Les gouvernants sont titulaires de l’exercice du Pouvoir dans l’Etat. Ils mettent en œuvre le Pouvoir d’Etat. Une question essentielle mérite d’être posée: comment sont-ils choisis? La démarche classique consiste à distinguer les procédés démocratiques des procédés non démocratiques d’accession au Pouvoir.L’élection est de nos jours le procédé démocratique principal de choix des gouvernants. Il consiste à la désignation des titulaires du Pouvoir dans les conditions déterminées par la Constitution et les lois. Les procédés non démocratiques d’accession au pouvoir se résument à quatre principaux:
Les gouvernants héréditaires: les gouvernants ici ont reçu le pouvoir en héritage comme un patrimoine propre.
La révolution: elle consiste en un changement qualitatif brusque,
violent des structures économiques, politiques et sociales d’un Etat.
Elle peut se faire par rébellion, révolte, insurrection, soulèvement.
Le coup d’Etat: ici, le Pouvoir politique est conquis par des moyens
illégaux et généralement violents; les militaires africains et sud
américains nous ont habitués à ces formes d’action.
La cooptation: la cooptation réside dans le choix du gouvernant de
demain par celui d’aujourd’hui. Cette forme de désignation semble
apparemment en déclin. Elle a joué à plein à l’intérieur des instances
dirigeantes des partis uniques africains. Les leaders de demain viennent
du sérail politique des leaders politiques d’aujourd’hui, ou en
d’autres termes, les leaders d’aujourd’hui viennent du sérail politiques
des leaders politiques d’hier, comme ce fut le cas au Cameroun le 6
Novembre 1982.
Le 04 Novembre 1982, après un bref séjour privé en France dont il était rentré la veille, Ahmadou Ahidjo annonce sa décision de démissionner de la présidence de la République, dans des conditions surprenantes, alors que rien sur l’heure ne parait lui imposer pareille décision: le pays connait la stabilité politique; l’économie est prospère et l’auto-suffisance alimentaire assurée; la vie sociale ne suscite aucune inquiétude particulière. L’endettement extérieur du Cameroun est faible. Du reste, le pays étant solvable, le crédit du Cameroun auprès des organismes financiers internationaux et auprès de ses partenaires économiques, est assez grand pour qu’il soit considéré par eux-mêmes comme “le plus beau risque d’Afrique noire”.
Sur le plan diplomatique, le Cameroun jouit à l’étranger d’une grande audience. Et son chef, Ahmadou Ahidjo est cité parmi les “sages” d’Afrique. C’est dire qu’au moment où Ahmadou Ahidjo annonce sa démission, aucune contrainte politique manifeste, ou latente, ne peut être invoquée pour expliquer sa décision. Aussi, les camerounais sont-ils frappés de stupeur d’abord, de réelle consternation ensuite. Avant l’annonce officielle, une délégation composée du Premier ministre M. Paul Biya et de personnalités politiques de premier plan telles que MM. Moussa Yaya, Charles Assalé, Julienne Keutcha, Emah Basile, Anomah Ngu et Egbe Tabi Emmanuel esseya en vain de l’en dissuader.
Le Grand Mystère
Les journaux qui paraissent au lendemain de cette décision et d’autres sources généralement bien informées, expliqueront la soudaine démission d’Ahmadou Ahidjo par des raisons de santé. Le journal “Le Monde”, se faisant l’écho de renseignements puisés dans certains milieux médicaux français, écrit dans son édition des 6 et 7 novembre 1982, “des sources généralement bien informées croient savoir que M. Ahidjo qui n’est âgé que de 58 ans, souffrirait d’un diabète et d’un ulcère à l’estomac.
Ceci est confirmé entre autres journaux, par
l’hebdomadaire “Lettre d’Afrique” dans son numéro 43/82 du 9 novembre
1982. Cette publication écrit que “depuis plusieurs années, il (Ahmadou
Ahidjo) avait du diabète”. Lettre d’Afrique ajoute que cette maladie
s’est doublée “d’un ulcère à l’estomac qui s’est aggravé brusquement… En
juillet dernier, lors de son voyage aux Etats-Unis, un examen médical
décela une évolution dangereuse de cet ulcère… l’ulcère risquait de
devenir cancéreux rapidement, si le président ne cessait pas
immédiatement toute activité”.
Les camerounnais éprouvent alors une profonde tristesse, car se
confirment ainsi pour eux les rumeurs sur la gravité de l’état de santé
d’Ahmadou Ahidjo. Ils sont sincèrement persuadés que ses jours sont
désormais comptés. Voila donc, se dit-on, ce qui explique la soudaineté
de sa démission. Sa courageuse démission ne peut alors que le grandir
aux yeux du peuple camerounais qui voit dans sa décision le souci
d’assurer personnellement une transition sans heurts, avant de se
soumettre aux incertitudes du destin, sinon à la mort qu’on croit tenir
pour prochaine.
