80ème anniversaire. Paul Biya : un octogénaire dépassé
Immobilisme, corruption, économie exsangue, chômage en sus, pauvreté... 31 ans au pouvoir tel un coureur de marathon
Lorsqu’il hérite des rênes du pouvoir le 06 novembre 1982, Paul Biya, alors Premier ministre d’Ahmadou Ahidjo, son prédécesseur a 49 ans révolus et se trouve à l’aube d’un demi-siècle d’existence. Puisqu’il est né le 13 février 1933.
Son accession à la magistrature suprême est le couronnement d’une belle carrière administrative qui a commencé en 1962 comme directeur du cabinet du ministre de l’Education nationale : Aurelien-Wylliam Etéki’a Mboumoua, aujourd’hui président de la Croix rouge camerounaise.
L’avènement à la présidence de la République de ce grand commis de l’Etat réputé discret, sobre, effacé à la limite lui vaut un accueil des plus chaleureux et enthousiastes à travers le pays. Le Cameroun sort alors d’un long règne d’un régime politique autoritaire qui tolérait peu ou prou la liberté d’expression, le mouvement des personnes. Pour échapper à cette « dictature tropicale » soutenue par la France au détriment de l’Union des populations du Cameroun (Upc), mouvement de libération qui, depuis sa naissance en avril 1948, se battait pour la réunification des deux Cameroun sous-tutelle et l’indépendance intégrale du pays, plusieurs cadres et citoyens de toutes les classes et conditions sociales étaient contraints à l’exil, s’ils n’étaient pas assassinés. L’histoire est suffisamment connue.
Conscient de cette situation, Paul Biya s’illustre tôt comme « Moïse » pour le peuple juif en captivité en Egypte. Dans son discours d’investiture, les termes rigueur et moralisation sont perçus comme les rayons lumineux d’une ère de changement positif. Il inaugure en 1987 la multiplicité des opinions et des candidatures au sein du parti unique dont il est aussi l’héritier, fait adopter en décembre 1990, une batterie de lois sur la liberté des associations, permettant ainsi le multipartisme intégral. A ce jour le Cameroun compte plus de 200 formations politiques. Presque autant que les dialectes qui fleurissent dans ce pays à la forme d’un triangle. Tout ceci malgré des obstacles dont une tentative de coup d’Etat le 6 avril 1984 qui sera réprimé presque sans état-d’âme.
Dans une Afrique en proie à des déchirements, des conflits et des guerres fratricides, le Cameroun demeure paisible et stable, en dépit de quelques remous de surface. On peut affirmer avec certitude que la préservation de la paix au Cameroun est une dynamique de tout un peuple épris de paix autour d’un chef dont la longévite au pouvoir n’est pas moins tributaire de la paix et de la stabilité du pays. Quelqu’un a dit de lui qu’il maîtrise seul « l’entrelac des gouverneurs, préfets et sous-préfets et même des chefs traditionnels fonctionnarisés qui font que le navire Cameroun peut naviguer en pilotage automatique ».
Personnage imprévisible
Cette manière de gouverner n’est pas de nature à ne lui susciter que de nombreux admirateurs. Ceux qui le trouvent cassant et qui en sont agacés sont de plus en plus nombreux. Surtout ces dernières années. L’opération « Epervier », espèce d’opération « mains propres », version tropicale, qui consiste à traquer et à mettre hors d’état de nuire des présumés prévaricateurs des fonds publics parmi lesquels ses proches collaborateurs a davantage fait de lui un « personnage imprévisible, redoutable et redouté ». Même si pour certains, c’est une manœuvre politicienne, destinée à briser des ambitions politiques des mis en cause.
De nos jours, la crainte des gestionnaires des biens publics n’est plus d’être mis à l’écart et les prisons camerounaises sont désormais ouvertes à tous sans exception. Encore ! Il n’en demeure pas moins que tous les prévaricateurs présumés ne connaissent pas souvent le même sort. Ce qui fait dire ceci à un observateur bien introduit dans les labyrinthes du système : « lorsque l’épée de Damoclès tombe, elle peut être mortelle ». Mais pas pour tous les présumés gestionnaires indélicats. Intervenant à un moment où d’aucuns voyaient Paul Biya au crépuscule du pouvoir, cette opération apparaît comme une lutte sans merci pour éliminer les uns en faveur d’un dauphin dont le portrait tarde à se manifester, à surgir.
La question de la longévité du chef de l’Etat camerounais au pouvoir taraude bien des esprits. Aux journalistes français qui lui demandaient s’il ne se sentait pas usé par 30 ans d’exercice du pouvoir, Paul Biya leur retourna la question suivante : « ai-je l’air si faitigué que cela ? » A 80 ans sonnés ce 13 février 2013, 30 ans de magistrature suprême auxquels il faut ajouter 7 années à la Primature et les autres états de services dans les rouages de la haute administration, c’est assommant. Mais Paul Biya, comme un coureur de marathon continue magistralement la course. Pourvu qu’il ne s’écroule pas à quelques mètres d’une ligne d’arrivée qu’il est seul à situer.
Paul Biya. Le tourbillon du vide du président solitaire
De son vivant, alors qu’il n’a pas encore fini de surprendre les Camerounais, Paul Biya vient d’entrer dans l’histoire : Il a déjà battu tous les records. Le deuxième président de la République est le premier à avoir passé le cap de 25 ans de règne. L’histoire retiendra sans doute qu’il a aussi été le président camerounais le plus âgé de tous les temps…
Victor Ayissi Mvodo né en 1933 comme Paul Biya, ancien élève au lycée Leclerc de Yaoundé comme Paul Biya. Il se dit qu’il avait préféré attendre que Paul Biya obtienne son bac en 1956 afin que tous les deux aillent en France poursuivre leurs études supérieures. Quelle preuve d’amitié. Mais au contact du pouvoir, les intérêts vont les séparer. Feu Ayissi Mvodo est aujourd’hui disparu. Il a fait partie du premier gouvernement de Biya (6 novembre 1982) ainsi que du deuxième (13 avril 1983) à l’Administration territoriale. Il voulait se présenter à l’élection présidentielle de 1997 contre Paul Biya quand la mort l’a frappé.
