrement claires. Et
ensemble, elles constituent, pour ces raisons, des sources permanentes
de conflits et de blocage du fonctionnement des organismes de gestion
collective du droit d’auteur et des droits voisins du droit d’auteur.
Il ne pouvait d’ailleurs en être autrement car dès le changement
intervenu à la tête du ministère des Arts et de la Culture le 7
septembre 2007, la nouvelle patronne des lieux, Ama Tutu Muna, a surpris
tous les observateurs avertis par sa première marque de style. Face au
dilatoire manifesté par certains grands usagers dans leur refus de
s’acquitter de leurs redevances de droit d’auteur, la ministre des Arts
et de la Culture conforta plutôt la confusion ambiante en mettant entre
parenthèses toutes les décisions prises par son prédécesseur, une
soixantaine au total, et non seulement afférentes à l’application de la
loi N°2000/011 du 19 décembre 2000 relative au droit d’auteur et aux
droits voisins du droit d’auteur mais dont la signature s’est faite au
terme de deux ans d’âpres négociations avec les usagers concernés.
En créant un Comité d’évaluation de tous ces
textes le 16 octobre 2007, Ama Tutu Muna faisait ainsi table rase du
droit alors que les usagers n’avaient plus qu’un seul choix, celui
d’appliquer les décisions évoquées plus haut dès lors qu’il n’y avait
plus de possibilités pour eux ni d’un recours gracieux auprès du
ministre de la Culture, ni d’un recours en annulation auprès de la
Chambre Administrative de la Cour Suprême. Dans leurs turpitudes, ces
derniers avaient plutôt préféré critiqué les décisions querellées au
lieu de les attaquer sur le plan du droit.
Depuis lors, les perceptions sont bloquées et les sociétés de droit
d’auteur, parce que privées de ressources adéquates, tirent vers
l’asphyxie complète. Entre les organismes de gestion collective de droit
d’auteur et les usagers, que sont les consommateurs des œuvres de
l’esprit, le chaos est grand aujourd’hui.
Cinq ans après le lancement des activités de ce Comité en grandes
pompes, les artistes se posent légitimement une question aujourd’hui :
« qu’est devenue cette Commission aujourd’hui ? ». Toute son action
s’est malheureusement limitée là, c’est-à-dire au « dire », à
« l’annonce » et non dans « le faire ».
Autre incongruité du ministère des Arts et de la Culture : le Protocole
d’accord portant sur la rémunération pour copie privée de phonogrammes,
de vidéogrammes et des œuvres imprimées signé le 28 juillet 2011 entre
la Société civile des droits de la littérature et des arts dramatiques
(SOCILADRA), la Société civile de droit d’auteur et droits voisins des
arts audiovisuels et photographiques (SCAAP) et la Société civile
camerounaise de l’art musical (SOCAM), représentées par leurs directeurs
généraux d’une part et les Douanes camerounaises représentées par sa
Directrice Générale d’autre part.
A l’observation, si ce Protocole d’accord a bel et
bien été validé par la ministre des Arts et de la Culture, il paraît
pourtant, chose étonnante, qu’il est en porte-à-faux non seulement avec
la loi N°2000/011 du 19 décembre 2000 relative au droit d’auteur et aux
droits voisins du droit d’auteur, au décret N°2001/956/PM du 1er
novembre 2001 fixant les modalités d’application de ladite loi mais
aussi avec les dispositions statutaires qui régissent le fonctionnement
des sociétés de droit d’auteur. Il gagnerait donc à être clarifié.
L’article 13 du décret N°2001/956/PM du 1er novembre 2001 fixant les
modalités d’application de la loi N°2000/011 du 19 décembre 2000
relative au droit d’auteur et aux droits voisins du droit d’auteur
stipule que « La rémunération pour copie privée de phonogramme et
vidéogramme est fixée par arrêté du ministre chargé de la Culture. »
Dans aucune phrase, le Protocole d’accord ne fait allusion à cet article
qui constitue l’un des repères fondamentaux en matière des redevances
dues à la rémunération pour copie privée de phonogramme et vidéogramme.
