6 avril 1984 - 6 avril 2015: l`histoire du Cameroun

6 avril 1984 - 6 avril 2015: l`histoire du Cameroun 



31 ans après, les souvenirs sont vivaces, les stigmates encore indélébiles.


La journée de jeudi 5 avril 1984 était une journée comme toutes les autres, tout au moins pour le Camerounais ordinaire. A la fin de l’après midi de cette journée, une pluie légère avait arrosé la capitale politique du pays. Ce fut une pluie normale pour la saison. Un habitant de l’ancien camp des douaniers à l’entrée du camp Yéyap , secteur où on rencontre le plus grand nombre de gendarmes au travail, ce riverain révèle : « Je ne doutais de rien, les gendarmes que je voyais sortir et entrer au camp avaient l’air très occupés. Mais pour nous, c’était des mouvements normaux, ils étaient dans leur domaine d’activités… »

Dans la ville de Yaoundé, les sorties en soirée se passaient par affinités et selon les jours de la semaine. Ces sorties commençaient les jeudis et se terminaient samedi afin que les noctambules récupèrent dimanche en attendant de reprendre les activités de la semaine. Un jeune médecin sorti du Cuss (Centre universitaire des sciences de la santé) avec le grade capitaine était affecté à la Garnison militaire de Yaoundé. Ce jeudi 5 avril, un de ses amis l’invite dans un night club situé au carrefour dit Warda. Le night club en question se trouvait au sous-sol de l’immeuble Hajal Massad. Ce jeune médecin était militaire, mais sa profession faisait de lui un passage obligé. Il était connu des gendarmes aussi.

Parler de moi

Quand il entre dans cette « boîte de nuit », il est aussitôt repéré par le capitaine de gendarmerie, le nommé Abalélé. Non loin de lui, se trouvaient deux autres capitaines : Awali et Abali. Tous les trois arboraient ostensiblement leurs tenues en treillis. Sans que cela n’attire particulièrement l’attention de ceux qui étaient sur la piste de danse ou au comptoir revêtu d’aluminium. Abalélé était particulièrement tendu. Il n’arrêtait de regarder sa montre bracelet. Il commanda dans la même nervosité une deuxième boutique de whisky qu’il enfouit dans une des multiples poches de son pantalon de gendarme. En frappant une liasse de billets neufs sur le comptoir de Mme Stillamonkes la caissière du night club, Abalélé accompagna son geste des paroles suivantes : « Bientôt vous entendrez parler de moi ! ». Avant de repartir aussi tendu qu’il était entré, le capitaine Aballélé se retourna vers son collègue médecin et lui tint ces : « Continuez votre soirée. Je pourrais avoir incessamment besoin de toi ».

Après le départ du premier gendarme, les deux autres sortirent discrètement l’un après l’autre. Il était alors 0h30 mn environ. Les trois officiers de gendarmerie appartenaient tous à la Garde républicaine, cette force d’élite dont la mission était de veiller en premier à la sécurité du chef de l’Etat. Après le départ du pouvoir d’Ahmadou Ahidjo, son successeur Paul Biya n’avait procédé à aucun changement majeur. Il avait maintenu à leurs postes les cadres de cette force de proximité. C’est donc dire que ses éléments connaissaient parfaitement les lieux qu’ils étaient appelés à protéger : la présidence de la République notamment.

En quittant le night club, le trio d’exécution du coup d’Etat manqué du 6 avril 1984 avait rejoint le quartier général de la Garde républicaine à Obili. A l’heure que les éléments avaient prévue, les différentes sous unités se dirigèrent respectivement vers la maison de la Radio qu’il fallait occuper, vers les domiciles des officiers supérieurs à maitriser, pendant qu’une autre sous unité se dirigea vers le palais présidentiel qu’il fallait prendre et neutraliser son occupant principal. D’autres éléments des putschistes avaient la mission de contrôler des points sensibles et de les détruire si le coup d’Etat n’atteignait pas ses objectifs, ceci dans le but de faciliter le repli, si non la fuite des auteurs. Parmi ces points sensibles, il y avait le relais principal d’électricité ’Elig Effa qui fourni la lumière à toute la ville de Yaoundé. Ce relais fut sauvé de justesse : au moment où un putschiste prenait position pour le détruire de son char, il fut stoppé dans son action par la roquette d’un militaire loyaliste. La base aérienne de Yaoundé fut également l’un des points stratégique à protéger.

« J’ose »
Les putschistes ne prirent la radio que pour quelques instants, le temps de lire leur message annonçant le « renversement de la bande à Biya » et l’instauration d’un « mouvement de salut et de redressement national dénommé j’ose… »

La panique ne s’empara pas des provinces : le message des putschistes ne fut pas relayé par le centre des émetteurs installés à Soa, car les techniciens avaient pris le soin de déconnecter ce relais et le message resta concentré dans la seule ville de Yaoundé. Les gradés militaires, dans le grade le plus élevé, devaient prendre le pouvoir. Ils ne reçurent pas le message. Les sous-préfets, les préfets et les gouverneurs ne furent donc pas détrônés. Le coup d’Etat n’était pas en train de réussir.

Les villes de province ne furent informées que par des radios étrangères. Ces radios à leur tour avaient des informations fragmentaires, distillées par les chancelleries des grandes puissances installées à Yaoundé.

Les passagers pour Yaoundé étaient bloqués à l’aéroport de Douala. Ceux du train de la Régifercam aussi. Des hôtesses qui avaient glané des rares informations approximatives au moment où le dernier vol du commandant Ondoua fut sommé par les putschistes de retourner à Douala, elles annonçaient à mi-voix : « Les bérets rouges ont voulu prendre le pouvoir. Ils se battent contre les bérets verts qui veulent les en empêcher ».

L’ingénieur de la Régifercam à Douala, Issa Tchiroma Bakary qui regagnait son domicile après avoir accompagné ses enfants à l’école au matin du 6 avril, eu ces mots de circonstance : « Les Camerounais sont réputés paisibles, qu’est-ce qui leur arrive? » La réponse était dans le vent de la bêtise.

Xavier Messè



06/04/2015
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