Affaire Bibi Ngota: Laurent Esso, le nébuleux domaine pétrolier et la mort du journaliste
© CHARLES ATEBA EYENE (Corresp.) | Dikalo
Une onde de choc traverse actuellement le Cameroun. Il s'agit de la mort tragique du journaliste camerounais Biby Ngota décédé à la Prison Centrale de Kodengui à Yaoundé. L'opinion nationale et internationale sévit. Les fils du Sud menacent de faire enterrer le corps de leur frère au cimetière de Deido à Douala si les enquêtes sont bâclées.
La société est un espace de débat. Dans la République, les hommes sont égaux. Ce n'est pas parce qu'on s'appelle Laurent ESSO, que l'on est Magistrat hors hiérarchie, que l'on officie aux côtés du prince depuis des lustres, que l'on est forcément un super-homme. Un fils du Sud est mort et les fils du Sud exigent la justice. Le fait pour certains d'avoir trop d'égo travestit souvent hélas ! La dimension humaine de la société. Voilà le fond du mélodrame que notre pays vit en ce moment. Un mélodrame que le politiquement correct veut limiter à la forme, auscultant le fond. Un fond sale, du reste. Et encore que, dans la dialectique, il n'y a jamais de forme sans fond. Je dis donc qu'on ne se limite pas au soit disant faux document détenu par les journalistes incriminés, pour que le bon sens soit la chose du monde la mieux partagée par tous. Si on ne le fait pas, beaucoup de vérités sur le fond de l'affaire nous échapperont.
La principauté
Pour l'histoire et la mémoire, il faut que le sang du journaliste «assassiné» résolve le problème d'espèces de principautés que la cupidité veut établir dans notre pays. Le prétexte et le contexte de cette affaire permettent de mettre enfin le doigt dans la plaie camerounaise en matière de bonne gouvernance. Ce qui s'est passé, se passe et se passera peut-être encore, est macabre. Je suis d'avis avec tous ceux qui souhaitent que la vérité sur la mort du journaliste soit sue et que les responsabilités soient établies afin que de principautés nouvelles ne voient le jour au Cameroun aujourd’hui et demain. Quand je parle de principauté, je parle de simples personnes qui, par la seule fortune et par le décret, sont devenues des rois. Des rois qui usent du pouvoir non pour servir mais pour écraser le peuple. Un fils du Sud qui est la région la moins peuplée du pays est mort. Cette mort doit être éclairée. C'est encore une exigence des fils du Sud qui ne sont pas à la périphérie de la République. C'est en ce moment ci, une exigence de tous les Camerounais ordinaires victimes de ceux dont les crimes ont fait rois dans le cadre de ce que Nicolas Machiavel appelle la principauté civile. La principauté vient ou du peuple ou des grands, selon que l'une ou l'autre partie en a l'occasion. Dans cette affaire très grave, le politiquement correct ne peut qu'envenimer la situation. Il faut donc bien juger et examiner la qualité de mon propos pour ne pas se tromper de méthode et de méthodologie. Il faut bien que chacun gère ses émotions en tenant compte de celles des autres. L'affaire du journaliste Biby Ngota nous plonge dans le nébuleux domaine pétrolier et ses dédalles. Elle met en relief la corruption et la maffia qui s'y déroulent et dont personne ne doit parler, alors que nous sommes dans une République. La logique de papauté qui s'y est développée exacerbe. Tous les soldats mercenaires du cercle qui a entraîné, par le laxisme, la concussion, la corruption et l'opportunisme, la mort du journaliste doivent être identifiés et sanctionnés conformément aux lois de la République.
Les larmes avec lesquelles les Camerounais pleurent leur fils mort dans des conditions de légèreté sont légitimes. Ces larmes auront la vertu et la puissance de laisser éclater la vérité liée au fond de l'affaire. Pour cela, tous ceux qui se laissent distraire par ceux qui ont intérêt à étouffer la vérité écoperont d'une malédiction divine parce que la vie n'a pas de prix. Le prince doit donc faire quelque chose pour éviter l'amalgame, le noircissement de l'image et du prestige du Cameroun. Il n'est pas question qu'un individu ou un réseau allume un feu pour foutre le Cameroun, le RDPC ou le Chef de l'État dans la merde. La tournure des débats, en lisant les réactions des uns et des autres sur les médias et sur le net, consacre déjà cet amalgame qui n'a pas de place. Car il s'agit d'une affaire qui oppose Monsieur Laurent ESSO à trois journalistes.