Cependant, deux mois plus tard, Ahmadou Ahidjo déclare lui-même à la
presse que “son état de santé est bon et ne suscite aucune inquiétude
particulière”. N’y a-t-il pas alors quelque mystère à cette démission ?
Ahmadou Ahidjo affirme qu’il n’y en a aucun, et qu’ “après 35 années de
vie politique, il est fatigué et aspire au repos”.
Le 6 novembre 1982 en tout cas, Ahmadou Ahidjo passe le pouvoir à Paul Biya. M. Paul Biya appartient à la génération des politiciens par décret, forgée par l’ancien président Ahidjo. Toute sa carrière, il la doit à la nomination. En octobre 1962 – l’année de son retour au Cameroun après une formation de six ans en France -, il est nommé chargé de mission à la présidence à l’âge de 29 ans. Selon Christian Tobie qui à ce moment-là était le directeur du cabinet civil à la présidence, la nomination de M. Paul Biya avait été largement influencée par une lettre de recommendation que le Dr. Louis-Paul Aujoulat (ancien député du Cameroun au Parlement français dans les années 1950, ancient ministre de la IVe République française) avait envoyée à son sujet au président Ahidjo. Louis-Paul Aujoulat avait été dans les années 1950 l’un des principaux parrains français d’Ahmadou Ahidjo. (T. Kuoh, 1991, pp. 116-117). En janvier 1964, M. Paul Biya devient directeur de cabinet du ministre de l’Education Nationale, de la Jeunesse et de la Culture, M. William Eteki Mboumoua. En juillet 1965, il est nommé sécrétaire général du même ministère, et en décembre 1967, il est nommé directeur du cabinet civil du président de la République. En janvier 1968, il est sécrétaire général de la présidence, cumulant cette function avec celle de directeur du cabinet civil. En Août 1968, il devient ministre-sécrétaire général de la présidence.
En juin 1970, il est promu au rang de ministre
d’Etat sécrétaire général de la présidence de la République. En juin
1975, il est nommé Premier ministre.
On Remarque que d’un bout à l’autre de la carrière administrative de M.
Paul Biya, le décret du président Ahidjo joue un rôle décisif. Même son
accession à la magistrature suprême le 6 novembre 1982, obéit à la
logique discrétionnaire. Les dispositions relatives à la succession
présidentielle au moment où M. Paul Biya accède au pouvoir étaient en
contradiction flagrante avec l’article 2 de la Constitution du 2 juin
1972 qui stipulait que “Les autorités chargées de diriger l’Etat
tiennent leurs pouvoirs du peuple par voie d’élection au suffrage
universel direct ou indirect”. Mais la politique du parrain pour
laquelle avait opté Ahmadou Ahidjo était sans scruples. C’est la raison
pour laquelle le discours de démission du président Ahidjo du 4 novembre
1982, dans lequel il est précisé qu’ “il [M. Paul Biya] mérite la
confiance de tous à l’intérieur et à l’extérieur”, apparait comme un
acte de momination.
Lors d’une interview accordée au quotidien
Cameroon Tribune, près de trois mois après sa démission, le président
Ahmadou Ahidjo déclare:
“M. Biya a été mon plus proche collaborateur pendant plus de quinze ans.
C’est parce que je l’ai apprécié que je l’ai nommé Premier ministre et
l’ai confirmé à ce poste après la révision constitutionnelle qui faisait
du Premier ministre le successeur du chef de l’Etat en cas de vacance…
si pour une raison ou une autre je ne voulais pas que M. Biya accède à
la magistrature suprême, j’avais la possibilité au moment de ma
démission de mettre fin à ses fonctions de Premier ministre et de le
remplacer. Si je ne l’ai pas fait, c’est qu’il jouit de ma confiance…”.
En fait, la logique du système bureaucratique vise à la consécration des
“gens sûrs” qui ne sont rien sans le système, qui n’ont “rien
d’extraordinaire, rien en dehors de l’appareil, rien qui les autorise à
prendre des libertés à l’égard de l’appareil, à faire les malins” (P.
