Actualité Joseph Eloundou dévoile les techniques des détournements des deniers publics au Cameroun

Publié le 16-02-2014  |  (Yaoundé - Cameroun). Auteur : Joseph Marie Eloundou

Joseph Eloundou dévoile les techniques des détournements des deniers publics au CamerounLors de son discours à la nation le 31 décembre, Paul Biya a dénoncé la faible consommation du budget d'investissement. Depuis lors, le débat sur qui incombe la responsabilité de cette défaillance ample, au point que beaucoup d'observateurs et non des moindres pensent qu'il faille supprimer le ministère des marchés Publics.

 

Les Causes
D'après un haut responsable du Ministère des Finances que nous avons rencontré dans le cadre de notre enquête, « le détournement des biens publics est la chose la mieux partagée par tous ceux qui sont parties prenantes dans la chaîne d'exécution du Budget de l'Etat ». Le mal s'est répandu comme un cancer en pleine métastase. « C'est le sport quotidien des camerounais » pour reprendre un ancien ministre des finances aujourd'hui à la retraite.
Sur le plan historique les méthodes de gouvernement entre Amadou Ahidjo et Paul BIYA diffèrent. L'un est un autocrate, dans un régime dictatorial, l'autre est libéral, dans un régime en voie de démocratisation. Tandis que l'ère Ahidjo est caractérisé par une forte répression vis-à-vis de ceux qui spolient les biens publics – l'on se rappelle de l'Université D'ONANA AWANA qui n'était autre chose que KONDENGUI- le message de libéralisation de l'ère BIYA va rapidement être confondu au libertinage à tous les niveaux.

On ne se levait pas un matin sous Ahidjo et s'offrait une Mercédès ou un duplex sans devoir s'expliquer sur l'origine des fonds. Ainsi donc, l'un pense qu'il faille contrôler quotidiennement la gestion, l'autre estime qu'il faille responsabiliser les gens. Force est de constater que même si les détournements ne naissent pas en 82 mais, ils se sont dramatiquement amplifiés sous le Renouveau.

Sous l'ère BIYA les gens ont pillé à ciel ouvert des pans entiers de l'économie. Impunément. Mais qu'est ce qui peut expliquer que toute une bureaucratie se livre sans vergogne à une activité aussi insalubre pour la santé morale et catastrophique pour notre économie et notre démocratie ? Notre analyste attribue une grande part de cette situation à la crise économique des années 80/90, dont les tentatives de résorption par les Bailleurs de Fonds ont charrié un certain nombre de mesures nocives pour les comportements. Le blocage des recrutements, des avancements ; une double réduction des salaires en 92 et 93 avec à la clé 2 mois de salaires impayés. L'on va se lancer dans la débrouillardise.

Si ces raisons sont valables pour le petit peuple qui a dû subir de plein fouet ces mesures, peut-on en dire de même pour l'élite bureaucratique et politique qui, avec l'aide de l'élite commerciale des affaires et les sociétés écrans ont massivement détourné les fonds publics au cours de cette période. Au moment où le peuple avait le plus besoin d'argent, son élite le gaspillait à travers des dépenses ostentatoires de prestige et de jouissance. C'est au cours de cette période que les grands quartiers chics ont poussé de terre comme des champignons : Santa Barbara, KOWEIT CITY, DENVER. L'on a usé de toutes sortes de subterfuges pour mettre l'Etat à genou.

Les Grands moments des détournements.
Les privatisations furent une occasion pour l'élite de tisser des complots avec des entreprises étrangères sur le dos du contribuable. C'est ainsi que dans le cadre du processus de privatisation /réhabilitation, l'on a bradé toutes les entreprises juteuses produisant du cash (argent frais), on a vendu toutes les caisses, là où il y avait du liquide : SONEL, SNEC, REGIFERCAM, on a liquidé l'ONCPB, qui a assuré pendant des années le financement de plusieurs infrastructures, sans s'en référer à la dette extérieure ; l'on a fermé artificiellement la Caisse Nationale de Réassurance CNR qui était pourtant liquide et attendait d'ailleurs du Pipeline près de 12 milliards au titre de la Réassurance ; rappelons que la couverture en assurance du pipe line était de 120 milliards de Fcfa. L'on a fermé la SOCAR, Compagnie d'assurance de l'Etat à capitaux publics et on a créé par personnes interposées d'autres compagnies d'assurance pour encaisser le pactole de l'opération pipeline. On a déstabilisé le CAMPOST (une autre Caisse) pour créer des Coopératives d'épargne et de crédit. Puis on l'a cédée.


L'autre bond exponentiel dans l'intensification des détournements des fonds publics s'effectue en l'an 2000 avec le fameux code des marchés publics qui comporte en son sein des éléments encourageant les détournements des deniers publics ; il s'agit de la nomination des présidents des Commissions des marchés par le 1er ministre sur proposition des maîtres d'ouvrage. Le Maître d'ouvrage choisi ainsi des personnes à sa solde, ce qui fausse complètement le jeu de la transparence. Il est juge et partie. Il peut octroyer le marché à qui il veut, quand il le veut. Cette période à mis à mal le budget d'investissement le glas de cette ère inaugurée par l'ex ministre d'Etat Akam Mfoumou.

Une autre mesure et non des moindres va casser le principe d'unicité des caisses de l'Etat. Le trésor cessera d'être le centre de recouvrement des recettes. Les recettes vont être éparpillées.

