Dans
la série d’extraits qui vont suivre à une fréquence soutenue, nous nous
proposons une petite revisitation politique de l’histoire récente des
années contestataires pré-multipartisme du Cameroun, captée à travers un
choix de 300 mots/maux et de noms pas toujours très propres, qui
marquèrent cette période. L’enjeu majeur, rappelons-le, n’était rien
moins que l’appropriation par les masses camerounaises d’un destin
nouveau, supposé trancher radicalement avec la dictature sanguinaire et
ténébreuse d’hier. Nous n’avons apporté aucune retouche au contenu de
cet abécédaire écrit tel quel en 91/92 si ce n’est quelques corrections
de pure forme.
A COMME AHIDJO
ACQUIS. Le discours politique
(pompeux) des régimes néocoloniaux africains a toujours appelé à ''
consolider les acquis'', comme pour faire croire qu’ils avaient réalisé
quelque chose de positif, a consolider désormais. En réalité, la classe
politique dominante a toujours su, d’instinct, consolider ses (mal)
acquis, c'est-à-dire ses mille et un biens illicites.
AFFAIRE : terme par lequel on désigne toute machination
politique derrière laquelle se tapit l’ombre de l’arbitraire, du
machiavélisme ou de la répression. L’arbitraire du régime, couplé a
l’inexistence d’un journalisme d’investigation (Pierre Péan n’a pas fait
beaucoup d’émules chez nous) ont empêché, jusqu’ici, la mise au clair
d’ ''affaires camerounaises'' retentissantes où il y eut mort d’hommes :
l’affaire Ndongmo, l’affaire Ngongo Otu, l’affaire Mbobda, pour ne
citer que ces trois cas.
AHIDJO (AHMADOU): premier président du Cameroun
indépendant. Grand chef de l’état d’ébriété, Ahmadou Ahidjo fut aussi le
tout premier lauréat au concours des circonstances atténuantes ; ce qui
lui conféra, toute sa vie presque, un complexe intellectuel que Mongo
Béti décrit bien dans ''Main basse sur le Cameroun''. Né dans des
circonstances tragiques (absence du père pour soulager la mère des
douleurs de l’enfantement), Ahidjo est mort au Sénégal dans des
circonstances plus acceptables : il n’avait certes pas ses parents à ses
cotés, mais des milliards frauduleusement puisés dans nos caisses
nécessiteuses lui tenaient compagnie. Connu pour son intransigeance
sanglante à l’égard de l’UPC, et toute forme d’opposition – assimilée de
facto à la ‘‘subversion upéciste’’ -, le dictateur célèbre a fini par
mordre la poussière alors que l’UPC est restée debout. On doit au régime
Biya d’avoir ressuscité politiquement Ahidjo. Non pas en le
réhabilitant à des fins politiciennes mais, plutôt, en réussissant le
tour de force d’être aussi impopulaire et décrié que lui. A telle
enseigne que certaines gens, sans grande culture politique ou
patriotique, plus nombreux qu’on le croit, jettent leur dévolu sur le
dictateur illettré qui au moins, disent-elles, bénéficiait de cette
circonstance atténuante.
AMADOU (Ali) : stratège militaire célèbre de l’attaque
du parlement estudiantin de Yaoundé en Mai 91. Au cours de cette
attaque, les forces armées camerounaises enregistrèrent leur énième
victoire sur l’ennemi intérieur : le peuple. Le cri de victoire de ce
haut fait d’armes est d’ailleurs connu sous le nom de code ''zéro
mort''.
AMNISTIE : revendication majeure des opposants
camerounais depuis 1955. Si ces derniers ont bénéficié depuis de
plusieurs amnisties, sous le colonialisme et après l’indépendance,
celles-ci n’ont jamais été générales, encore moins inconditionnelles. La
dernière en date, celle de 90, eut la particularité de laisser bloquer
les upécistes exilés pendant que, dans le même temps, on mettait en
place toutes les batteries pour asseoir Dika Akwa et sa clique à la tête
du plus vieux parti du Cameroun.