Bourdieu, 1987, p. 199). Dans son discours d’investiture M. Paul Biya
déclare: “Aussi, dans le cadre de ce serment, j’entends situer l’action
des années à venir sous le double signe de l’engagement et de la
fidélité. L’engagement, d’ordre constitutionnel, est la réaffirmation du
serment que je viens de prêter. J’entends alors, avec l’aide de toutes
les camerounaises et de tous les camerounais, et en ma qualité de
Président de la République, Chef de l’Etat et Chef du Gouvernement,
m’acquitter de ce devoir sacré que m’impose la Constitution: à savoir,
veiller à son respect, comme à l’indépendance, à la souveraineté, à la
sécurité et à l’unité de l’Etat, assurer la conduite des affaires de la
République. Mon illustre prédécesseur n’a jamais failli à ce devoir. Je
n’y faillirai point.
Quant à la fidélité, d’ordre politique, elle est celle à un homme, S.E.
Ahmadou Ahidjo, celle à un peuple, le peuple camerounais, celle à des
options”.
Dans un souci de continuité, M. Paul Biya nomme comme Premier ministre un homme originaire du Nord-Cameroun (actuelles Régions de l’Adamaoua, du Nord et de l’Extrême-Nord) comme son prédécesseur, en l’occurrence, M. Bouba Bello Maigari, et reconduit dans leurs fonctions ministérielles tous les hommes que M. Ahidjo a laissés au gouvernement
Une reprise d’activité trop intense d’Ahmadou Ahidjo
A partir de décembre 1982, rayonnant apparemment de santé, Ahmadou Ahidjo, demeuré président du parti, va s’illustrer par une activité politique d’une intensité sans précédent, et en tout cas surprenante, de la part d’un homme qui, fatigué de 35 ans de vie politique, affirme son aspiration à un repos assurément bien mérité.
Une étrange lecture de la constitution
Comme il l’aurait fait quand il était président de la République, Ahmadou Ahidjo forme au mois de décembre 1982 une délégation composée de membres du gouvernement, pour une visite au président du Nigeria de l’époque, M. Shehu Shagari. Les personnalités qui accompagnent l’ancien chef de l’Etat sont toutes d’origine nordiste, comme lui.
M. Ahmadou Ahidjo impose aussi un rythme de deux réunions mensuelles en moyenne des instances supérieures du parti unique, l’Union National Camerounaise (UNC), qu’il préside personnellement, bien qu’ayant accordé délégation de pouvoirs à cet effet à son successeur, lui-même vice-président du Comité Central de l’UNC. M. Ahmadou Ahidjo, lors de la réunion du bureau politique du 11 décembre 1982 déclara : “M. le président de la République, vice-président du comité central, chargé de diriger ou de veiller à la bonne tenue de ces assises [5e conseil national de l’UNC] a pu le faire d’heureuse manière et m’en a rendu compte”.
Des ministres, membres des mêmes instances supérieures du parti, prennent aussi l’habitude de voir le président de la République passer au second rang au cours de ces réunions, M. Ahidjo tenant à diriger toutes les opérations à ce niveau.
Dès lors s’intaure un profond malaise, aussi bien
au sein de la classe politique, qu’au sein des populations. On Commence à
parler de dualisme, de bicéphalisme etc…, et l’on souhaite que l’ancien
chef de l’Etat manifeste réellement sa volonté d’une retraite effective
et définitive, afin que s’instaure un climat politique plus sain,
permettant au nouveau président de la République de mieux se déployer.
M. Ahmadou Ahidjo entreprend le 23 janvier 1983 une tournée dans les
provinces pour appeler les populations à apporter leur soutien à son
successeur. Au cours de cette tournée, un fait paraît cependant
insolite: l’ancien chef de l’Etat se garde de se rendre dans la province
du Nord dont il est originaire pour répéter la même exhortation.
Pourquoi ? Seul M. Ahmadou Ahidjo aurait pu répondre à cette question.
Janvier 1983 marque également le début des incidents d’ordre
protocolaire. Dans l’ordre de préseance, lorsque les deux hommes
assistent à une manifestation publique, Ahmadou Ahidjo s’arrange pour
que le chef de l’Etat, qui est supposé être le souverain maître de la
scène politique, soit relégué au second rang. L’ancien président ne fait
rien pour que cette disposition soit corrigée. Il faut attendre, pour
cela, que le président de la République manifeste à cet égard quelque
contrariété.
Une étrange lecture de la constitution
Toujours au mois de janvier 1983, apparaissent aussi les premières contradictions sur les rôles respectifs de l’Etat et du parti dans la conduite de la vie politique nationale.
La Constitution dispose que “les partis et formations politiques concourent à l’expression du suffrage universel,” que “le président de la République définit la politique de la nation”.
