6 novembre 1982 - 6 novembre 2012: le Cameroun est sous occupation depuis 30 ans
BRUXELLES - 06 NOV. 2012
© Thierry AMOUGOU | Correspondance
Um Nyobè pour résister à l’occupation a choisi la brousse comme lieu de résistance. Le régime actuel pose ses premières pierres en brousse pour refonder les bases politiques d’une occupation trentenaire.
« Liberté, Liberté, Liberté, nous sommes libre merci » chantait, il y a quelques années, la diva camerounaise Anne Marie Ndzié. Pour elle comme pour plusieurs Camerounais, l’arrivée au pouvoir de Paul Biya en 1982 était le début d’une nouvelle ère, l’ère de la liberté. Aussi, lorsqu’en 1992 le SDF utilisa cette belle mélodie pour ponctuer sa campagne lors de l’élection présidentielle, le RDPC demanda à la diva Anne Marie Ndzié de dire aux antennes de la CRTV que cette chanson était la propriété privée du régime en place. Le SDF abandonna cet hymne à la liberté pour le non moins mobilisateur « get up stand up » de Bob Marley. Personne d’autre ne pouvait se targuer d’apporter la liberté au Cameroun en lieu et place de Paul Biya, le parangon attitré de celle-ci.
Le Renouveau National était donc un énoncé politique qui se présenta en rupture totale avec le régime Ahidjo sur le plan des libertés. Des ténèbres et de l’ombre de la dictature politique, le Cameroun et les Camerounais passaient à la lumière du soleil du Renouveau. L’accession de Paul Biya à la magistrature suprême était synonyme de la fin des expéditions punitives dans les campus universitaires, le terminus de la mise sous tutelle politique des intellectuels, la fin des atermoiements des stratégies économiques du pays, le début du règne de la souveraineté populaire, les bases de la presse libre, le tremplin vers une alternance politique à la tête de l’Etat, le fondement du respect de la légalité constitutionnelle, les bases du bien-être de nos paysans et le début des politiques publiques en faveur de la jeunesse érigée en fer de lance. Qui plus est, la rigueur dans la gestion et la moralisation des comportements étaient précurseurs d’une scène politique ou l’accountability allait régner en maître et expulser la corruption des arcanes institutionnelles du Cameroun : le Cameroun était bien parti car piloté par un homme éclairé parce que dit intellectuel, doté d’une moralité impeccable parce que fils de catéchiste et démocrate parce que ses discours le disaient.
Trente ans après, le grand soir de la révolution politique, culturelle et économique qu’annonça le Renouveau National montre un petit matin calamiteux. Ce que ce pays espérait être la base durable d’une envolée vers le développement social, politique et économique se donne à voir de nos jours comme la fondation de l’occupation de l’Etat camerounais par une autocratie depuis trente ans. Le Cameroun est en effet occupé par des forces politiques du Renouveau National ayant réalisé le Renouveau en l’envers en mettant sous tutelle endogène un peuple camerounais qui pensait être sortie de la tutelle exogène des Occidentaux depuis 1960. En conséquence, après l’occupation coloniale, le Cameroun est sous occupation néocoloniale endogène orchestrée par un régime qui mit les habits de la liberté par le discours pour mieux tisser l’asservissement d’un peuple depuis trente ans. Cette occupation se matérialise par la confiscation du pouvoir politique par modifications constitutionnelles successives, par obstruction obsessionnelle du jeu politique par refus d’une commission électorale indépendante, par transformation de l’armée du pays en milice chargée de la répression des manifestants, par la promotion de la pensée de connivence des intellectuels de système, la clochardisation des paysans à la merci de la pression foncière de fonctionnaires milliardaires, l’embastillement des journalistes et par la transformation des jeunes camerounais en éternels chômeurs dans un pays lui-même transformé en PPTE.
