Abel Eyinga, “La conception africaine du pouvoir”

Cameroun : Abel Eyinga, “La conception africaine du pouvoir”Diplômé en science politique, il décrypte l’engouement des élites du Sud pour les chefferies traditionnelles.

Comment comprendre cet engouement des élites du Sud à prendre le pouvoir traditionnel ?
C’est quelque chose qui rentre dans la logique d’une certaine conception du pouvoir. Parce que les chefferies traditionnelles et les postes des Républiques actuelles ne relèvent pas de la même conception du pouvoir. La conception africaine du pouvoir qui inclue la chefferie traditionnelle est conçue d’une certaine manière, organisée d’une certaine manière et fonctionne d’une certaine manière. Le mélange ou l’amalgame que l’on fait aujourd’hui est quelque chose qui me paraît assez peu utile pour nos pays qui eux-mêmes rassemblent les deux conceptions africaines et occidentales du pouvoir.

Les gens qui veulent devenir des chefs et qui sont déjà des responsables politiques modernes savent évidemment ce qu’ils font et ils peuvent peut être apporté quelque chose de nouveau à la chefferie traditionnelle. Mais j’ai peur de ce mélange, parce que la conception de la chefferie n’est pas tout à fait la même partout. Il faut que chacun commence par raisonner, par approfondir ou par revoir la conception de la chefferie, est-ce qu’elle est encore comme elle l’était, il y a 50 ans ? Ou est-ce qu’il y’a des choses nouvelles qu’on y a introduit ? Est-ce que ces choses nouvelles sont utiles dans le monde d’aujourd’hui qui est un monde en mouvement, qui est un monde en plein changement ? Donc, sur le problème de la chefferie traditionnelle, je dis, c’est quelque chose qui mérite qu’un jour, nous nous retrouvions et que nous réfléchissions là-dessus afin de trouver les nouvelles normes à partir desquelles la chefferie traditionnelle peut nous être utile. Mais si nous continuions la navigation à vue, à vouloir nous accaparer des postes, ça ne peut pas nous faire avancer. C’est ça mon inquiétude.

Comment la dévolution du pouvoir du traditionnel se passait dans les années 50 ?
Vous savez, si nous prenons la période des années 50, il faut d’abord signaler que l’autorité coloniale a commencé par modifier la chefferie traditionnelle profondément. L’administration coloniale française par exemple donnait aux indigènes que nous étions des chefs administratifs, qui étaient conformes aux vues des colons. Et dans beaucoup de pays, dans beaucoup de régions, dans beaucoup de villages, vous aviez en quelque sorte deux chefs, l’un selon le désir de la population, selon le désir des coutumes et vous aviez le chef administratif, et les deux coexistaient de façon pas tout à fait pacifique.

Cela a entraîné des évolutions et des mouvements qui aboutissaient généralement à l’exclusion du chef administratif. Mais comme l’administration était toute puissante, elle imposait ces chefs et cela a beaucoup faussé le fonctionnement de nos sociétés. Je me souviens, l’ancien gouverneur Eboué avait fait des études sur les chefs administratifs et il est arrivé à la conclusion que ce genre de chefs venaient démolir les coutumes et n’apportaient rien en surplus. En plus, ces gens n’étaient même pas des hommes de confiance. Ils n’apportaient rien au village, ils apportaient juste le désordre. Je crains qu’aujourd’hui, le même désordre ne se reproduise pour des gens qui sont déjà des grands responsables de la République, quelqu’un qui est déjà à un poste important qui s’acharne aussi à devenir chef traditionnel.

© Le Jour : Propos recueillis par Jérôme Essian


03/07/2013
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 299 autres membres