Comme beaucoup de concitoyens, je salue l’opportunité qui a été donné au peuple du Cameroun lors de cette émission de faire connaissance avec celui qui est assurément sur le plan médiatique un des acteurs politiques qui focalise l’attention depuis un an. Contrairement à certains, je n’ai rien vu qui me permette de dire que vous êtes un chef de clan ; votre sincérité n’était pas feinte lorsque vous vous êtes défendu d’accusation de tribalisme et je vous fais volontiers crédit des arguments que vous évoquez tant pour justifier votre démission du gouvernement que la dispute qui vous oppose à votre ancien étudiant Mouangué Kobila.
Vous avez aussi clairement réaffirmé que votre parti est attaché au respect de la légalité républicaine et aspire à arriver au pouvoir par des moyens démocratiques. Nul doute que les chantiers de modernisation que vous érigez en priorités dans votre projet politique trouveront un écho favorable au sein de la population camerounaise pour peu que vous parveniez à les rendre accessibles. Pour mémoire, il s’agit de :
- La modernisation politique et institutionnelle,
- modernisation économique, l’aménagement du territoire national et le développement durable,
- modernisation de l'éducation et du système social, statut de la femme, place des jeunes et question de l'emploi,
- modernisation culturelle, tourisme et développement sportif,
- modernisation de la politique étrangère et de la diplomatie, et place de la diaspora.
Toutefois, on se demande comment vous entendez procéder pour vulgariser votre projet politique et le mettre à la disposition de toute la population, de sorte à le défendre avec des chances raisonnables de vous imposer lors des élections lorsqu’on voit les tracasseries administratives dont vous faites l’objet ; et qu’ayant choisi le respect des institutions comme modalité d’action vous vous interdisez par principe de transgresser les lois, dont l’esprit et la lettre sont régulièrement instrumentalisés par les autorités administratives pour empêcher l’opposition d’exprimer une voix dissidente du discours officielle.
La volonté de réforme et modernisation en douceur du pays que vous avez risque de se casser les dents sur une réalité que vous vous refusez d’acter: L’acharnement du régime de Paul Biya à vouloir se maintenir au pouvoir par tous les moyens pour continuer à profiter des prébendes et rentes de situation distribuées à ses membres par le régime et se protéger des poursuites judiciaires qui seront assurément engagées à l’encontre de des membres du régimes compromis dans les détournements, crime économiques et autres violations des droits de l’homme si celui-ci venait à perdre le pouvoir.
Ce manque de perspicacité vous conduit à attendre de Paul Biya qu’il soit le garant de l’organisation d’élections libres, transparentes et démocratiques. C’est une erreur, car vous prêtez à Paul Biya des qualités d’altruisme, de générosité et de souci de l’intérêt général dont le peuple camerounais qui le pratique depuis 30 ans ne le crédite pas. De plus son clan ne permettrait pas de sa part une attitude, suicidaire de leur point de vue, qui sonnerait le glas de sa domination sans partage de tous les pouvoirs du pays.
Le président Sarkozy énonçait lors de son discours
controversé de Dakar l’idée, dramatique pour lui, selon laquelle
l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Si je ne
souscris évidemment pas à l’idée d’enfermer des peuples aussi divers
dans un imaginaire où tout est un éternel recommencement, sans place ni
pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès, je suis
malheureusement obligé de constater que cette idée s’applique
parfaitement à Paul Biya et son régime qui n’ont pas su saisir le sens
de l’histoire de notre pays, ni saisir l’opportunité d’y rentrer pour la
marquer positivement.
Au regard de la modestie ou l’absence de réalisations dont on peut le
créditer après 30 ans d’exercice du pouvoir, difficile en effet de
faire grief à Paul Biya de vouloir marquer les livres d’histoire de
notre pays comme bâtisseur d’une nation unie, démocratique, juste et
résolument engagée dans le combat pour le développement en vue d’assurer
la prospérité de ses citoyens.
Certes Paul Biya n’est pas obsédé par la question de savoir quelle sera le jugement de l’histoire sur le bilan de son (in)action à la tête de l’Etat. Il est toutefois préoccupé par l’avenir immédiat des membres de son clan après sa disparition ou son départ du pouvoir. Il y a quelques années, l’exil en Occident ou dans d’autres pays africains mettait à l’abri les proches de présidents déchus ou décédés contre les poursuites judiciaires ou des chasses aux sorcières dans leurs pays ; Les dirigeants des pays occidentaux et les anciens pairs au pouvoir en Afrique accueillaient à bras ouverts et dans l’indifférence totale de leurs opinions publiques.
Cette solution d’exil est de plus en plus risquée
au regard des expériences récentes. D’une part, les opinions publiques
des pays occidentaux, de mieux en mieux informés par les activistes de
la société civile, les membres de la diaspora et les média, rechignent
de plus en plus à être les complices passifs des dictateurs, corrompus
et autres spoliateurs ; elles exercent des pressions sur leur dirigeants
afin tous ceux qui tuent ou violent les droits de l’homme, détournent
les biens publics à leur profit ou participent aux actes corruption
rendent des comptes.