Recadrer le débat
Le Cameroun ne doit pas être un pays de cruauté. Là-dessus, il n'y a pas de dispute. Un journaliste est mort, il faut que l'on sache le fond de l'affaire. Un fils du Sud est mort, il faut que le village sache de quoi est-il mort. Un Camerounais est mort, il faut que la vérité soit sue. Sur ces points, la clémence ne peut que conduire au désordre. Le régime de Yaoundé, s'il ne joue pas la carte de la transparence dans cette affaire ne peut qu'être haï et méprisé. Lorsque la graine pourrit dans la terre, elle génère généralement la vie. Pour cela, Yaoundé doit fuir les flatteurs pour sa propre crédibilité. Admettons même que les documents détenus par les journalistes soient faux. Mais alors, de quoi traitent-t-ils ? Pourquoi évite-t-on d'aborder cet aspect du problème ? Qui croit-on t'on tromper ? Qui veut-on tromper ? Comment comprendre le silence du PCA de la SNH qui n'est autre que Laurent ESSO au moment où le Cameroun boue du fait d'un feu allumé par lui ?
Dans la théorie du complot, rien n'est laissé de côté pour dévaluer un régime. On pouvait bien se passer de cette mort tragique et regrettable. Mais, pour nuire au régime BIYA on a fait ce qu'on a fait. Pour l'idéal républicain, celui qui est responsable de l'arrestation des journalistes devrait prendre des dispositions, pour s'assurer que leur traitement en prison est humain. Or, rien de tel, au regard de l'issue de l'affaire, n'a été fait. Il faut bien que la faute soit celle de quelqu’un. Qui sait à qui le tour demain ? Ce pourquoi je prends la parole, c'est pour dire aux Camerounais qu'il y a effectivement un problème de bateau acheté dans des conditions floues. Un peu comme l'Albatros. Il faut bien que le peuple le sache où ce bateau a-t-il été acheté, à combien et, si les montants des commissions sont éthiques. Il faut bien expliquer aux Camerounais que les noms des DG du Port de Douala et du Chantier Naval font partis des réseaux du ministre d'État, Secrétaire Général de la Présidence de la République. Il est donc prudent pour Monsieur Laurent ESSO, Président du Conseil d'Administration de la société indexée d'éclairer l'opinion nationale et internationale sur le fond de l'affaire qui vient d'emporter un digne fils du Sud. Sinon, il ne sera pas impossible que le corps de Biby Ngota soit plutôt enterré au cimetière de Deido à Douala pour donner un vrai sens à l'histoire de sa mort.
Autant le ministre d'État Secrétaire Général de la Présidence de la République doit faire cet effort, autant la justice camerounaise devrait examiner l'affaire dans le fond au lieu de se limiter, comme certains le souhaitent, à la forme. Les hommes de médias dont l'un des leurs est mort, ont ainsi l'occasion de faire des enquêtes profondes et rigoureuses sur ce sujet pour un hommage mérité, à la presse camerounaise et africaine. Je conseille vivement à tous ceux qui se livreront à cet exercice de prendre langue avec les autorités ougandaises et les milieux politiques de ce pays ; ils ne seront pas déçus. Je confie que La France qui demande la vérité sur la mort du journaliste détient des éléments pouvant permettre que la vérité éclate parce qu'elle a voulu, elle aussi, fournir au Cameroun le bateau dont il avait besoin, mais n'a pas été retenue. Elle est un bon témoin dans cette ténébreuse et scabreuse affaire si elle veut bien témoigner. Le débat ne fait que commencer. Il est temps de mettre les pieds dans le plat pour parler des crimes économiques qu'au cœur de la lâcheté et de la trahison, nous avons tous assumés. A chacun son pan de mémoire. Tous ceux qui sont pressés de faire diversion sur le drame se trompent. Le code de la sagesse exige en de telles circonstances que l'on s'attarde sur le couple épicé «faux documents détenus par les journalistes et achat du bateau par la SNH». Nous sommes là, dans la sémantique structurale au sens de Julien Algirdas GREIMAS. Le comble de l'hypocrisie veut que, l'on pense qu'on peut sauver la presse sans une révolution des pratiques et des mentalités.