M. Ahmadou Ahidjo déclare le 31 janvier 1983 dans une interview à “Cameroon Tribune” “Le parti définit les orientations politiques de l‘Etat. Le gouvernement applique celles-ci”. Le président de la République, M. Paul Biya, dans une interview au club de la presse de Radio France Internationale publiée par le quotidien Cameroon Tribune, déclare au sujet des rapports entre le parti unique et l’Etat: …”le problème ne s’était pas posé puisque mon prédécesseur cumulait les fonctions… Aujourd’hui je dois dire en ce qui concerne la Constitution qui… est la règle la plus élevée, il est dit que c’est le président de la République qui définit la politique de la nation … la même Constitution dispose que les partis politiques concourent à l’expression du suffrage universel…”
Au cours d’une réunion du Comité central de l’UNC, d’importantes décisions relatives aux élections législatives doivent être prises. On y discute notamment des procédures d’investiture des candidats au sein du parti; les militants de base ayant exprimé le vœu qu’elles soient plus démocratiques. Le président Paul Biya suggère alors une pluralité des candidatures. Mais M. Ahmadou Ahidjo amène les autres membres du Comité central à s’y opposer. Au cours de cette réunion, Ahmadou Ahidjo renforce le carré de ses hommes au sein du Comité central et du Bureau politique, pour s’y assurer une majorité plus confortable encore. Il supervisera, ensuite en avril et mai 1983, l’investiture des candidats du parti aux élections législatives, sans y associer le président de la République.
Tensions sur la liste du gouvernement
Le président Paul Biya, souhaitant opérer un réaménagement technique du gouvernement, se déplace pour aller consulter à ce sujet son prédécesseur à Ngaoundéré, dans le Nord-Cameroun. Non seulement M. Ahmadou Ahidjo ne va pas acceuillir le président de la République, mais il choisit ce moment-là pour aller visiter son ranch à plusieurs dizaines de kilomètres de la ville, obligeant le chef de l’Etat à l’attendre. Lorsque les deux hommes finissent par se rencontrer, M. Ahmadou Ahidjo ne se contente pas de prodiguer des conseils à son successeur. Il entend lui imposer sa propre liste.
En Avril 1983, M. Ahmadou Ahidjo entreprend la préparation d’un projet de révision constitutionnelle, dans le plus grand secret, en tenant le président de la République dans l’ignorance d’un tel projet qui tend à la consécration, par la Constitution, de “l’UNC” comme parti unique. En mai 1983, à l’ouverture de la campagne électorale en vue des élections législatives, c’est M. Ahmadou Ahidjo qui, challengeant le chef de l’Etat, prononce le discours d’ouverture de la campagne, en s’adressant aux “Camerounaises, camerounais”… comme est seul habilité à le faire le président de la République, dans un message à la nation. C’est également le parti, au lieu que se soit le gouvernement, qui annonce au peuple la date des élections. M. Ahmadou Ahidjo insistera aussi pour qu’un communiqué soit rendu public, afin de faire apparaître que c’est lui qui a amené le chef de l’Etat à décider une augmentation du nombre des députés, de 120 à 150, pour tenir compte de la situation démographique nouvelle du pays. Alors que chacun sait que c’est l’Etat, et non le parti, qui détient les instruments de mesure de la croissance démographique. Cette nouvelle interférence du chef du parti dans les prérogatives du chef de l’Etat, accentue le phénomène de concurrence entre les deux hommes, et accroît le malaise politique.
En juin 1983, M. Ahmadou Ahidjo convoque une réunion du bureau politique pour le 19 juin, afin de soumettre à son approbation, avant son passage devant l’Assemblée nationale, le projet d’une révision constitutionnelle qu’il a préparé en secret, sans y associer le chef de l’Etat. Il ne prend rendez-vous pour en discuter avec celui-ci que le 18 juin, c’est à dire la veille seulement du jour où ce projet doit venir en discussion devant le Bureau politique. Ce sera la goûte d’eau qui fit déborder le vase. Réagissant à cette situation, le président Biya opère le remaniement ministériel du 18 juin 1983, écartant du gouvernement certains fidèles de M. Ahmadou Ahidjo. Parmi ceux qui sont ainsi congédiés, figurent des hommes originaires comme M. Ahmadou Ahidjo de la province du Nord, mais aussi du Sud, de l’Ouest, du Littoral, etc…
Fureurs et réunions séditieuses
A la suite de ce remaniement, M. Ahidjo convoque à sa résidence du lac plusieurs membres du gouvernement, tous d’origine du Nord (actuelles Régions de l’Adamaoua, du Nord et de l’Extrême Nord). Il leur demande de démissioner collectivement du gouvernement. Deux lettres de démission seront établies et signées. La première, individuelle, du Premier ministre, M. Bello Bouba Maigari. La seconde, collective, des autres participants à cette réunion. M. Ahmadou Ahidjo s’évertuera par la suite à nier qu’il incita ces ministres à démissionner. Mais il ne pourra fournir aucune réponse satisfaisante à la question de savoir pourquoi cette réunion, et pourquoi n’y avoir invité que les ministres originaires du Nord, comme lui ? Il est aussi important de souligner qu’à la suite du remaniement du 18 juin 1983, le nombre des ministres d’origine nordiste est demeuré le même.
