Accusé faussement d’être un Boko Haram, il saisit la justice
Source : Camer.be 25 septembre 2018
- Kalara : Emile Kitong
- mardi 25 septembre 2018
Enseignante d’université et chargée de mission à la présidence de la République, Mme Djuidjeu Marie est poursuivie aussi bien devant le tribunal militaire que le tribunal correctionnel. Il lui est reproché aussi bien une accusation mensongère de terrorisme que des actes de destruction, de séquestration et d’agression physique pour une affaire de loyer qu’elle est accusée d’avoir réglé par la force.
C’est une affaire qui s’apparente au combat entre David et Goliath bien connu des Chrétiens. M. Abbo Bakari Mahamadou, 44 ans, jeune commerçant de confession musulmane installé depuis plusieurs années à Yaoundé, fait ici office de David. Face à lui, Mme Djuidjeu Marie, enseignante d’université et chargée de mission à la présidence de la République du Cameroun, dans le rôle de Goliath. M. Abbo Bakari a initié plusieurs procédures judiciaires contre la collaboratrice du chef de l’Etat et ses complices supposés aussi bien devant le Tribunal de première instance (TPI) de Yaoundé – centre administratif que devant le Tribunal militaire. Il entend se venger de divers traitements reçus de son adversaire par le passé. Et le jeune commerçant est convaincu qu’il viendra à bout de la montagne que représente son adversaire.
Au centre de l’inimitié entre les deux protagonistes, un bail que M. Abbo Bakari a conclu en 2013 avec un certain Eric Cendras Bogne Mouafo, pour l’occupation d’un studio de trois pièces dans un camp situé au quartier Tongolo, voisin d’Etoudi à Yaoundé. Le commerçant dit avoir entretenu de bonnes relations avec son bailleur pendant une année, jusqu’au moment où il s’est retrouvé confronté aux pressions des personnes qui disaient être mandatées pour récupérer désormais le loyer. Parmi ces personnes, précise M. Abbo, la chargée de mission à la présidence de la République. Sauf que faute pour ces derniers d’avoir présenté un mandat en bonne et due forme, M. Abbo Bakari aurait opposé une fin de non-recevoir aux deux intermédiaires, s’attirant les foudres de Mme Djuidjeu.
Le jeune commerçant est aujourd’hui convaincu que son adversaire lui en veut à mort. Trois situations sont à l’origine de cette conviction. M. Abbo Bakari a fait l’objet d’une dénonciation anonyme en 2014 à la délégation régionale de la police judiciaire pour le Centre. Il était alors présenté comme un homme très suspect, entretenant une amitié louche avec l’ancien président Libyen, Mouammar Kadhafi, de même que l’ancien leader rebelle angolais, Jonas Savimbi, mais aussi d’autres «leaders d’origine arabe». Le jeune commerçant était par ailleurs présenté comme un être dangereux pour ses voisins.
Jonas Savimbi…
Dans le contexte national déjà marqué à l’époque par les actes barbares attribués à la secte Boko Haram dans le grand Nord, le dénonciateur demande en fait à la police d’ouvrir une enquête. Ce que la Police judiciaire n’hésite pas à faire. Convoqué à la division régionale de la Police judiciaire du Centre le 24 octobre 2014, le commerçant est «cuisiné » par les enquêteurs. Ces derniers perquisitionnent même son domicile, opérant une fouille systématique des lieux. M. Abbo Bakari sera finalement élargi par la police, devant l’absence d’indices corroborant les faits racontés dans la lettre de dénonciation. Un rapport d’enquête est adressé au procureur de la République près le TPI de Yaoundé, centre administratif. Le mis en cause recouvre sa liberté, après avoir présenté un garant pour sa représentation future en cas de besoin.
La dénonciation à la Police judiciaire avait été précédée, deux semaines auparavant, par une plainte déposée au Commissariat du 6ème arrondissement de Yaoundé par un certain Keumegne Fidèle, se présentant comme le bailleur de M. Abbo Bakari. La dénonciation reprenait certains «faits» cités dans la plainte, notamment une supposée habitude pour le suspect de se balader torse nu, avec deux poignards, dans le camp où il habitait, l’utilisation des appareils de musique sans égard pour la tranquillité des voisins… Il était de ce fait suspecté de «trouble de jouissance», «menaces de mort» et «suspicion d’appartenir à un réseau terroriste ».
