27 Août 1970-27 Août 2011: Mgr Ndongmo et le coup d'état des anges
27 Août 1970-27 Août 2011: Mgr Ndongmo et le coup d'état des anges
RESTITUTION HISTORIQUE
Le
27 Août 1970, quarante cinq minutes après son arrivée au Cameroun, Mgr
Ndongmo s’apprêtait à diriger la prière du soir dans l’enceinte de la
procure des missions à Douala. Il retrouvait peu à peu cette chaleur
africaine et surtout la sérénité d’être auprès des siens. Les deux
semaines passées dans la capit...ale pontificale avaient renforcé ses convictions.
Durant
le trajet, de l’aéroport de Douala à la procure dans le quartier
résidentiel d’Akwa, il avait tenté de minimiser l’incidence sur son
programme annuel des jours passés à Rome. Son bref séjour lui avait
permis de donner au Pape et surtout au cardinal de la curie des
éclaircissements sur les rumeurs qui circulaient à son propos. Au
cardinal Villot, comme un mois auparavant lors d’une conversation avec
l’archêveque de Yaoundé, Mgr Zoa, il avait tenu à préciser qu’il était
victime d’une machination.
Il accusait nommément Jean Fochive, le
Directeur des services secrets camerounais. Face aux inquiétudes du
Cardinal Pignedoli, qui avait des doutes sur la bonne qualité des
rapports entretenus avec les hommes politiques camerounais, il n’eût pas
de mal à situer ses relations, avec ces derniers, dans la mouvance des
rapports brouillés entre les catholiques et les nouveaux dirigeants
camerounais depuis 1962. Pour illustrer, il cita la prise de positions
de l’Eglise contre les dérives du parti unique, les expulsions des
missionnaires qui s’étaient montrés regardant sur les droits de l’homme,
le problème des écoles confessionnelles et des multiples autres
tracasseries des chrétiens…
“Nous vous amenons à Yaoundé”
Le
calme, qui précédait le début de la prière, fut brutalement rompu par
l’intrusion dans l’enceinte de la procure de deux voitures. Les
policiers qui surgirent des voitures semblaient connaître les lieux. Ils
se dirigèrent vers l’office. Au prêtre de permanence, ils exigèrent
d’être conduits dans les locaux occupés par l’évêque de Nkongsamba. Les
remous inhabituels avaient attiré l’attention des quelques résidents.
Dans le couloir qui menait aux chambres, la silhouette longiligne de Mgr
Ndongmo était apparue. Il n’eût pas le temps de leur indiquer qu’il
allait les suivre sans problème. Deux des hommes l’empoignèrent sans
ménagement. Entre deux policiers, il refit le chemin inverse vers
l’aéroport de Douala. “Nous vous amenons à Yaounde”, lui lanca le plus
jeune des hommes qui l’encadraient dans l’arrière de l’automobile.
M.
Félix Sabal Lecco, ministre de la justice, assumant l’interim du
ministre d’Etat chargé des Forces armées et parlant en cette qualité,
fit une déclaration à la presse nationale et internationale représentée à
Yaoundé et réunie à cette occasion dans la salle du cinéma du ministère
de l’Information. C’était en presence de M. Vroumsia Tchinaye, ministre
de l’Information, M. Guillaume Nseke, Inspecteur fédéral de
l’administration pour le Centre-Sud et plusieurs hauts fonctionnaires de
la république. Voici la déclaration de M. Sabal Lecco:
“
Messieurs les journalistes, en tant que ministre des Forces armées par
interim et ministre de la justice, j’ai jugé utile au nom du
gouvernement, de convoquer les correspondants de presse que vous êtes,
pour vous entretenir de l’arrestation récente de Mgr Ndongmo.
Il
n’est certes pas dans les habitudes du gouvernement camerounais
d’entretenir la presse de telles affaires alors que l’enquête suit
encore son cours.
Toutefois, étant donné le caractère
exceptionnel de l’évènement, le gouvernement a jugé opportun d’utiliser
également une procédure exceptionnelle pour, à travers vous, informer
largement l’opinion.
