Affaire Antoine Ntsimi: Que peut-on espérer de la CEMAC ?
YAOUNDÉ - 24 Avril 2012
© SAMUEL PRISO-ESSAWE | Mutations
La récente crise mettant en scène le président de la Commission économique et les autorités centrafricaines commande qu'on s'interroge sur l'avenir de l'organisation sous-régionale.
Encore un épisode qui montre à quel point le chemin est encore long pour faire fonctionner l'intégration en Afrique centrale... Et cet acte pour le moins rocambolesque devient un feuilleton, dont les épisodes (réactions de la presse, réaction du gouvernement...) comme les silences des autres partenaires (Congo, Gabon, Guinée équatoriale, Tchad) ne manquent pas non plus de susciter quelques interrogations sur l'idée d'intégration dans cette zone régionale.
Les faits sont assez simples, et malheureusement révélateurs d'une méconnaissance de tant de choses... Antoine Ntsimi, président de la Commission de la Cemac, revient le 21 mars 2012 à Bangui à bord d'un avion de la compagnie Ethiopian Airlines en provenance de Douala. Des officiers lui interdisent, sur ordre dit-on du Président de la République centrafricaine, le débarquement, au motif qu'il n'est plus Président de la Commission. Je ne m'étendrai pas sur les méthodes apparemment utilisées par les flics, cet aspect des choses ne semblant pas être uniformément relaté (l'hebdomadaire Jeune Afrique indiquant par exemple que les accusations de violence ont été démenties par le ministre centrafricain dépêché à Brazzaville par son Chef d'Etat). Mais dans tous les cas, ces faits peuvent être traduits comme suit : Le chef de l'exécutif d'une organisation internationale, qui revient sur le territoire de l'Etat de siège, est empêché par les autorités de ce dernier et à leur propre initiative, de rentrer sur leur territoire, au motif que son mandat a expiré! Les spécialistes du droit international auront quelque mal à se retenir de sauter au plafond...
Le mandat a-t-il expiré?
M. Ntsimi a été nommé à la tête de la Commission de la Cemac par l'Acte additionnel n° 17/Cemac/CCE-08 du 25 avril, 2007. Cet Acte fait suite à l'adoption, le même jour, d'un Additif au traité de la Cemac, qui «cré[e], en remplacement du Secrétariat Exécutif institué par le Traité du 16 mars 1994 et les textes subséquents, une Commission». La seule référence fondamentale mentionnée aussi bien dans l'Additif du 25 avril que dans l'Acte additionnel du même jour étant le traité du 16 mars 1994, il est donc évident que le mandat des membres de la Commission nouvellement créée était le même que celui du Secrétariat exécutif tel que défini par l'article 16 de l'additif du 5 juillet 1996, texte «subséquent» au traité de 1994, soit 5 ans renouvelables une fois. Le président nommé le 25 avril 2007 l'était donc pour 5 ans, soit jusqu'au 24 avril 2012. Sauf ou arrangement exprès pris par les Chefs d'Etat, mais dont on ne trouve trace nulle part... En cas renouvellement, le nouveau mandat serait toutefois de 4 ans, conformément au nouveau traité de la Cemac adopté le 25 juin 2008. On peut donc se demander sur quel(s) fondement(s) il peut être allégué que l'intéressé n'est plus autorisé à exercer ses fonctions.
Quand bien même cela aurait été le cas, il ne revient pas aux autorités de l'Etat de siège de faire respecter unilatéralement les textes communautaires. Pas plus qu'il ne reviendrait éventuellement au pays dont le président sortant et ressortissant de le «rappeler». «L'appropriation» nationale des responsables de la Cemac est assez courante. Ainsi, le Gouvernement gabonais avait par exemple décidé de «rappeler le Gouverneur de la Beac, Philibert Andzembe, en vue de son remplacement» (Communiqué du Conseil des Ministres du Gabon du 19 octobre 2009) ; et si dans ce même communiqué il était fait référence au statut d'«organisme international et indépendant» de la Beac, c'était pour «souhai¬te[r] vivement que les autres pays membres participent activement à la recherche des solutions pour restaurer la sérénité et la crédibilité de la Beac»
Le Gabon estimait peut-être ainsi avoir fait «sa part» en retirant le gouverneur de son poste... Ou alors, pensait-il avoir une responsabilité particulière du fait de la nationalité du Gouverneur... Dans l'un ou l'autre de ces cas, c'était un mauvais raisonnement, et le seul fait de poser le problème ainsi montre bien que la prégnance du sentiment d'appropriation que j'ai évoqué plus haut!