2007, marque le début d'un autre moment fort pour les détournements des fonds publics. Le Ministre des finances fait voter une loi scélérate qui supprime carrément les comptables matières. Certains analystes pensent que cet acte, sur lequel pèsent de lourds soupçons de corruption des députés de l'époque avaient été commis en connaissance de cause. D'autant plus que pour aller très vite, l'on introduira des dispositions réglementaires dans la loi en indiquant clairement pour qu'il n'y ait pas d'équivoque, que les gestionnaires de crédit, - sous le fallacieux prétexte de leur responsabilisation- recrutent eux-mêmes leur comptables ; conséquence, des cadres et agents de la comptabilité formés par l'Etat à grand frais sont purement et simplement écartés de la chaîne de dépenses, ne sont pas recyclés, traînent dans les quartiers et viennent tout de même toucher un salaire tous les mois. Ceci a duré 4 à 5 ans. Cette situation est d'autant plus intéressante à observer que les bailleurs de fonds feront de la suppression de la comptabilité matières une conditionnalité d'accompagnement du Cameroun. En réalité, il fallait faire sauter ce verrou fort gênant pour les détourneurs. L'on a ainsi neutralisé les comptables matières car ceux-ci constituaient une barrière d'accès au budget de consommation.

Impacts sur les recettes de l'Etat

Au cours de cette période, les ordonnateurs ne commandent plus ; ils reçoivent directement de l'argent des fournisseurs. L'une des conséquences techniques immédiate sera l'engorgement au niveau des guichets de l'Etat car les recettes n'entrent pas au même rythme. Une autre porte de sortie des fonds publics est constituée des faux ordres de missions (10, 15, 20, 30,40 jours) que l'on donne à la Secrétaire, à un cadre gentil ou même au chauffeur, sans déplacement. Les fournitures de bureaux sont fictives et à défaut d'argent frais, on ravitaille les chantiers de construction des ordonnateurs avec du sable, ciment, tôles et autres matériels de construction. Les fournisseurs traditionnels éprouvent du mal à se maintenir sur le marché. Ils ne vendent plus, puisque tout est fictif. D'autres formes de détournements sont constituées des quittanciers parallèles. La loi indique pourtant que chaque ordonnateur confectionne ses quittanciers. L'irresponsabilité des personnels chargés du recouvrement des recettes de l'Etat est à prendre en compte : les vignettes automobiles sont peu ou prou exigées, l'assurance automobile, les visites techniques, l'immatriculation des véhicules et leurs TVA. Les régisseurs de recettes ne reversent pas décadaire ; ils gardent l'argent par devers eux 8 mois voir un an dans le meilleur des cas ; sinon ils se font la belle avec les caisses.

Les braquages simulés avec la complicité de gangs, souvent constitués d'hommes en armes ; les paiements multiples de la même dépense ; à la solde, un même agent peut avoir 6 avances de soldes par an, des virements indus de montants importants dans les comptes de salariés avec une redistribution de retro commissions en amont. Le fameux MBOMA, spécialité des agents du ministère de la défense qui consiste ainsi en la création de matricules fictifs et de virements d'importantes sommes d'argent, perçues par des réseaux complexes qui remonteraient jusqu'aux plus hauts gradés. Les faux reclassements et avancements. Depuis la suppression du corps des comptables matières CM, les magasins de l'Etat ont été pillés par les vols de toutes sortes, puisqu'il n'y a plus personne pour veiller à la protection du patrimoine de l'Etat, rôle dévolue aux CM. Si bien que les administrations fonctionnent sans papiers, stylo et autre matériel et fourniture de bureaux. La mercuriale est l'une des sources institutionnelles des détournements. Il n'est pas rare que l'on vende à l'Etat un stylo à bille ordinaire de 100 FCFA à 500 voire 1000 Fcfa, le comble c'est qu'on ne le livre même pas.


DANS LES REGIES FINANCIERES, le paiement au rabais de taxes à la douane et aux impôts, moyennant redistribution de commissions peut expliquer sans aucun doute l'enrichissement fulgurant des personnels des administrations fiscales et douanières. Ce qui est certain, être douanier ou personnel des impôts vous assure l'enrichissement. Nous nous retrouvons ainsi devant une administration a plusieurs vitesses dans laquelle certains métiers (enseignants, médecins etc.) sont des parents pauvres tandis que d'autres affichent une insolent richesse. Cela ne peut continuer à prospérer.


Malgré l'opération épervier en cours certains n'ont pas hésité à vider la trésorerie de la SNI au profit d'une affaire foireuse telle que GEOVIC ; pas moins de 20 milliards de nos francs volatilisés ; il est peut –être temps d'arrêter la saignée dans cet autre entreprise d'Etat qui est entrain de couler sous nos yeux. Nos kleptocrates sont parties prenantes dans toutes les entreprises en création. Le délit d'initié n'a aucun sens à leurs yeux: ils sont impliqués dans les jeux de hasard, dans la téléphonie mobile, dans les projets miniers et les concessions forestières. Cela ne gène personne que Moukete soit à MTN et à CAMTEL (PCA). Voilà quelques hauts faits de cette élite. Tout ce qui est juteux leur appartient tandis que le peuple galère.


Joseph Marie Eloundou
Acteur Social




18/02/2014
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