ANDZE TSOUNGUI (Gilbert) : actuel sinistre de
l’intérieur. Ne l’était pas moins dans les années soixante lorsqu’il
sévissait en sa qualité d’inquisiteur fédéral, pardon, d’Inspecteur
Fédéral, dans les régions ''touchées par la rébellion''. La presse
privée reproche à ce conservateur borné et dur d’être un ''parfait
illettré''. Mais, qui lui a dit que la propension à la répression
moyenâgeuse nécessitait des facultés intellectuelles particulières ?
ANGLO-BAMI : appellation d’origine non contrôlée usitée
par les tribalistes conservateurs essinganiens pour designer
l’opposition incarnée par les originaires du grand-ouest. Durant la
lutte indépendantiste, le terme ''bamiléké'' fut synonyme d’opposant.
Parce que les bamilékés, dans leur écrasante majorité, prirent une part
active à la lutte nationaliste. De nos jours, le grand Ouest est
synonyme d’opposition radicale au pouvoir Biya-RDPC-Essingan. Parce que
bamiléké et ''anglophones'', particulièrement ceux de la région de
Bamenda, sont parmi les plus actifs dans la lutte anti-régime.
ANGLO-BANNI : voir Fédéralisme, West-Cameroun.
ARBITRAIRE. Le Cameroun est un Etat de droit : le droit de… l’arbitraire, caractéristique absolue des dictatures francophiles.
ARC-CNS : Alliance pour le redressement du Cameroun par
la Conférence Nationale Souveraine. Structure politique née au
lendemain de l’éclatement de l’ex-coordination et sensée regrouper le
gros de l’opposition radicale au régime de Yaoundé. Si l’ARC apparut au
départ comme l’ouvrage du ténor du SDF, avec une kyrielle de
micro-partis et associations gravitant autour de John Fru Ndi comme les
électrons autour du noyau, les choses semblent avoir changé avec
l’élection de Ndoh Michel comme nouveau président. Comme
l’ex-coordination, l’ARC n’a publié jusqu'à ce jour aucun document sur
la conférence Nationale Souveraine, aucun livre blanc sur la répression
inouïe du peuple. Mais, au contraire de l’ex-Coordination, elle n’a
organisé aucune manifestation mémorable contre le pouvoir dictatorial,
particulièrement au lendemain des confirmations assassines de Messi
Messi sur la Société Coulée par Biya (SCB). En réalité, l’ARC a décidé
de ''ne pas envoyer les gens dans la rue mais dans les urnes'' (sic).
Parce qu’elle contrôle les urnes…
ARRESTATIONS. : il n’y a plus au Cameroun, officiellement,
d’arrestations à caractère politique. On ne procède plus qu’à des
''examens de situation''. Les résultats de ces examens sont connus
d’avance : ‘‘oppositionite aigue’’. Et la médication appropriée aussi :
coups et blessures, gardes-à-vue, zébrures de l’arrière-train (pour les
leaders), etc..
ASSASSINATS : moyen de lutte politique encore très
prisée des dictatures francophiles d’Afrique Noire qu’on qualifie, à
juste titre, de ''sanguinaires'', par lequel sont éliminés physiquement,
chimiquement ou biologiquement (empoisonnement du village) les
opposants empêcheurs de voiler en rond les ''affaires'' les plus
antinationalistes de ces régimes, c’est-a-dire leurs crimes économiques
et politiques.