Dans la nuit du 18 juin 1983, à 23 h 30, M. Ahmadou Ahidjo fait aussi tenir par le ministre des Forces armées, le Dr. Maikano Abdoulaye, au domicile du Délégué Général à la Gendarmerie Nationale, M. Waziri Ibrahim, une réunion d’officiers supérieurs de l’armée et de la gendarmerie, tous également d’origine nordiste, et responsable d’un commandement dans la sécurité de la capitale, siège des institutions de la République. Quels pouvaient bien être les motifs de ces deux réunions à base régionale, tenues à la suite du remaniement ministériel opéré par le chef de l’Etat, dans des conditions de clandestinités, alors que les dissensions entre M. Ahmadou Ahidjo et son successeur étaient déjà de notoriété publique ?
Le 19 juin 1983, le chef de l’Etat ne prend pas part à la réunion du Bureau politique national du parti présidé par M. Ahmadou Ahidjo qui, dans ces conditions, ne peut soumettre à discussion son projet de révision constitutionnelle.
En juillet 1983, à la faveur de la fin du Ramadan, M. Ahmadou Ahidjo qui se trouve à Garoua, orchestre une manifestation qui surprend: sous le prétexte d’une présentation de vœux de fin de Ramadan au président national du parti, on ameute les militants des sections de l’UNC du Nord. Celles-ci sont amenés à se livrer à une étrange manifestation de dévotion à l’ancien chef de l’Etat, qui se montre à cette occasion particulièrement prodigue, distribuant de fortes sommes d’argent aux différentes délégations. L’usage, depuis plusieurs années, a pourtant voulu que les vœux, à la fin du Ramadan, soient présentés au président national de l’UNC par une délégation du Comité central, au nom de toutes les sections nationales du parti.
Après le départ du Cameroun de M. François
Mitterand à la fin de sa visite officielle, une délégation d’hommes
politiques fera la navette entre le président Biya et Ahmadou Ahidjo,
pour essayer de rapprocher leur vues. Sur quoi ? Ces personnalités
affirment qu’il s’agissait de persuader M. Ahmadou Ahidjo de renoncer à
son projet de révision constitutionnelle. Celui-ci tendait, déclarent
ces personnalités, à institutionaliser le parti unique, et à affirmer la
primauté du parti sur l’exécutif. La seule concession que M. Ahmadou
Ahidjo se serait montré disposé à accepter, devait consister, selon ces
personnalités, à créer une situation telle que la création ou la
dissolution d’un parti politique échappe désormais au domaine
réglementaire, pour faire l’objet d’une loi votée par l’ Assemblée
nationale. Interrogé sur tant d’acharnement, M. Ahmadou Ahidjo, toujours
selon ces personnalités, devait déclarer avoir appris que le président
Biya avait l’intention de créer son propre parti.
On ne s’est pas assez posé la question de savoir quel pouvait être
encore l’objet des interférences dans les affaires de l’Etat, d’un homme
ayant, depuis huit mois, “librement” décidé de démissionner de la
présidence de la République.
M. Ahmadou Ahidjo, quitte le Cameroun le 19 juillet 1983, pour se rendre à une nouvelle consultation médicale en France, et pour s’y reposer. On remarque que l’ancien chef de l’Etat déménage presque entièrement ses propriétés de Maya-Oulo et de Garoua, emportant près de cinq tonnes de bagages. Il emmène en outre tous les membres de sa famille, même ceux qui sont liés par quelque obligation à demeurer sur le territoire national. Le dernier des membres de la famille de l’ex-président de la République à le rejoindre en France, sera son fils aîné, Mohamadou Ahidjo, qui quitte le Cameroun le 5 Août 1983.
N.B. Le Nord ou la région du Nord dans cet article correspond aujourd’hui aux Régions de l’Adamaoua, du Nord et de l’Extrême Nord réunies.
Références:
1) Africa Contemporary Records 1982-1983
2) Cameroon Tribune, Novembre 1982, Février 1984
3) Le président de la République au Cameroun (1982-1996), No. 50-1996