Affaire Bibi Ngota : Comprendre l’accusation contre Etoundi Oyono

Cameroun  - Affaire Bibi Ngota : Comprendre l’accusation contre Etoundi OyonoLe Dg du Port autonome de Douala est accusé pour une affaire tranchée par la Justice et pour laquelle il a été témoin de l’accusation.

L’ouverture du procès pour complicité d’usage de faux devant le Tribunal de grande instance du Mfoundi, vendredi prochain, contre Emmanuel Etoundi Oyono, directeur général du Port autonome de Douala est le nouvel épisode d’une affaire qu’on croyait classée après la condamnation avec sursis, en décembre 2012, de Serge Sabouang, directeur de publication du bimensuel La Nation, Harris Robert Mintya, directeur de la publication du journal Le Devoir et de Hervé Simon Nko’o, reporter à Bebela, condamné, lui, à 15 ans de prison ferme. Depuis ce verdict, sept mois ont passé et l’on en reparle. Le Jour l’a révélé hier, le Dg du Pad, cité comme témoin dans le procès des journalistes est à présent sur le banc des accusés pour les mêmes faits de « contrefaçon de signature, des marques et imprimés ».

Le faux à l’origine de cette affaire qui n’a pas livré tous ses secrets est une correspondance datée du 20 juin 2009, attribuée à l’ex-secrétaire général de la présidence de la République, Laurent Esso (actuel ministre d’Etat chargé de la Justice) au sujet d’un bateau hôtel acquis par la Société nationale des Hydrocarbures (Snh) puis cédé au Bir. Ladite correspondance laissait croire que Laurent Esso, usant de sa double casquette de secrétaire général de la présidence de la République et président du conseil d’administration de la Snh, avait exercé des pressions sur l’administrateur directeur général de la Snh, Adolphe Moudiki, afin d’obtenir de lui le payement des commissions d’un montant de 1,3 milliard de FCfa à trois personnalités intervenues dans l’opération d’acquisition du bateau : Antoine Alo’o Bikoro, directeur général adjoint du Chantier naval et industriel du Cameroun, Dayas Mounoune, ex-directeur général du Port autonome de Douala (remplacé par Emmanuel Etoundi Oyono) et le consultant, Francis Dooh Collins.

Qui est le concepteur du document ?

Alors approché pour le recoupement de cette information, Laurent Esso ne reconnaîtra pas sa signature sur le document. Le sceau de l’Etat apparaîtra lui aussi comme un faux. Les journalistes Serge Sabouang, Harris Mintya, Hervé Simon Nko’o et Bibi Ngota, de regrettée mémoire avaient-ils alors été piégés ? Avaient-ils une intention cachée dans leur recherche d’information ? Voulaient-ils faire chanter le ministre d’Etat Laurent Esso ? Ont-ils été instrumentalisés dans des batailles entre collaborateurs du chef de l’Etat ? Ils s’en défendront, rejetant tous fermement l’accusation de tentative de chantage. N’empêche, ils seront arrêtés en février 2010 et subiront des interrogatoires musclés pendant plusieurs jours à la Direction générale de la recherche extérieure (Dgre), un service spécial chargé du contre-espionnage.

Suite à un ramdam médiatique, ils seront provisoirement libérés. Mais en mars 2010, les quatre journalistes sont à nouveau interpellés et conduits à la Direction de la police judiciaire. Hervé Simon Nko’o s’en échappe et prend la fuite. Les trois autres sont placés en garde-à-vue puis en détention provisoire à la prison centrale de Kondengui. Un mois plus tard, en avril 2010, l’état de santé fragile de Bibi Ngota, de son vrai nom Germain Cyrille Ngota Ngota ne résiste pas à ces tourments. Il décède à la prison de Kondengui le 22 avril. Le gouvernement est accusé de l’avoir laissé mourir. Le porte parole, ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary jure qu’il a été victime d’”“ liées au virus du sida. La famille de Bibi Ngota s’indigne et soutient qu’il était séronégatif jusqu’à son entrée en prison. L’ordre des médecins du Cameroun s’offusque et parle de violation du secret médical.

Esso s’explique devant les députés

Le 3 mai 2010, journée mondiale de la liberté de presse, près de 200 journalistes sont mobilisés devant les services du Premier ministre pour un sit-in au cours duquel un hommage est rendu à Bibi Ngota. La police disperse brutalement la manifestation. Mais deux des quatre journalistes arrêtés sont toujours détenus. En novembre 2010, la forte pression exercée sur le pouvoir aboutit à leur mise en liberté provisoire. Interrogé deux ans après les faits, le 4 juillet 2012, par les députés à l’Assemblée nationale, Laurent Esso donne pour la première fois sa version des faits. Il indique avoir été le destinataire de deux correspondances.

La première, manuscrite, signée de Germain Cyrille Ngota Ngota adressée au Sgpr. Une seconde lettre, dactylographiée, un protocole d’interview, signée d’Harris Robert Mintya Meka, à laquelle était jointe la copie d’une lettre estampillée d’un cachet confidentiel prétendument adressée par le ministre d’Etat Sgpr à l’Adg de la Snh, faisant état d’une instruction de procéder dans les meilleurs délais et en toute confidentialité au paiement des frais de commission pour l’acquisition du Rio del Rey. Laurent Esso reconnaît l’avoir transmise aux services de la police pour exploitation. Ces derniers ont pu établir le caractère douteux de la correspondance.

Il ajoute qu’il a saisi la direction générale de la Recherche extérieure « pour enquête et haute information du chef de l’Etat », dès lors qu’il apparaît, dira-t-il, qu’il était également fait état d’achat d’armes par ses soins, et donc de menace à la sûreté de l’Etat. M. Esso a enfin précisé qu’aucun des mis en cause dans l’affaire n’a jamais fait l’objet ni de plainte, ni de dénonciation de sa part. « M. Laurent Esso n’a été ni plaignant, ni partie civile dans cette affaire », indiquera-t-il aux députés. Trois questions restent en suspend et vont certainement rejaillir au cours du procès qui s’ouvre après-demain contre Emmanuel Etoundi Oyono : quelle est l’origine du faux document ? Quelles sont les vraies raisons de sa fabrication ? Qui en sont les commanditaires ? Affaire à suivre.

© Le Jour : Claude Tadjon


24/07/2013
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