Chose beaucoup plus surprenante, la décision d’approbation concernant
les redevances dues au titre de la rémunération pour copie privée de
phonogramme et vidéogramme n’est toujours pas, chose regrettable,
traduite dans les faits. Douze ans après la promulgation de la loi sur
le droit d’auteur par le Président de la République et onze ans après la
signature du décret d’application de ladite loi par le Chef du
gouvernement.
Il n’est point besoin de relever ici que le droit d’auteur n’est ni un impôt, encore moins une taxe. Les organismes de gestion collective du droit d’auteur et des droits voisins du droit d’auteur ne sauraient donc imposer des taux forfaitaires aux usagers. Les usages de la profession d’artiste, s’agissant des modalités de paiement de la redevance due au titre du droit d’auteur, recommandent que la démarche soit participative car il faut toujours donner à la négociation toute sa pertinence : les organismes de gestion collective du droit d’auteur d’un côté et les usagers du droit d’auteur de l’autre, sous la supervision et l’arbitrage de la Commission Permanente de Médiation et de Contrôle des organismes de gestion collective du droit d’auteur. C’est dans cette perspective que les types de supports sont définis et les taux de rémunération arrêtés. Lesquels sont approuvés à travers un arrêté du ministre des Arts et de la Culture conformément à l’article 13 du décret susdit.
Concernant toujours le libellé du Protocole
d’accord en question, l’article 4 stipule que « la Douane est autorisée à
percevoir des rémunérations ». Les Douanes camerounaises ne sauraient
se substituer aux organismes de gestion collective du droit d’auteur et
des droits voisins du droit d’auteur à qui appartient exclusivement
cette prérogative.
Les dispositions du décret N°2001/956/PM du 1er novembre 2001 paraissent
suffisamment éloquentes par elles-mêmes. Il suffira tout simplement de
rappeler que l’alinéa 2 de l’article 22 du décret en question est sans
équivoque : « l’agrément est incessible ».
Un autre énoncé inattendu, paradoxal et qui laisse perplexe : l’article 5 du Protocole d’accord parle de 85% des droits à verser dans un compte hors budget ouvert par la direction générale du Trésor. Un détail qui prête à sourire car l’ouverture des comptes hors budget, faut-il le souligner, relève de la seule prérogative du Président de la République. Et s’agissant même de la répartition des redevances du droit d’auteur dues au titre de la copie privée, il n’est pas inutile de relever avec force que cette rémunération bénéficie à parts égales aux auteurs (25%), aux artistes interprètes (25%), aux producteurs (25%) et au Fonds de soutien à la politique culturelle (25%) qui est géré par le ministère des Arts et de la Culture. D’où le droit de regard dudit ministère dont le refus délibéré de s’inspirer des textes réglementaires en matière de droit d’auteur au Cameroun et la complicité d’une telle duperie ne manquent pas de surprendre.
Au final, une appréciation objective du fonctionnement du ministère des Arts et de la Culture, de la Commission Permanente de Médiation et de Contrôle des organismes de gestion collective de droit d’auteur (CPMC) et desdits organismes eux-mêmes laisse apparaître que rien ne va et que les incompétences, les insuffisances, les incongruités l’emportent, et de très loin, sur quelques actions de façade mal suggérées telles que l’ouverture d’un dispensaire pour artistes du Cameroun au sein du ministère des Arts et de la Culture ou encore l’annonce pompeuse faite autour de l’ouverture prochaine de deux semblants de salles de cinéma à Yaoundé.
Il n’y a aucune outrecuidance à suggérer que le
Premier Ministre et le Président de la République prennent enfin leurs
responsabilités pour sauver le droit d’auteur et les artistes. L’échec
de la ministre des Arts et de la Culture, Ama Tutu Muna, est évident. Et
c’est une lapalissade que de le souligner ici.
Dans la vie, l’homme a le choix entre la vérité et le mensonge. Il y’a
des hommes qui se disent puissants, la ministre des Arts et de la
Culture en l’occurrence. Toutefois, quel que soit leur pouvoir, ils sont
très faibles pour transformer le mensonge en vérité et l’échec en
succès. En effet, la vérité est comme un poisson dans l’eau. Quand vous
cherchez à la noyer, vous lui donnez plus de souffle pour mieux nager.