Dans
une tribune libre parue dans le journal camerounais l’Œil du Sahel,
Pierre Ela revient sur l’élimination politique d’Ahmadou Ahidjo et
raconte comment Marafa Hamidou Yaya, produit de la Françafrique, a été
écarté politiquement de la succession de Paul Biya sous le couvert de
l’Opération Epervier. S’agit-il d’une compilation de ses bulletins de
renseignement ? Le lecteur de l’Œil du Sahel (édition N°575 du 12
février 2014, P 10 et 11) se poserait sans doute la question au regard
des révélations qui y sont faites et surtout au vu du profil de son
signataire : Pierre Ela. Ce dernier est un ancien responsable des
renseignements généraux qui a servi au Cameroun dès le début des années
1980 avant de rendre sa démission en 2000.
Dans cette tribune libre intitulée « Conférence de Garoua : Les facteurs
déstabilisants de la sécurité nationale et de l’harmonie sociale »,
l’auteur de l’ouvrage Dossiers noirs sur le Cameroun revient sur le
rôle de la France-Afrique dans l’évolution politico-institutionnelle du
Cameroun de 1960 à nos jours. Selon Pierre Ela, l‘institution de l’Etat
unitaire au Cameroun en 1972 est consécutive aux pressions des autorités
françaises sur le président Ahmadou Ahidjo suite à la guerre du Biafra
au Nigéria au milieu des années 1960.
En effet, relate l’ancien commissaire de police, Ahmadou Ahidjo, contrairement à ses homologues Omar Bongo du Gabon et Félix Houphouët-Boigny de Côte d’Ivoire, avait « interdit à la France de se servir du Cameroun comme base arrière du soutien armé à la guerre civile nigériane ! » Ce refus d’Ahmadou Ahidjo, raconte Pierre Ela, lui vaudra d’être convoqué par le Général De Gaulle qui lui fit cette mise en garde : « …si vous continuez d’enseigner l’anglais (aux Camerounais, ndlr), vous aurez un pays divisé ».
Coup d’Etat d’avril 1984 : « Mensonge d’Etat »
C’est ainsi que 1972 marquera « la mort de l’Etat fédéral » qui,
selon Pierre Ela, constitue une « violation des accords de Foumban de
1961 », lesquels furent un facteur « d’unification de la nation
camerounaise ». L’auteur revient sur l’ascension politique de Paul Biya
qui, à l’en croire, s’est faite sur recommandation écrite de l’homme
politique français Louis Paul Aujoulat en 1962.
Pierre Ela indique que la succession d’Ahmadou Ahidjo par Biya s’est
nouée dès la visite d’Ahidjo en Chine en 1973 : « la France dépêche son «
Monsieur Afrique » de l’Elysée auprès du président Ahidjo pour lui
demander de déclencher le processus des réformes constitutionnelles qui
conduiront à une alternance politique ». C’est alors que le poste de
premier Ministre sera réintroduit dans la Constitution en 1975. Et en
1979, le premier Ministre sera fait successeur constitutionnel du
Président de la République.
Pour l’ancien patron des renseignements généraux, le complot contre la sûreté de l’Etat que dénonçait Paul Biya en août 1983 (qui a précédé le coup d’Etat manqué de 1984) et qui a été imputé à Ahmadou Ahidjo était un « mensonge d’Etat ». D’après Pierre Ela, Ahidjo ne pouvait pas s’attaquer à la France-Afrique qui soutenait Paul Biya tout comme il n’était plus chef des forces armées : « tout complot contre les institutions nécessite la combinaison de trois facteurs : la couverture du renseignement, l’appui des services secrets et le soutien de l’armée », explique l’ex-agent des services secrets. Il en conclut qu’il s’agissait d’une manœuvre destinée à éliminer politiquement Ahidjo.
L’élimination politique de Marafa par « l’affaire Albatros »
La réaction du camp présidentiel ne se fera pas attendre : « l’ex-secrétaire général de la présidence sera muté au poste de Ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation et placé sous-surveillance », croit Pierre Ela. Selon lui, l’affaire Albatros, du nom de l’achat manqué d’un avion présidentiel entre 2001 et 2004 était un « grossier montage » destiné à « l’élimination politique de Marafa Hamidou Yaya » (il a été incarcéré en avril 2012 pour détournements de fonds dans le cadre de cette affaire).
D’après l’ancien Commissaire aux Renseignements Généraux à Douala, « L’Affaire Albatros » visait à « conserver le pouvoir par le clan présidentiel par tous les moyens ». Dans sa tribune libre, Pierre Ela parle d’un personnage (qu’il se garde de citer nommément) destiné à mettre en œuvre ce plan du clan au pouvoir : « ce personnage a lui aussi connu, comme hier son patron (Paul Biya, ndlr), une ascension fulgurante que rien ne justifie. Après avoir amassé une fortune colossale en toute impunité et en toute insolence, ce personnage ne dissimule pas son ambition de succéder à son patron …pour stabiliser le clan ». De quel personnage s’agit-il donc ? L’auteur de ces lignes pense davantage à un ministre de la République qui occupe actuellement un poste très stratégique au sein du Gouvernement.