Qu'y aurait-Il lieu de faire?
Le lien de nationalité entre le Président de la Commission et son Etat d'origine ne confère à ce dernier aucun droit particulier ni dans le contrôle de l'exercice de la fonction, ni dans la défense du statut du titulaire du mandat.
L' «affaire Ntsimi» n'est ni camerounaise, ni centrafricaine, ni camerouno-centrafricaine. C'est une affaire communautaire, dans laquelle les six Etats membres de la Cemac ont un intérêt égal, et sur laquelle le Président en exercice est attendu dans son rôle. Par ailleurs, il existe une Cour de Justice, dont la compétence s'étend aussi à ce type de question; l'acte des autorités centrafricaines du 21 mars 2012 fait partie de ceux qui pourraient constituer un «manquement; au droit de la Cemac, dont l'appréciation peut être soumise à la Cour par tout Etat membre, dont bien entendu le Centrafrique ou le Cameroun (soit dit en passant, si ce dernier le faisait parce que le Président de la Commission est un camerounais, ce serait une très mauvaise raison...). La République centrafricaine, en tant qu'Etat de siège, est tenue sur le plan bilatéral par les termes de l'accord de siège, qui accorde au responsable de l'exécutif de la Communauté, a minima, les privilèges et immunités diplomatiques! Elle est aussi tenue, sur le plan multilatéral, par le droit de la Communauté de façon générale, c'est-à-dire celui par exemple qui nomme les personnels communautaires. Il est donc assez surprenant que, de sa propre initiative, l'Etat membre qui abrite le siège de la Communauté se fasse tout seul gardien d'une légalité communautaire qu'il a en l'occurrence lui-même définie, puisque l'Acte additionnel du 25 avril 2007 est toujours en vigueur, et que la personne nommée n'a pas démissionné. L'empressement des autorités centrafricaines est d'autant plus suspect qu'elles ne s'étaient pas opposées, il y a quelques années, au retour sur leur territoire d'un ex-responsable de l'exécutif de la Cemac qui, en dépit de sa nomination à d'autres fonctions dans son Etat d'origine (nomination qu'il avait acceptée, démissionnant ainsi de fait de son poste communautaire) avait jugé utile de se rendre au siège de la Communauté pour gérer des «affaires courantes», ignorant ainsi l'incompatibilité entre les fonctions communautaires et nationales posée par le traité de la Cemac, et la nullité des actes qu'il aurait alors posés... !
Sans s'étendre sur les supposés soubassements politiques de cette réaction, l'on ne peut que relever, pour le regretter, que l'attitude des autorités centrafricaines démontre une profonde méconnaissance de ce que sont le droit de la Cemac et le droit international: le statut des personnels de l'organisation, les mécanismes de contestation juridictionnels, etc. Que peut-on espérer lorsque le (mauvais) exemple vient ainsi d'en haut...?
A qui le tour?
Selon commentateurs, observateurs et journaux, tous ces faits seraient dus au fait que, pour les autorités de Bangui, l'heure centrafricaine aurait sonné à la présidence de la Commission. D'autres dénoncent en revanche l'inertie de la diplomatie camerounaise qui se laisserait damer le pion par le pays voisin. La Conférence des Chefs d'Etat a en effet décidé, par un acte additionnel du 17 janvier 2010, «du principe de la rotation, par ordre alphabétique, des Etats membres, de tous les postes de responsabilité au niveau de l'ensemble des Institutions, Organes et Institutions spécialisées de la Cemac». Cet ordre alphabétique situe le Centrafrique après le Cameroun. Mais, vu que, selon le traité de la Communauté, le mandat à la tête de la Commission est renouvelable une fois, l'application du principe de rotation signifie simplement que le Président sortant, s'il sollicite un nouveau mandat, ne peut être en concurrence qu'avec des ressortissants de Centrafrique, sauf si cet Etat «saute son tour», ce qui visiblement n'est pas le cas! Et si un centrafricain est nommé, il sera en concurrence à l'expiration de son mandat, avec un congolais, ainsi de suite...
La succession du Président sortant est donc bel et bien en jeu, sous «l'auspice» entre autres des dernières révélations des médias... Il sera important que, pour la désignation du responsable de la Commission, les Chefs d'Etat ne soient guidés que par le souci de rendre plus crédible un processus d'intégration qui fait cohabiter, dans l'actualité, violences aux frontières intérieures entre ressortissants d'Etats membres et luxueux voyages de responsables communautaires et, dans nos portefeuilles, passeports assortis de visas et d'autorisations de travail et... une monnaie commune!