L’histoire du coup d’Etat d’avril 84 est connue de tous : Paul Biya est réveillé en sursaut. Il est rapidement conduit avec ses proches parents dans le bunker qui se trouve dans le sous sol du palais. Le chef de l'Etat ne sait pas ce qui lui arrive. D'aucuns affirment qu'il aurait envisagé de se rendre afin " d'éviter un bain de sang inutile". Il auraient été rassuré dans l'immédiat par ses " anges gardiens " qui lui aurait demandé de garder confiance. A l'extérieur, quelques soldats loyalistes organisent timidement la résistance. Certains éléments, avec à leur tête le chef de bataillon, Benaé Mpéké, occupent et sécurisent la radio de commandement, située sur le mont Mbankolo. Le général Benaé était un proche de Biya. Il est décédé en 2007 après un bain de minuit dans sa confortable villa de Kribi.
Biya un homme seul ? À 80 ans, s’égrène désormais le chapelet de ses proches disparus, et du vide fait autour du vieux président qui s’accroche à la vie et au pouvoir, généralement entourés de solitude. Le 21 septembre dernier, son frère aîné, chef de sa famille depuis le décès de son père Etienne Mvondo Assam en 1956, décède des suites d’une longue maladie après avoir été victime d’un accident de la circulation. M. Benoît Assam Mvondo était l'aîné des quatre garçons d'Anastasie Eyenga, la mère de Paul Biya, qui eut neuf enfants.
Que reste t-il à Paul Biya ? Qui lui reste-t-il ? Georges Ngango, son ami économiste, n'est plus là. M. Thomas Melone n'appellera plus M. Biya de son surnom, «le filandreux». Philippe Mataga, Gilbering Bol Alima, Etienne Ntsama, Gilbert Andze Tsoungui et Mme Elisabeth Tankeu ne sont plus là pour manœuvrer. « Grosso modo, ceux qui ont aidé Paul Biya à asseoir son pouvoir et ses compagnons d'études, qui ont offert au Renouveau le visage séduisant du milieu des années 80, ont quasiment quitté la scène, emportés par la mort », signale notre confrère Repères.
Ferdinand Léopold Oyono est décédé le 10 juin 2010 à l’âge de 81 ans. Il était l’aîné de Biya de quatre ans. Il est mort au palais un jour de dîner offert par le président de la République camerounaise Paul Biya au secrétaire général de l’Onu Ban Ki-Moon. Il participait à ce repas, qui fut son dernier. Il fut sans doute le plus proche compagnon de Biya après René Owona, ancien secrétaire général adjoint de la présidence, mort en 2004. En 2005 Joseph Tsanga Abanda, l’«ami» du Président, deux fois ministre, tirait sa révérence.
En 2008, Albert Cherel Mva, intime parmi les intimes, certes moins connu du grand public, mourrait à son tour. Doit-on compter parmi les proches du président Paul Tessa décédé en 2010 ? Les deux hommes avaient fait leurs études secondaires ensemble. Ministre d’Ahidjo, il est récupéré par son ancien camarade de collège et nommé directeur général de la Sopecam en 1988, Il le propulse Sg de la présidence de la République l’année suivante puis ministre des Travaux publics en 1989.
Homme-Lion
Le chef de l’État devient de plus en plus esseulé. Tous ses amis ont quitté la scène. Joseph Fofé, Pierre Tchanqué, François Sengat Kuoh, Mgr Jean Zoa, Gilbert Andzé Tsoungui, Bernard Eding, Emah Basile, Amougou Noma… Mais le président est toujours là, imperturbable, debout à la proue du navire qui prend eau de toutes parts, régnant sur le Cameroun comme Louis quelque chose en France. Roi soleil ? Non ! Homme-Lion. C’est son totem.
Samedi 5 juin 2004, la rumeur explose dès le petit matin. De proche en proche, toutes les villes du Cameroun sont touchées. Des personnalités se mettent au vert, craignant pour leur vie. Le scénario est en gros le suivant : victime d'un malaise cardiaque à Yaoundé, le président a été transporté d'urgence dans une clinique genevoise, puis opéré. Il serait décédé ou dans un coma profond. Il faudra, en fait, attendre le mercredi 9 juin 2004 pour qu'enfin s'achève cette comédie macabre.
«Vers 9 h 30 ce matin-là, raconte un témoin, un Paul Biya radieux, en costume bleu, accompagné de son épouse en rose, de Brenda et de Junior, quitte l'hôtel Intercontinental en direction de l'aéroport de Genève. À 15 h 50, le Boeing présidentiel de la Camair atterrit à Yaoundé-Nsimalen, attendu par une foule en délire ». « Le fantôme vous salue bien, plaisante Biya, qui ajoute : certains, apparemment, étaient pressés d'assister à mes funérailles. » Il donne rendez-vous dans « au moins 20 ans » !
Les spécialistes des décombres macabres traduisent : « à ce jour, il lui reste au moins 11 ans ». Un septennat de plus et des broutilles après celui-ci. Une longévité admirable dans un pays où l’espérance de vie est de ...47 ans. Mais les coureurs de fond sont d’habitude solitaires.
Jacques DOO BELL / Edouard Kingue
NB. Lire le dossier complet dans l'édition du Messager de ce 13 Février 2013