Le vrai problème
En d'autres termes, s'il n'y avait pas eu tripatouillage et combines dans l'achat du bateau, les faux documents n'auraient pas existé. (Soit !) En observant, avec attention l'avenir, on ne peut que craindre le pire, si rien n'est fait dans le sens de l'établissement des responsabilités dans cette affaire. Il n'y a pas longtemps, un jeune Camerounais est mort en plein jour à l'Hôtel Hilton à Yaoundé dans des conditions insoutenables. Aujourd'hui, un jeune journaliste meurt en prison dans des conditions insupportables du fait de l'esprit de rente. Du coup, le Cameroun est donc indexé comme un pays des libertés bafouées alors que ce n'est pas forcément le cas. Innovons en disant publiquement «Non» à ce péché originel. Cela apportera un peu de réconfort aux uns et aux autres. Disons «Non» à l'insupportable privilège que certains prisonniers de la haute classe ont d'aller se soigner à l'hôpital et que les pauvres ne doivent pas avoir. La mère du défunt journaliste, veuve de surcroît, la nommée Georgette EDIMA qui s'exprime au journal La Météo du 26 Avril 2010 dit que son fils a été «torturé et humilié» alors que cela est proscrit par les Droits de l'Homme.
Dans un ouvrage de 266 pages publié aux Éditions Saint Paul à Yaoundé par Alexis DIPANDA MOUELLE en 1997, l'auteur aujourd'hui président de la Cour Suprême du Cameroun dit que: «la torture est une barbarie de l'humanité». Qui a donc intérêt à ce que le Cameroun soit présenté comme un État barbare ? Le même auteur avait publié quelques temps avant un ouvrage qu'il convient de citer: «Non à l'impunité des violations des Droits de l'Homme». Le poste que DIPANDA MOUELLE occupe aujourd'hui au Cameroun lui permet de réagir à une affaire comme celle dont il est question ici et maintenant. Le peuple attend.
Le coup de main du Quai d'Orsay et des Etats-Unis nous conforte. La position des syndicats des journalistes et des compatriotes dignes de ce nom nous confortent aussi. Mais, l'image de la police à la conférence de presse du Ministre de la communication au sujet de la mort tragique du journaliste est médiévale. Elle ne donne pas de réponses à la jeune épouse du disparu. Je classe la mort de Bibi Ngota dans le registre des «crimes politiques» au sens du politologue RÉGISMANET. Ces crimes mettent en relief le règne de l'arbitraire que certains pontes du régime veulent ériger en règle. Voilà pourquoi, cette question doit être prise au sérieux, pour que le Cameroun ne danse pas la danse bafia en matière de l'évolution politique. Nous n'acceptons pas de reculer après tous les sacrifices consentis par les Camerounais dans le sens de la modernité politique qui se veut un espace de débat et de tolérance.
Au moment où le Cameroun veut fêter le cinquantenaire de son indépendance, ce qui s'est passé ne peut pas faciliter la réconciliation entre les fils et les filles du Cameroun. Car, la quête de la cohésion sociale ne rime pas avec la logique qui consiste à «gouverner par la peur» comme le pensent les surfeurs de la jungle que le Cameroun ne saurait être.
Laurent ESSO n'aime pas les journalistes. Déjà en 1993, ce dernier a sacrifié le talentueux journaliste Charles NDONGO à qui il avait demandé d'écrire un papier sur la visite du Président en Chine. «Paul BIYA et la cité interdite» tel était le titre de l'article. Il ne l'avait fait que pour noyer Charles dans le cadre de ses combats feutrés avec Joseph OWONA, un autre faucon du régime alors Secrétaire Général à la Présidence de la République. Laurent ESSO lui, à l'époque, était Directeur du Cabinet Civil. Voilà dans quelle condition Charles NDONGO a perdu son poste de Chef de Brigade des Reportages spéciaux de la CRTV. Le burlesque, une fois de plus, est que le Président Paul BIYA est régulièrement exposé et trahi par ceux qui se passent pour être ses plus proches collaborateurs. Il était temps qu'ESSO laisse tomber son masque. Car, le peuple est fatigué des forfaitures qui le condamnent à la pauvreté. Les narcotrafiquants du Renouveau ne doivent plus continuer à imposer leur ordre inique parce qu'en réalité, il y a encore trop d'ESSO dans le régime. C'est la seule façon pour le Président BIYA de sortir de son règne avec une couronne d'or.
CHARLES ATEBA EYENE
SPÉCIALISTE DE LA COMMUNICATION POLITIQUE
ET DE LA SÉMIOTIQUE DU POLITIQUE.
CHEVALIER DU MÉRITE CAMEROUNAIS.
DÉLÉGUÉ A LA PRESSE ETA LA
COMMUNICATION AU BNI OJRDPC.
(Les intertitres sont de la rédaction)