Abraham Sighoko Fossi :«ErnestOuandié avait des prises de position courageuses »
Fils d’un nationaliste exécuté au bord de la chute de la Metche, le promoteur de la pharmacie des martyrs, à Bafoussam, se prononce sur l’assassinat d’Ernest Ouandié, fusillé le 15 janvier 1971, et de sa commémoration au Cameroun. Il évoque aussi quelques lignes de son livre qui
vient de paraître et rend un vibrant hommage aux martyrs.
Le 15 janvier 2012 est la date de commémoration de l’assassinat
d’Ernest Ouandié plus connu sous le pseudonyme de camarade Emile. Quel
souvenir gardez-vous de ce nationaliste ?
Il était un combattant intrépide pour la cause de l’indépendance du
Cameroun. Il a démontré par son meurtre qu’il voulait l’indépendance de
ce Cameroun. Je peux dire que c’est la France qui a organisé son
meurtre. Ahidjo n’a été que l’exécutant et c’est la France qui continue à
assassiner ceux avec qui il a combattu. Parce que c’est un combat qui a
opposé la France au Cameroun, la guerre de la France contre le Cameroun
ou encore la guerre de la France contre le Cameroun. Qui perd ou gagne
cette guerre décide sur comment le Cameroun sera géré. La France a gagné
et voilà aujourd’hui comment aujourd’hui elle gère le Cameroun.
On sait ce que l’Union des populations du Cameroun, l’âme immortelle,
représente au Cameroun. Dans Bafoussam, seul un tournoi est organisé en
la mémoire des nationalistes.
Comment appréciez-vous cette situation ?
Ce n’est pas nous qui gouvernons, c’est la France qui gouverne le
Cameroun. Bref ce sont les suppôts de la France qui continuent à
gouverner. Il n’y a pas de cela longtemps c’était interdit de penser au
15 janvier comme une date historique; on ne pouvait pas parler de
Ouandié. Nous ne sommes que des citoyens de cette ville et ceux qui la
gouvernent sont des micro-tributs des gouvernants de Yaoundé. On ne peut
pas trop parler d’Ernest Ouandié puisqu’il va totalement à l’encontre
de ceux qui gouvernent Bafoussam en particulier et le Cameroun en
général.
Est-ce à dire que les populations ne peuvent pas si vite l’oublier même
s’il n’y a pas de grandes manifestations à cette occasion ?
Les populations ne peuvent pas l’oublier parce qu’il a été l’un des
leaders de lutte nationaliste. Il s’agissait de la lutte entre le
vainqueur et le vaincu et nous vivons aujourd’hui ce que le vainqueur a
voulu.
Ne pensez-vous pas que les multiples divisions observées au
sein de l’Union des populations du Cameroun ont fait à ce qu’on ne
réserve pas à nos martyrs ce dont-ils ont droit à savoir une
commémoration simultanée sur le plan national?
Que l’Upc soit divisée du fait du colonisateur c’est tout à fait
normal. Camarade Emile a ses militants à l’Upc, au même titre que la
France. C’est ce qui explique que les vrais militants de l’Upc, n’ayant
pas droit à la parole, soient mis de côté et ne peuvent célébrer dans ce
pays. Même moi qui parle, je suis guetté par le pouvoir colonial. C’est
pour cela que je rappelle qu’il y a un certain temps on ne pouvait pas
parler d’Ernest Ouandié dit camarade Emile que j’apprécie beaucoup par
ses prises de positions courageuses. Il avait dit «l’histoire jugera» et
l’histoire est en train de juger.
L’histoire est en train de juger à un moment où on se rend
compte que la tombe de camarade Emile a été profanée à l’église du
plateau à Bafoussam. Qu’est-ce que cela suscite en vous comme réaction ?
Je regrette beaucoup qu’une tombe comme celle-là soit profanée. Ça veut
dire que si nous aussi on était dans la tombe elle serait profanée.
C’est également une preuve qu’il avait raison et le pouvoir instauré par
la France n’a pas raison.
Vous venez de commettre un livre «Papa s’appelait Fossi Jacob :
itinéraire d’un martyr de l’indépendance du Cameroun », publié par
l’Harmattan Cameroun en 2011. C’est grâce à lui qu’on a arrêté
l’assassinat des nationalistes à la chute de la Metche où il est tombé
en emportant l’un de ses bourreaux. Quelles sont les grandes lignes de
ce livre ?
Cette parution retrace l’histoire de mon père qui a préféré l’Upc à ses
convictions militantes. Il a dit «pour l’Upc, je donne ma vie ». C’est
déjà beaucoup. Pour nous autres ses enfants qui étaient petits, il a dit
«débrouillez-vous». Et Dieu seul sait, on s’est débrouillé. Dans ce
livre, je publie la lettre de Jean Lamberton qui est une référence
antinationaliste, je publie aussi les portraits d’Amadou Ahidjo, Um
Nyobe, Félix Roland Moumié. Cette publication c’est l’œuvre des auteurs
que j’ai lus, dont Mongo Béti, dans les dictionnaires de la négritude.
J’aime les martyrs et je dis que si mon père n’avait pas été martyr, je
ne sais pas ce qu’il aurait voulu et j’en ai souffert énormément.
Jusqu’à présent j’en souffre énormément mais il avait choisi la voie
royale.