Puisque le pays est sous occupation, seuls les collabos et les forces dominatrices s’expriment et détiennent la vérité. Le Renouveau National est donc devenu l’endroit où seuls « les créatures » en état de grâce auprès du « créateur » nous disent combien vont vite « les grandes réalisations » dont un peuple éberlué et médusé ne voit que les premières pierres dans les coins de brousse côtoyant la détresse paysanne. La liberté que chanta avec talent Anne Marie Ndzié est devenue un mirage. Elle n’est plus appréciée par le peuple camerounais que lorsqu’il se rend compte que plusieurs « gros poissons » (créatures tombées en disgrâce auprès du créateur) ne parlent plus qu’à travers les barreaux de la prison centrale de Yaoundé parce que la rigueur et la moralisation des comportements ne furent que du vent depuis 1982. A la place des dividendes économiques, politiques et sociaux qu’attendait le Cameroun suite à l’évènement du Renouveau National, le peuple camerounais a entendu parler des milliards de Fcfa sortis des caisses de l’Etat pour une petite ballade sans retour dans les comptes des serviteurs du Renouveau National. A la place de la démocratie, ce peuple a connu un pouvoir à vie de celui qui qualifia son prédécesseur de dictateur. A la place du plat politique constitué de liberté, ce peuple mange chaque jour de l’Albatros présidentiel et reçoit en dessert les excréments que rejette sur lui le rapace Epervier dont une opération coloniale contre la lutte pour l’indépendance portait déjà le nom au Cameroun en 1960. Une occupation peut donc en cacher une autre tout comme à la colonisation des Camerounais par les Français, les Anglais et les Allemands, succède celle des mêmes Camerounais par le Renouveau National depuis trente ans. Seules les forces d’occupation et leurs collaborateurs doivent donc fêter le 6 novembre 1982. Um Nyobè pour résister à l’occupation a choisi le brousse comme lieu de résistance. Le régime actuel pose ses premières pierres en brousse pour refonder les bases politiques d’une occupation trentenaire. L’usage opposé de la brousse entre la résistance et l’occupation montre le décalage entre ceux qui ont eu le pouvoir en 1960 et le fête le 6 novembre 2012, et ceux qui ont donné leur vie pour que ce pouvoir soit au service de la vie.
Thierry AMOUGOU,
Université Catholique de Louvain
© Thierry AMOUGOU | Correspondance
Um Nyobè pour résister à l’occupation a choisi la brousse comme lieu de résistance. Le régime actuel pose ses premières pierres en brousse pour refonder les bases politiques d’une occupation trentenaire.
« Liberté, Liberté, Liberté, nous sommes libre merci » chantait, il y a quelques années, la diva camerounaise Anne Marie Ndzié. Pour elle comme pour plusieurs Camerounais, l’arrivée au pouvoir de Paul Biya en 1982 était le début d’une nouvelle ère, l’ère de la liberté. Aussi, lorsqu’en 1992 le SDF utilisa cette belle mélodie pour ponctuer sa campagne lors de l’élection présidentielle, le RDPC demanda à la diva Anne Marie Ndzié de dire aux antennes de la CRTV que cette chanson était la propriété privée du régime en place. Le SDF abandonna cet hymne à la liberté pour le non moins mobilisateur « get up stand up » de Bob Marley. Personne d’autre ne pouvait se targuer d’apporter la liberté au Cameroun en lieu et place de Paul Biya, le parangon attitré de celle-ci.
Le Renouveau National était donc un énoncé politique qui se présenta en rupture totale avec le régime Ahidjo sur le plan des libertés. Des ténèbres et de l’ombre de la dictature politique, le Cameroun et les Camerounais passaient à la lumière du soleil du Renouveau. L’accession de Paul Biya à la magistrature suprême était synonyme de la fin des expéditions punitives dans les campus universitaires, le terminus de la mise sous tutelle politique des intellectuels, la fin des atermoiements des stratégies économiques du pays, le début du règne de la souveraineté populaire, les bases de la presse libre, le tremplin vers une alternance politique à la tête de l’Etat, le fondement du respect de la légalité constitutionnelle, les bases du bien-être de nos paysans et le début des politiques publiques en faveur de la jeunesse érigée en fer de lance. Qui plus est, la rigueur dans la gestion et la moralisation des comportements étaient précurseurs d’une scène politique ou l’accountability allait régner en maître et expulser la corruption des arcanes institutionnelles du Cameroun : le Cameroun était bien parti car piloté par un homme éclairé parce que dit intellectuel, doté d’une moralité impeccable parce que fils de catéchiste et démocrate parce que ses discours le disaient.
