Abus : Lorsque les gardés à vue monnayent leur libération
Des officiers de police interpellent des suspects qu’ils libèrent
moyennant le versement de sommes d’argent. En totale violation de la
loi.
Il a fallu des heures de négociation à ses proches pour que
le garagiste, Ndomchima Richard, se décide à parler de sa mésaventure
survenue au mois d’août dernier. "Un ami et sa copine sont venus me
rendre visite au garage, un mercredi soir. Avec un collègue, nous avons
décidé de leur offrir un pot dans une buvette des environs de l’aéroport
international de Douala. Pendant qu’on buvait, il s’est mis à pleuvoir
abondamment. La copine de mon ami nous a dit qu’elle ne pouvait pas
regagner sa maison parce qu’elle redoutait les agressions. Nous nous
sommes arrangés pour payer une nuitée d’hôtel au couple. Arrivée à
l’hôtel, la fille s’est mise à alerter le voisinage et à nous accuser
d’être des agresseurs en possession d’armes", raconte d’une voix
tremblotante le jeune mécanicien.
Le week-end suivant, Ndomchima
Richard, Kuisseu William Joel et Komongou Aaron, qui croyaient le
mauvais vent passé, ont été interpellés, sans aucun mandat, par des
policiers des équipes spéciales d’intervention rapide (Esir) pour "viol"
et "détention d’armes blanches" et conduits à la Direction régionale de
la police judiciaire du Littoral. "À la Police judiciaire, nous avons
passé deux semaines, entassés parfois jusqu’à quatorze dans une cellule
infecte. Les policiers nous ont demandé 550.000 F CFA pour nous libérer.
Malgré le versement de cet argent par nos trois familles, ils nous ont
envoyé au tribunal où nous avons encore donné 750.000 F CFA pour être
enfin libres", précise Ndomchima Richard.
Au cours de ce même mois
d’août, et à quelques encablures du lieu de détention des trois jeunes
hommes, Ouadjiri Abdoulaye, un gérant d’un parking de motos au quartier
Bonaloka, accusé de recel, a été contraint de verser 360.000 Fcfa aux
gendarmes de la brigade des pistes de l’aéroport de Douala pour
recouvrer sa liberté. "Il fallait le faire pour sortir de ces cellules
exiguës (Ndlr : un peu plus d’un mètre carré) mais propres. Certains
gendarmes nous refusaient le droit de nous servir des toilettes et, en
plus, rançonnaient nos visiteurs. Argent, papiers hygiéniques, savons,
leur étaient réclamés non sans les insulter à chaque fois", se
souvient-il.
Code pénal
A Douala, gendarmes et
policiers interpellent de plus en plus sans mandat, à des heures et
jours proscrits, des suspects qu’ils libèrent par la suite contre des
sommes d’argent. Sous anonymat, un officier de police ne nie pas
l’existence de ce phénomène rampant dans les forces du maintien de
l’ordre. Il indique cependant "qu’il s’agit d’actes isolés de certaines
brebis galeuses comme il en existe dans tous les corps de métier.
Lorsque ces fonctionnaires sont reconnus coupables de telles dérives,
ils sont blâmés, suspendus ou radiés".
Pour maître Antoine Pangue,
avocat au barreau du Cameroun, ces sanctions administratives sont
insuffisantes. "Un policier qui libère un suspect moyennant une somme
d’argent commet l’infraction de corruption. L’acte qu’il pose cause un
préjudice à la société, à la victime de l’infraction et même à l’auteur
de l’infraction", explique l’avocat.
En effet, en son article
134, le code pénal camerounais stipule : "Est puni d’un emprisonnement
de 5 à 10 ans et d’une amende de 200 000 à 2 millions de Fcfa, tout
fonctionnaire ou agent public, qui, par lui-même ou par un tiers,
sollicite, agrée ou reçoit des offres, dons ou présents pour faire,
s’abstenir de faire ou ajourner un acte de sa fonction".
Ce n’est pas
la première fois que des fonctionnaires des forces l’ordre sont
soupçonnés de corruption. Depuis quelques années, l’Ong "Transparency
international", dans ses rapports sur le Cameroun, classe la police
parmi les corps de métier les plus gangrenés par la corruption. Ce qui
est loin de décourager certains agents qui continuent à racketter.
Impunément. "Bien que les conditions du code de procédure pénale soient
drastiques, ses principes sont malheureusement foulés au pied par ceux
qui doivent le mettre en application notamment cet article 118",
regrette Me Sterling Minou, avocat au barreau du Cameroun. En dépit des
dénonciations régulières des défenseurs des droits de l’Homme, les
dispositions du code de procédure pénale peinent à être respectées…six
ans après son introduction.
Christian Locka (JADE)