ASSEMBLEE NATIONALE : en abrégé
A.N., qui signifie : « A Nous » (la bouffe quinquennale). Palais de
verre célèbre de la capitale où se réunissent, jusqu'à preuve du
contraire, 180 sommeilleux ou tribuns du ventre (pour la plupart) qui
font semblant de plancher sur des projets de lois proposées par
l’Exécutif. Les députés camerounais, qui ne ratent jamais l’occasion de
faire savoir qu’ils sont les ''élus du peuple'', n’ont jamais rien fait
pour changer l’amer constat dressé par Dumont peu après les
indépendances gaulliennes, à savoir qu’un député, en une année de
somnolence, gagnait l’équivalent de 36 années de labeur paysan. La seule
chose concrète que nos députés aient jamais réussi à entreprendre sans
trop de mal c’est bien, par leurs applaudissements mécaniques nourris,
élever la température ambiante du Palais de verre de plusieurs degrés en
réveiller les leurs collègues qui roupillent. (N.B. : on doit
comprendre que si nos députés votent systématiquement des motions
favorables au gouvernement, c’est tout simplement parce que ''la motion
est nègre'', pour corriger Senghor).
ASSO’O (EMANE). Les chars d’Asso’o ont longtemps
conforté cet impétueux général dans la conviction que : '' C.N.S. il
faudrait ! '' (entendre : Confrontation Nationale Sanglante).
ASSOUMOU (Jean) : homme de main de Biya au cynisme le
plus révoltant. Dans une interview qui fit date, Assoumou Jean affirma
au sujet du pétrole, au terme d’articulations laborieuses, qu’il n’avait
de compte à rendre qu’au président Biya, lequel, bien entendu –
démocratie et transparence obligent –, n’a de compte hors budget à
rendre à personne. Sans compte à rendre, les peuples africains
comprennent pourquoi leurs dirigeants ont plutôt des comptes (secrets) à
prendre.
ATEBA (YENE) : seul et unique homme politique de la
place à avoir avoué, pour cause de transparence, qu’il subissait une
implacable pression, la pression… atmosphérique. Mais que c’était bel et
bien la seule. On doit à Ateba Yéné, renégat upéciste, d’avoir attiré
l’attention de l’opposition sur son erreur dans la tribalisation de la
faillite du régime, au lieu d’incriminer l’essence même du régime
politique. De fait, la mise à l’index de l’entité Béti aura poussé à
l’instinct grégaire des Bétis contre ce qui leur apparaissait
naturellement comme étant anti-béti (l’opposition en l’occurrence),
apportant de la sorte un soutien inestimé aux deux mamelles de la
dictature camerouaise : le tribalisme et la répression.
AUTODEFENSE : groupe civil spécialisé dans l’attaque
(meilleure défense) des opposants radicaux en période de contestation
aigue. Ces groupes armés pro-régime, qui ont souvent revêtu la forme de
véritable milices, sont responsables de maints crimes et vols.
L’histoire du Cameroun aura enregistré deux périodes au cours desquelles
le régime en place érigea l’auto-défense. La première période fut celle
des maquis upécistes. L’autodéfense fut alors implantée dans tous les
villages touchés par la lutte nationaliste, pour combattre
l’infiltration et l’implantation de réseaux de soutien à la lutte armée.
Pour accroitre leur efficience nulle au tout début, l’armée française y
intégra de force tous les anciens maquisards ''retournes''. En 1991, le
régime ressuscita à grande échelle l’autodéfense à l’université de
Yaoundé pour contrer l’effervescence contestataire des parlementaires,
responsables de la mobilisation des masses estudiantines contre
l’absence d’une politique universitaire digne de ce nom. A Douala,
l’autodéfense fut mise sur pied dès le début des ''villes mortes'', sous
l’égide des inconditionnels ‘‘essigan’’ locaux du RDPC. Dans la même
période à l’ouest, les autorités voulurent relancer officiellement le
cauchemar mais se heurtèrent au ''niet'' catégorique d’une opposition
bien implantée et orientée par l’UPC ‘‘illégale’’.
AVOCATS : ont été parmi les catalyseurs majeurs, en 90,
de l’avènement d’une société pluraliste au Cameroun. Principalement par
leurs remarquables plaidoiries au cours de procès politiques
irréfléchis signés Biya. (N.B. : les avocats tels Me Guillaume Nseth, Me
Mballa-Mballa Odile, Me Moutomè Douala, etc., peuvent aisément être
consommés à la sauce vinaigrée et bien moutardée de la corruption
rdépécienne.)