© SAMUEL PRISO-ESSAWE | Mutations
La récente crise mettant en scène le président de la Commission économique et les autorités centrafricaines commande qu'on s'interroge sur l'avenir de l'organisation sous-régionale.
Encore un épisode qui montre à quel point le chemin est encore long pour faire fonctionner l'intégration en Afrique centrale... Et cet acte pour le moins rocambolesque devient un feuilleton, dont les épisodes (réactions de la presse, réaction du gouvernement...) comme les silences des autres partenaires (Congo, Gabon, Guinée équatoriale, Tchad) ne manquent pas non plus de susciter quelques interrogations sur l'idée d'intégration dans cette zone régionale.
Les faits sont assez simples, et malheureusement révélateurs d'une méconnaissance de tant de choses... Antoine Ntsimi, président de la Commission de la Cemac, revient le 21 mars 2012 à Bangui à bord d'un avion de la compagnie Ethiopian Airlines en provenance de Douala. Des officiers lui interdisent, sur ordre dit-on du Président de la République centrafricaine, le débarquement, au motif qu'il n'est plus Président de la Commission. Je ne m'étendrai pas sur les méthodes apparemment utilisées par les flics, cet aspect des choses ne semblant pas être uniformément relaté (l'hebdomadaire Jeune Afrique indiquant par exemple que les accusations de violence ont été démenties par le ministre centrafricain dépêché à Brazzaville par son Chef d'Etat). Mais dans tous les cas, ces faits peuvent être traduits comme suit : Le chef de l'exécutif d'une organisation internationale, qui revient sur le territoire de l'Etat de siège, est empêché par les autorités de ce dernier et à leur propre initiative, de rentrer sur leur territoire, au motif que son mandat a expiré! Les spécialistes du droit international auront quelque mal à se retenir de sauter au plafond...
Le mandat a-t-il expiré?
M. Ntsimi a été nommé à la tête de la Commission de la Cemac par l'Acte additionnel n° 17/Cemac/CCE-08 du 25 avril, 2007. Cet Acte fait suite à l'adoption, le même jour, d'un Additif au traité de la Cemac, qui «cré[e], en remplacement du Secrétariat Exécutif institué par le Traité du 16 mars 1994 et les textes subséquents, une Commission». La seule référence fondamentale mentionnée aussi bien dans l'Additif du 25 avril que dans l'Acte additionnel du même jour étant le traité du 16 mars 1994, il est donc évident que le mandat des membres de la Commission nouvellement créée était le même que celui du Secrétariat exécutif tel que défini par l'article 16 de l'additif du 5 juillet 1996, texte «subséquent» au traité de 1994, soit 5 ans renouvelables une fois. Le président nommé le 25 avril 2007 l'était donc pour 5 ans, soit jusqu'au 24 avril 2012. Sauf ou arrangement exprès pris par les Chefs d'Etat, mais dont on ne trouve trace nulle part... En cas renouvellement, le nouveau mandat serait toutefois de 4 ans, conformément au nouveau traité de la Cemac adopté le 25 juin 2008. On peut donc se demander sur quel(s) fondement(s) il peut être allégué que l'intéressé n'est plus autorisé à exercer ses fonctions.
Quand bien même cela aurait été le cas, il ne revient pas aux autorités de l'Etat de siège de faire respecter unilatéralement les textes communautaires. Pas plus qu'il ne reviendrait éventuellement au pays dont le président sortant et ressortissant de le «rappeler». «L'appropriation» nationale des responsables de la Cemac est assez courante. Ainsi, le Gouvernement gabonais avait par exemple décidé de «rappeler le Gouverneur de la Beac, Philibert Andzembe, en vue de son remplacement» (Communiqué du Conseil des Ministres du Gabon du 19 octobre 2009) ; et si dans ce même communiqué il était fait référence au statut d'«organisme international et indépendant» de la Beac, c'était pour «souhai¬te[r] vivement que les autres pays membres participent activement à la recherche des solutions pour restaurer la sérénité et la crédibilité de la Beac»
Le Gabon estimait peut-être ainsi avoir fait «sa part» en retirant le gouverneur de son poste... Ou alors, pensait-il avoir une responsabilité particulière du fait de la nationalité du Gouverneur... Dans l'un ou l'autre de ces cas, c'était un mauvais raisonnement, et le seul fait de poser le problème ainsi montre bien que la prégnance du sentiment d'appropriation que j'ai évoqué plus haut!
Qu'y aurait-Il lieu de faire?
