Les populations sont de plus en plus victimes des exactions des forces de l’ordre.
Du fait de la recrudescence des attaques de Boko Haram, l’atmosphère est très tendue dans la partie septentrionale du Cameroun. Une situation qui oblige les autorités administratives et les forces de maintien de l’ordre à prendre des mesures rigoureuses pour maintenir l’ordre et la sécurité. Le 28 juillet 2014, jour de la fête de fin de ramadan, l’ambiance n’était pas à la fête à la grande mosquée de Garoua. Le pays tout entier était encore sous le choc des enlèvements de Kolofata opérés la veille par des éléments de la secte islamiste.
Un jeune de 14 ans, impressionné par les couleurs chatoyantes de la cavalerie du lamido, sort son téléphone portable et se met à prendre des photos. Il est immédiatement interpellé par un gendarme. «C’est comme ça que vous venez prendre des informations pour qu’ils (Boko Haram, Ndlr) viennent frapper », lance un collègue du gendarme, à la grande surprise du père du jeune garçon. La scène suscite un certain émoi au sein de la foule présente. Cet exemple illustre la légèreté avec laquelle tout le monde peut être aujourd’hui indexé ou soupçonné de travailler pour cette secte.
«Le problème, c’est que les gens assimilent très vite Boko Haram à tout ce qui est Islam. C’est une grosse faute que de croire à cela», explique, en colère, Amadou Baba, un père de famille rencontré devant une mosquée de Garoua.. Quelques semaines plus tôt, toujours à Garoua, deux jeunes garçons venus en vacances chez leur oncle, faisaient le tour de la ville. Après un tour au parc zoologique, ils s’orientent vers la poste centrale.
Chemin faisant, les visiteurs sont attirés par l’architecture originale de la Beac de Garoua. Ils choisissent alors de se placer à une centaine de mètres de l’entrée du bâtiment pour prendre une photo souvenir. Ils sont aussitôt interpellés après cette séance de prise de vue et conduits à la brigade de recherches. «Ils nous ont demandé si nous étions de Boko Haram. Nous leur avons dit non. C’est après qu’ils nous ont demandé à qui appartient l’appareil photo», raconte l’un des jeunots.
Une heure après leur interpellation, des hommes en tenues vont débarquer chez Moussa, un enseignant dans un établissement secondaire de la ville et parent des deux jeunes, qui se trouve être l’oncle des jeunes garçons. Malheureusement pour ce dernier, il se trouve être un musulman et «barbu». Il est transporté à la Brigade de recherches où il va passer deux jours. Sur le coup, les gendarmes lui réclament une somme de 10.000 Fcfa contre sa libération, ce que l’enseignant refuse. L’affaire va finir par se retrouver devant un juge. «Jusqu’au tribunal, ils ont passé le temps à me demander de l’argent, mais ils ont bien fini par comprendre que ne je connais pas Boko Haram. Ce sont pour moi des gens qu’il faut condamner », raconte Moussa.
DROITS DE L’HOMME
Mais ces cas «isolés» selon un haut gradé de l’armée, ne sont rien, comparé à ce qui se passe dans l’Extrême-Nord. Dans un rapport à publier dans les prochains jours et dont nous avons pu obtenir copie, l’organisation de défense des droits humains «OS civile» cite plus d’une dizaine de cas d’exécutions extra-judiciaires au nom de la guerre contre Boko Haram. «Messieurs Ousmane Djibrine du village Metchéré et Gréma Abakar du village Doubabel-Gross ont été exécutés par les éléments du B.I.R le 01 juin 2014, au niveau de Dabanga sur la route de Maroua.
Alors qu’ils sont des commerçants des bétails et ils se rendaient au marché de Zigagué. Leur argent a été soutiré », indique par exemple le rapport. «Lundi, le 28 juillet 2014, l’adjudant-chef militaire M. Hamadou Kroua a exécuté un malade mentale publiquement au carrefour de Maltam en face du camp militaire», peut-on également y lire. Non sans rappeler le cas de cet infirmier du nom de Zignané Clair René, abattu un soir à Mora alors même qu’il était exempt du couvrefeu.
Le président de cette organisation, Mey Ali, est plus dur, lorsqu’il parle de tortures. «Ali Cheick Djibrine, maire de la commune de Hilé- Alifa, Mahamat Saïd, chef de 3e degré du village Kamouna, Issa Abdoulaye, opérateur économique à Bargaram, Bilal Eli, opérateur économique à Bargaram, Ali Youssouf, pêcheur à Mourdas, Hessana Abdoulaye, chef de 3e degré à Mourdas, Djibrine Moursal, chef de 3e degré d’Abassouni II, Imar Moussa, cultivateur à Hilé-Alifa II et Abounassip Harouna, cultivateur à Hilé- Alifa I ont été sévèrement torturés et dénudés publiquement par les forces armées.
Alors qu’ils n’ont aucun lien avec les Boko-Haram», explique le président. Et de poursuivre : «A Nguétchewé, la population se plaint qu’elle est victime des tracasseries des forces de maintien de l’ordre (policiers, gendarmes) qui confisquent régulièrement leurs biens notamment l’argent, des motos, tout autre objet de valeur».
COUVRE-FEU
Cette plainte est également récurrente dans le Mayo-Tsanaga, comme l’explique un autre responsable d’organisation de défense des droits de l’Homme. «A Koza, les éléments du BIR ont déblayé les champs de mil au prétexte que les Bokos haram s’y cachent», témoigne un responsable de l’organisation Caprod. Avant d’ajouter : «Les couvres feux sont des occasions pour les forces de l’ordre de dépouiller les populations de leurs biens. Il en est de même des patrouilles de 20h.
Les motos saisies, pour les récupérer, il faut débourser une somme comprise entre 25.000 et 100.000 Fcfa sans quittance. Le Caprod a mené un plaidoyer auprès du préfet du Mayo-Tsanaga qui a décidé de créer une fourrière municipale et les contraventions sont désormais payées à la trésorerie de la préfecture sous son contrôle». S’expliquant sur la situation du département du Diamaré, le préfet Ernest Ewango Budu avait plutôt indiqué que «les villes frontalières situées dans le département du Mayo-Sava, du Logone et Chari ainsi que du Mayo-Tsanaga sont celles qui sont les plus enclines à ce type d’incidents».
Et l’autorité administrative de s’expliquer: «Nous le relevons ainsi, non pas pour justifier les manquements de nos forces de l’ordre, mais surtout par le fait qu’ils sont dans les zones où les exactions des membres de la secte islamiste Boko Haram sont les plus répandues».