En Mai 1969, nos services de sécurités ont
découvert un complot visant à assassiner le chef de l’Etat pour ensuite
renverser nos institutions. L’interrogatoire des conjurés a gravement
mis en cause Mgr Ndongmo et a particulièrement mis en relief son action
dans la conception, la direction et la mise en oeuvre du complot.
En
dépit de cette dénonciation, le président de la République fédérale a
donné des instructions pour que Mgr Ndongmo ne soit pas inquiété en
attendant de plus amples informations.
Il y a quelques jours
survenait la capture du chef rebelle Ernest Ouandié dans le Mungo. Des
déclarations de l’interessé en cours d’interrogatoire ainsi que les
documents trouvés sur lui, ayant établi de manière claire la complicité
active depuis de longues années de Mgr Ndongmo avec la rébellion, le
gouvernement a décidé d’arrêter celui-ci et de le traduire devant les
tribunaux où il devra répondre de ses actes.”
Le procès du coup d’Etat des Anges
Près
de quatre mois après cette arrestation brutale et peu courtoise, Mgr
Ndongmo était devant la barre du tribunal militaire de Yaoundé. Avant le
début de l’audience, il priait doucement. Ses mains posées sur ses
genoux, il rendait grâce à Dieu. Durant de longs mois, il s’était
demandé s’il aura un jour l’occasion de témoigner devant la barre. Les
traces physiques des tortures avaient cicatrisé. Il retrouvait peu à peu
l’usage de ses membres supérieurs. Car, bien qu’enfermé dans un cachot
humide et sombre de la police militaire, ses geôliers prenaient soin de
lui laisser des menottes aux poignets. Ils participaient à leurs
manières à la diabolisation de l’homme. La radio d’Etat faisait lire en
boucle les nombreuses motions de soutien au régime Ahidjo et surtout des
appels à une sanction exemplaire pour “les apprentis sorciers.”
Mgr
Ndongmo et les 76 autres personnes arrêtées au même moment n’avaient
toujours pas des précisions sur les faits qui leurs étaient reprochés.
Le premier jour du procès, l’Unité, le journal du parti unique au
pouvoir, l’Union Nationale Camerounaise (UNC), fit sa une sur “l’Affaire
Monseigneur Ndongmo”. Les camerounais découvrirent ainsi les charges
retenues contre l’évêque de Nkongsamba. Le journal notait:
On
reproche à Mgr Ndongmo, ainsi qu’à Tabeu Gabriel dit Wambo-le-courant,
Takala Célestin et Fandjept Zacharie, d’avoir à Yaoundé, arrondissement
de Djoungolo, départment de la Mefou, courant 1967-1968, en tout cas
depuis un temps que les faits ne sont pas encore prescripts:
-
“organisé et commandé une bande armée dans le dessein de tenter par la
violence, soit de modifier les lois constitutionnelles, soit de
renverser les autorités politiques…”
- “Tenté d’assassiner le président de la République Fédérale du Cameroun ainsi que ses proches collaborateurs…”
Aumônier du groupe de prière “La Sainte Croix”
Le
président du tribunal fut plus précis. Il voulait faire admettre au
prélat son rôle comme aumônier du groupe de prière dénommé “La Sainte
Croix”. Celui-ci, selon le magistrat, avait pour ambition de fomenter un
coup d’Etat avec l’aide des Anges.
Devant l’étonnement de Mgr
Ndongmo, qui osa, “Monsieur le président, comment pouvais-je ? Je suis
un homme d’Eglise et pas un soldat”. Sans se démonter, répétant les
phrases qu’il semblait avoir mémorisées, le magistrat, tout en
feuilletant furtivement le dossier posé devant lui, gronda: “Monseigneur
Ndongmo ? Etiez-vous ? Oui ou non, l’aumônier du groupe de prière “La
Sainte Croix” ?