Le lien de nationalité entre le Président de la Commission et son Etat d'origine ne confère à ce dernier aucun droit particulier ni dans le contrôle de l'exercice de la fonction, ni dans la défense du statut du titulaire du mandat.
L' «affaire Ntsimi» n'est ni camerounaise, ni centrafricaine, ni camerouno-centrafricaine. C'est une affaire communautaire, dans laquelle les six Etats membres de la Cemac ont un intérêt égal, et sur laquelle le Président en exercice est attendu dans son rôle. Par ailleurs, il existe une Cour de Justice, dont la compétence s'étend aussi à ce type de question; l'acte des autorités centrafricaines du 21 mars 2012 fait partie de ceux qui pourraient constituer un «manquement; au droit de la Cemac, dont l'appréciation peut être soumise à la Cour par tout Etat membre, dont bien entendu le Centrafrique ou le Cameroun (soit dit en passant, si ce dernier le faisait parce que le Président de la Commission est un camerounais, ce serait une très mauvaise raison...). La République centrafricaine, en tant qu'Etat de siège, est tenue sur le plan bilatéral par les termes de l'accord de siège, qui accorde au responsable de l'exécutif de la Communauté, a minima, les privilèges et immunités diplomatiques! Elle est aussi tenue, sur le plan multilatéral, par le droit de la Communauté de façon générale, c'est-à-dire celui par exemple qui nomme les personnels communautaires. Il est donc assez surprenant que, de sa propre initiative, l'Etat membre qui abrite le siège de la Communauté se fasse tout seul gardien d'une légalité communautaire qu'il a en l'occurrence lui-même définie, puisque l'Acte additionnel du 25 avril 2007 est toujours en vigueur, et que la personne nommée n'a pas démissionné. L'empressement des autorités centrafricaines est d'autant plus suspect qu'elles ne s'étaient pas opposées, il y a quelques années, au retour sur leur territoire d'un ex-responsable de l'exécutif de la Cemac qui, en dépit de sa nomination à d'autres fonctions dans son Etat d'origine (nomination qu'il avait acceptée, démissionnant ainsi de fait de son poste communautaire) avait jugé utile de se rendre au siège de la Communauté pour gérer des «affaires courantes», ignorant ainsi l'incompatibilité entre les fonctions communautaires et nationales posée par le traité de la Cemac, et la nullité des actes qu'il aurait alors posés... !
Sans s'étendre sur les supposés soubassements politiques de cette réaction, l'on ne peut que relever, pour le regretter, que l'attitude des autorités centrafricaines démontre une profonde méconnaissance de ce que sont le droit de la Cemac et le droit international: le statut des personnels de l'organisation, les mécanismes de contestation juridictionnels, etc. Que peut-on espérer lorsque le (mauvais) exemple vient ainsi d'en haut...?
A qui le tour?
Selon commentateurs, observateurs et journaux, tous ces faits seraient dus au fait que, pour les autorités de Bangui, l'heure centrafricaine aurait sonné à la présidence de la Commission. D'autres dénoncent en revanche l'inertie de la diplomatie camerounaise qui se laisserait damer le pion par le pays voisin. La Conférence des Chefs d'Etat a en effet décidé, par un acte additionnel du 17 janvier 2010, «du principe de la rotation, par ordre alphabétique, des Etats membres, de tous les postes de responsabilité au niveau de l'ensemble des Institutions, Organes et Institutions spécialisées de la Cemac». Cet ordre alphabétique situe le Centrafrique après le Cameroun. Mais, vu que, selon le traité de la Communauté, le mandat à la tête de la Commission est renouvelable une fois, l'application du principe de rotation signifie simplement que le Président sortant, s'il sollicite un nouveau mandat, ne peut être en concurrence qu'avec des ressortissants de Centrafrique, sauf si cet Etat «saute son tour», ce qui visiblement n'est pas le cas! Et si un centrafricain est nommé, il sera en concurrence à l'expiration de son mandat, avec un congolais, ainsi de suite...
La succession du Président sortant est donc bel et bien en jeu, sous «l'auspice» entre autres des dernières révélations des médias... Il sera important que, pour la désignation du responsable de la Commission, les Chefs d'Etat ne soient guidés que par le souci de rendre plus crédible un processus d'intégration qui fait cohabiter, dans l'actualité, violences aux frontières intérieures entre ressortissants d'Etats membres et luxueux voyages de responsables communautaires et, dans nos portefeuilles, passeports assortis de visas et d'autorisations de travail et... une monnaie commune!