Sorti indemne de toutes les accusations, notamment celle qui le présente comme un membre de Boko Haram, le jeune commerçant va décider d’engager des poursuites judiciaires contre l’auteur de la dénonciation. Les enquêtes menées, avec l’aide du procureur de la République près le TPI de Yaoundé centre administratif, vont permettre de remonter à Mme Djuidjeu. Cette dernière reconnaît explicitement être l’auteur de la note adressée à la police (voir fac simili). Ces derniers développements ne vont pas aider à assainir la relation entre les deux protagonistes…
Quelques mois après cet épisode, M. Abbo Bakari dépose une plainte contre Mme Djuidjeu pour dénonciation calomnieuse. Alors que cette procédure est encore en étude, une nouvelle pomme de discorde va naître entre les deux protagonistes. Le 2 janvier 2017, jour férié comme le précise le commerçant, un certain Divine démonte le portillon de l’entrée qui mène à l’appartement de M. Abbo Bakari et l’emporte. Une partie de la scène est filmée en vidéo et fera l’objet d’un constat d’huissier. Le commerçant se plaint de ce qu’en plus de l’enlèvement du portillon, il a été agressé physiquement par M. Divine, «en exécution des ordres de Djuidjeu Marie», ce qui lui vaudra une incapacité temporaire de travail de 14 jours, selon un certificat médical établi par un médecin.
Côtes brisées
Près de deux semaines plus tard, le 14 janvier, M. Abbo Bakari dit avoir constaté «à son retour à la maison [que] la porte de son salon a été saccagée, puis emportée » tout comme plusieurs dizaines d’objets de valeur, notamment ses appareils électroménagers, ses vêtements et chaussures. Il portera plainte à Mme Djuidjeu et M. Divine pour «trouble de jouissance, destruction, blessures légères, et vol aggravé». Cette affaire est en cours. Et elle n’est pas la dernière. Se présentant en effet comme réel propriétaire du camp qu’habite le commerçant, la collaboratrice du chef de l’Etat s’y est encore rendue le 2 octobre 2017, au prétexte d’assurer une meilleure sociabilité entre les locataires. Elle essaie d’imprimer une attitude à laquelle s’oppose M. Abbo Bakari. Perdant ses nerfs devant un locataire qui dit n’avoir aucun lien avec elle, l’enseignante va se saisir d’une latte (morceau de bois) pour frapper le commerçant.
Bévue policière
La scène est filmée par la victime de la violence, qui s’en sortira avec des dommages corporels importants, mais aussi la destruction de ses lunettes médicales. Les examens radiologiques vont révéler une «fracture oblique de la 7e, 8e et 9e cote, arc droit». En plus, M. Abbo Bakari affirme que son adversaire s’est introduite dans son domicile contre son gré, puis a bloqué la porte en y mettant un cadenas. Il ne peut plus accéder à son appartement. Un constat d’huissier de justice sera effectué pour consigner la situation. S’étant plaint auprès de la brigade de gendarmerie d’Etoudi, M. Abbo Bakari a la désagréable surprise de connaître une mésaventure supplémentaire. L’adjudant Ebene, qui hérite du dossier, va faire garder le plaignant pendant 5 jours dans la chambre de sécurité de la brigade, en dépit de son état de santé. C’est, affirme la victime, pour lui faire payer l’audace d’avoir à faire à une «haute personnalité travaillant à la présidence de la République», mais aussi pour obtenir que l’imprudent se désiste de sa plainte déposée contre Mme Djuidjeu pour «dénonciation calomnieuse».
Lorsque le commerçant est déféré devant le procureur de la République, ce dernier se rend compte de la bévue de son auxiliaire et décide d’élargir M. Abbo Bakari pour qu’il s’occupe de sa santé. Une autre plainte va être déposée par le commerçant contre l’adjudant de gendarmerie et l’enseignante. Ils sont accusés le 7 décembre 2017 de «trouble de jouissance», «blessures simples», «violation de domicile», «destruction», «arrestation», «séquestration» et «complicité». Pour le moment, Mme Djuidjeu n’a comparu ni devant le Tribunal militaire, ni devant le tribunal correctionnel de Yaoundé – centre administratif où elle est attendue depuis le 18 décembre 2017 dans le cadre du premier procès qui l’oppose à M. Abbo Bakari. Elle ne s’est jamais présentée à l’audience et ne s’est donc pas encore prononcée officiellement sur les accusations dont elle fait l’objet. Il n’empêche, son adversaire, qui a les yeux pleins de larmes chaque fois qu’il parle de ses déboires, espère que tôt ou tard justice lui sera rendue. Reste à savoir si, à ces occasions-là, David renversera encore Goliath.