Oui ! Monsieur le président, je suis aussi
l’évêque de Nkongsamba, le Directeur de publication du journal l’Essor
Des Jeunes, le co-fondateur de la société Mungo Plastique. Il avait
arrêté son énumération sur un geste de la main du président. Ce dernier
reprit la parole. Penché sur la pile de feuilles, il lu: “Du 20 Novembre
1966 au 13 Juillet 1967, en compagnie du dénommé Tabeu Gabriel dit
Wambo-le courant et de Takala Célestin, vous avez organisé tous les
Mardi des séances de prières autour d’un fusil de chasse qui vous
appartenait”, termina-t-il en levant la tête. Sans laisser le temps aux
prévenus de réagir, il reprit : “En Août 1967, Wambo-le-courant vous
affirme qu’il a une vision, et que l’archange Michel lui a fait savoir
que Dieu n’était pas content du gouvernement du Cameroun, et que
celui-ci devait être remplacé. Le remplacement allait être effectué à
l’issue d’une lutte mystique au cours de laquelle des Anges eux-même
devaient opérer. Ainsi, pour symboliser cette lutte mystique, il fallait
déposer des armes à l’endroit ou vous prierez, et les y laisser pendant
toute la durée de la prière”.
Que pouvait dire le prélat ?
Evêque dans un pays de près de 40% de chrétiens, il ne pouvait pas
s’étonner de n’être pas le seul à croire aux miracles. Il avait beau
clamer son innocence, ses rapports avec le président Ahidjo pour ramener
la paix dans le pays, rien n’y fit. L’on était dans le domaine de la
croyance. Que valait la croyance d’un prélat qui avait eu le culot de
défier le pouvoir dans des chroniques de son journal, dans l’opposition
aux mesures contre l’école catholique. Croyance contre croyance l’évêque
ne pesait pas lourd. Condamné à mort, sa peine fut commuée en détention
à perpétuité.
Au lendemain du verdict du tribunal militaire de
Yaoundé, le quotidien gouvernemental “La Presse du Cameroun” faisait le
commentaire suivant:
[Les procès de Yaoundé sont entrés depuis
mercredi dans l’histoire. Le tribunal militaire permanent a rendu ce
jour-là son verdict sur l’affaire du complot. Trois condamnations à mort
ont été prononcées. Elles frappent Mgr Albert Ndongmo, ancient évêque
de Nkongsamba, Tabeu Gabriel dit “Wambo-le-courant” et Takala Célestin,
condamnés pour s’être rendus coupables d’avoir à Douala et à Yaoundé,
organisé et commandé une bande armée dans le dessein de renverser le
régime et d’assassiner le chef de l’Etat et ses proches collaborateurs.
La
veille, c’est à dire mardi, le tribunal militaire avait prononcé une
autre sentence, relative au procès de la rébellion dont la tête
d’affiche était le chef rebelle upéciste Ouandié Ernest. Trois peines de
mort ont été également prononcées, tandis que la seconde vedette du
procès , Mgr Ndongmo était condamné à la détention à vie.
Pour
ces deux procès vingt-cinq acquittements – dix pour la rébellion et
quinze pour le complot – ont été prononcés. Ce qui démontre le sérieux
avec lequel ces jugements ont été menés.]
Les six condamnés à
mort des procès de la rébellion et du complot tels que présentés par le
quotidien gouvernemental, La Presse du Cameroun, au début du mois de
janvier 1971:
Procès de la rébellion
- M. Ouandié
Ernest, chef rebelle, fondateur de l’armée de libération nationale du
Kamerun (ALNK), chef des maquisards et leader de l’Union des Populations
du Cameroun (UPC); peine de mort.
- M. Njassep Mathieu, dit “Ben Bella”, maquisard et sécrétaire particulier de Ouandié; peine de mort.
- M. Fotsing Raphaël, maquisard et agent de liaison entre Ouandié et Mgr Ndongmo; peine de mort.
Procès du complot
-
Mgr Ndongmo Albert, ancien évêque de Nkongsamba, instigateur du
complot de coup d’Etat. Outre la peine de mort, condamné à la détention à
vie pour complicité avec la rébellion de Ouandié.
- M. Tabeu
Gabriel dit “Wambo-le-Courant”, terroriste, fondateur et responsable
politico-militaire avec Mgr Ndongmo du mouvement de la “Sainte Croix
pour la libération du Cameroun”; peine de mort
- M. Takala Célestin, commerçant à Douala, membre de la “Sainte Croix” dont il était le financier; peine de mort.