D’autre part, l’exil en Afrique n’écarte pas totalement le risque de
devoir rendre des comptes. Le cas Hissène Habré est assez révélateur de
la nouvelle situation où sous la pression conjugué des ONG, de certains
Etats et de la société civile, ni le temps, ni les lois d’amnistie
n’effacent de la mémoire les abus et violation des droits de l’homme et
la nécessité de rendre justice aux victimes.
Spécifiquement au cas de Biya et ses proches, la
solution d’exil dans un pays africain vue le mépris avec lequel celui-ci
traite tous ses pairs africains.
En toute hypothèse, le plus sûr pour Biya et ses proches est de demeurer
au Cameroun, le cas échéant en remplaçant un Biya décédé ou
physiquement affaibli par un autre membre du clan. C’est pourquoi
imaginer Biya en garant impartial d’élections libres, démocratiques et
transparentes relève en mon sens du vœu pieu et d’une grande naïveté.
Si tant est qu’il souhaite être le garant d’une chose, Paul Biya
préfèrerait assurer la pérennité de son clan au contrôle du pays de
sorte à les prémunir des incertitudes d’un changement non maîtrisé de
régime.
Le peu d’empressement qu’il met à appliquer la constitution de 1996 dans
sa globalité ou l’empressement relatif avec lequel il en modifie
certaines dispositions participent d’une volonté manifeste d’entretenir
le flou qui justifiera de manière formelle le moment venu, une
transmission anticonstitutionnelle du pouvoir exécutif.
A cet effet, rien n’est laissé au hasard , notamment en ce qui concerne les forces de défense dont l’organisation est faite de sorte que son épine dorsale - l’armée de terre - et dans une moindre mesure les composantes aérienne et maritime soient peu et mal équipées, non entrainées de sorte à être en incapacité opérationnelle à défendre la légalité constitutionnelle en cas de besoin face aux fans clubs (ou des milices personnelles) de Biya que constituent la garde présidentielle et le bataillon d’intervention rapide.
Nous devons avoir l’humilité de constater que l’opposition politique et les populations camerounaise ont utilisé, depuis le retour du multipartisme, toute la panoplie d’outils disponibles dans le cadre du combat pacifique pour le changement démocratique. Nous devons reconnaître que les partis politiques d’opposition ont, depuis plus de 2 décennies, mené un combat noble et difficile, marqué par la déloyauté du régime de Biya qui ne leur a laissé aucune chance de défendre leurs propositions de façon démocratique auprès du peuple . Nous devons prendre acte que ni les marches de protestation et de revendication, ni les actions de désobéissance civile et civique, ni les grèves et boycotts, ni la (non)coopération politique, sociale ou économique avec le régime n’ont permis d’avancer vers l’objectif de faire du Cameroun un état de droit.
L’opposition camerounaise doit avoir la lucidité de reconnaître que les formes de combat qu’elle s’est donnée depuis 22 ans ont fait la preuve de leur incapacité à ouvrir les portes d’une alternance démocratique. Elle doit comprendre que pour gagner en crédibilité, elle ne peut continuer à opposer le décompte des morts et les demandes de condamnation du régime de la part de la communauté internationale –qui ne change rien sur le terrain - au défi de la force militaire lancé par le régime à chaque revendication un peu bruyante. Le peuple camerounais, par le sacrifice de ses enfants morts sur l’autel de l’aspiration à un Etat démocratique, a suffisamment payé cher le droit de savoir qu’une opposition crédible sera celle qui aura recours aux seuls arguments susceptibles d’être entendu par Biya, le recours à la force.
Ainsi, la mise en œuvre du projet politique que vous portez comme celle de tout projet alternatif à celui de Paul Biya présuppose que ce dernier ait été déposé ou à la rigueur contraint de négocier et de compromettre avec ses concurrents politiques. La force de cette contrainte sera d’autant plus grande que le rapport de force établit sur le terrain par les belligérants aura fait perdre à Biya et à ses affidés l’espoir de s’en sortir une fois de plus indemne après avoir fait massacrer leurs adversaires politiques. Hélas, l’équilibre de la terreur est une condition essentielle à la sincérité de la négociation avec un dictateur et Peu de pays francophones d’Afrique ont fait exception à cette règle.
C’est à cette condition qu’une discussion franche pourra avoir lieu au sujet des réformes de structures - la modernisation de la constitution, de la dépolitisation de la fonction publique et de l’armée, des conditions d’indépendance de la justice, de la mise en place d’un organe indépendant chargé de l’organisation des élections - que vous prônez afin que le pays puis se mettre au travail et sortir de la pauvreté.