Trente ans après, le grand soir de la révolution politique, culturelle et économique qu’annonça le Renouveau National montre un petit matin calamiteux. Ce que ce pays espérait être la base durable d’une envolée vers le développement social, politique et économique se donne à voir de nos jours comme la fondation de l’occupation de l’Etat camerounais par une autocratie depuis trente ans. Le Cameroun est en effet occupé par des forces politiques du Renouveau National ayant réalisé le Renouveau en l’envers en mettant sous tutelle endogène un peuple camerounais qui pensait être sortie de la tutelle exogène des Occidentaux depuis 1960. En conséquence, après l’occupation coloniale, le Cameroun est sous occupation néocoloniale endogène orchestrée par un régime qui mit les habits de la liberté par le discours pour mieux tisser l’asservissement d’un peuple depuis trente ans. Cette occupation se matérialise par la confiscation du pouvoir politique par modifications constitutionnelles successives, par obstruction obsessionnelle du jeu politique par refus d’une commission électorale indépendante, par transformation de l’armée du pays en milice chargée de la répression des manifestants, par la promotion de la pensée de connivence des intellectuels de système, la clochardisation des paysans à la merci de la pression foncière de fonctionnaires milliardaires, l’embastillement des journalistes et par la transformation des jeunes camerounais en éternels chômeurs dans un pays lui-même transformé en PPTE.
Puisque le pays est sous occupation, seuls les collabos et les forces dominatrices s’expriment et détiennent la vérité. Le Renouveau National est donc devenu l’endroit où seuls « les créatures » en état de grâce auprès du « créateur » nous disent combien vont vite « les grandes réalisations » dont un peuple éberlué et médusé ne voit que les premières pierres dans les coins de brousse côtoyant la détresse paysanne. La liberté que chanta avec talent Anne Marie Ndzié est devenue un mirage. Elle n’est plus appréciée par le peuple camerounais que lorsqu’il se rend compte que plusieurs « gros poissons » (créatures tombées en disgrâce auprès du créateur) ne parlent plus qu’à travers les barreaux de la prison centrale de Yaoundé parce que la rigueur et la moralisation des comportements ne furent que du vent depuis 1982. A la place des dividendes économiques, politiques et sociaux qu’attendait le Cameroun suite à l’évènement du Renouveau National, le peuple camerounais a entendu parler des milliards de Fcfa sortis des caisses de l’Etat pour une petite ballade sans retour dans les comptes des serviteurs du Renouveau National. A la place de la démocratie, ce peuple a connu un pouvoir à vie de celui qui qualifia son prédécesseur de dictateur. A la place du plat politique constitué de liberté, ce peuple mange chaque jour de l’Albatros présidentiel et reçoit en dessert les excréments que rejette sur lui le rapace Epervier dont une opération coloniale contre la lutte pour l’indépendance portait déjà le nom au Cameroun en 1960. Une occupation peut donc en cacher une autre tout comme à la colonisation des Camerounais par les Français, les Anglais et les Allemands, succède celle des mêmes Camerounais par le Renouveau National depuis trente ans. Seules les forces d’occupation et leurs collaborateurs doivent donc fêter le 6 novembre 1982. Um Nyobè pour résister à l’occupation a choisi le brousse comme lieu de résistance. Le régime actuel pose ses premières pierres en brousse pour refonder les bases politiques d’une occupation trentenaire. L’usage opposé de la brousse entre la résistance et l’occupation montre le décalage entre ceux qui ont eu le pouvoir en 1960 et le fête le 6 novembre 2012, et ceux qui ont donné leur vie pour que ce pouvoir soit au service de la vie.
Thierry AMOUGOU,
Université Catholique de Louvain