Communiqué de la présidence de la République
[Depuis
l’annonce des verdicts du tribunal militaire permanent de Yaoundé,
certains milieux extérieures qui ne se sont jamais souciés des problèmes
du Cameroun s’intéressent subitement au sort des condamnés.
Et la
présidence de la République fédérale du Cameroun dans un communiqué
publié hier matin s’étonne particulièrement de l’assimilation
tendancieuse et pour le moins malveillantes que ces milieux extérieurs
tentent de faire avec d’autres procès qui ont récemment eu lieu dans le
monde. “Les procès sur la rébellion et le complot contre la sûreté de
l’Etat, poursuit le communiqué, se sont déroulés en présence
d’observateurs internationaux qui ont pu se rendre compte qu’ils se sont
déroulés dans de parfaites conditions de sérieux, de liberté et de
régularité”.
Rappelons que ces observateurs au nombre de trois
sont: M. Guisseppe Caessano, vice-président de l’association italienne
des juristes catholiques représentant Pax Romano, Me Martin Acharé,
ancien bâtonnier genevois, représentant la commission internationale des
juristes et Me Louis Pettiti, avocat à la cour d’appel de Paris,
représentant le mouvement international des juristes catholiques et le
centre de la paix mondiale pour le droit.]
Le président de la
République Fédérale du Cameroun, M. Ahmadou Ahidjo, utilisa ses
prérogatives pour commuer les peines de mort prononcées contre Mgr
Albert Ndongmo, M. Takala Célestin et M. Njassep Mathieu en détention à
vie. Ceux des condamnés à mort qui n’avaient pas obtenu la grâce
présidentielle, notamment, MM. Ouandie Ernest, Tabeu Gabriel et Fotsing
Raphaël avaient été fusillés sur la place publique à Bafoussam le 15
Janvier 1971.
Le gouvernement de la République Fédérale du Cameroun au moment des faits sus-évoqués était composé comme suit:
Gouvernement Fédéral (avant le remaniement du 25 Janvier 1971)
Président M. Ahmadou Ahidjo
Vice-Président M. Muna Tandeng Solomon
Ministres D’Etat:
Administration Territoriale M. Enoch Kwayep
Sécrétaire Général à la Présidence de la République M. Biya Paul
Forces Armées M. Sadou Daoudou
Autres Ministres:
Justice, Garde des Sceaux M. Sabal Lecco Félix
Affaires Etrangères M. Nteppe Raymond
Plan et Aménagement du Territoire M. Onana Awana Charles
Finances M. Bidias à Ngon Bernard
Développement Industriel et Commercial M. Mpouma Léonard
Santé Publique et Population M. Fonlon Bernard
Education, Culture et Formation Professionnelle M. Mongo So’o Zachée
Transport M. Efon Vincent
Travail et Sécurité Sociale M. Nzoh Ekhah Nghaky
Ministres chargés de Missions à la Présidence M. Ayissi Mvodo Victor, M. Akassou Jean
Postes et Télécommunications M. Egbe Tabi Emmanuel
Information M. Vroumsia Tchinaye
Fonction Publique M. Maikano Abdoulaye
Jeunesse et Sports M. Njiensi Michel
Ministre Délégué à l’Inspection Générale de l’Etat M. Ngoubeyou Francois-Xavier
Vice-Ministre de la Santé Publique et de la Population Mme Tsanga Delphine
Le
changement majeur du réaménagement du gouvernement fédéral de Janvier
1971 avait consisté à la nomination de M. Nteppe Raymond au poste de
Ministre chargé de Missions à la Presidence, et son remplacement au
Ministère des Affaires Etrangères par M. Keutcha Jean.
Références:
1) La Presse du Cameroun, Août 1970
2) La Presse du Cameroun, Janvier 1971
3) Africa Contemporary Records 1970-1971
Ntche, Tissah Georges
Enseignant et Chargé de Recherches
Washington, DC / USA