25 ans après: les 7 plaies du RDPC
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DOUALA - 24 MARS 2010 |
En guise de cadeau…
Le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) a 25 ans ce jour. Créé à l’issue d’un congrès ordinaire de l’Union nationale camerounaise (Unc), l’ex-parti unique, qui s’est tenu du 22 au 24 mars 1985 au Palais des congrès de Bamenda, le parti que dirige depuis cette date historique Paul Biya, vient donc d’atteindre le quart de siècle de son existence. Pour les militants du parti au pouvoir au Cameroun, la célébration se fera sur le thème « le RDPC hier, aujourd’hui et demain ». Une thématique qui traduit le fait que le « Parti des flammes » se dit que hier, il était au pouvoir, aujourd’hui il l’est encore, et demain il entend y rester. Paul Biya qui en novembre prochain totalisera 28 ans de pouvoir s’est appuyé sur le RDPC pour assoir son règne. C’est le RDPC qui depuis 1985 l’a désigné, présenté, et soutenu à toutes les élections présidentielles comme son candidat. A chaque fois, Paul Biya en est sorti officiellement vainqueur. C’est aussi le RDPC qui lui a permis jusque-là de gouverner à travers les différentes majorités obtenues à l’Assemblée nationale. Dans l’exercice de son pouvoir, l’homme du 6 novembre 1982 a toujours eu le soutien de son parti, le RDPC. Un soutien efficace pour les uns, un peu trop tonitruant pour les autres. Lorsqu’on voit comment les militants du RDPC se déploient à travers la République, principalement lors des grands évènements qui interpellent la nation camerounaise, avec toutes les démonstrations de force dignes d’un parti au pouvoir dans un pays d’Afrique noire subsaharienne, il y a généralement un sentiment d’impressionnisme. Au point où beaucoup d’observateurs avertis de la chose politique au Cameroun ou dans les pays voisins se demandent « comment est-ce que le RDPC fait donc pour rester aussi populaire dans un pays où les citoyens sont chaque jour meurtris et pratiquement assassinés par la pauvreté et la misère, et où leur progrès se cherche en vain ? » En fait, le « Parti des flammes » a ses plaies. Elles sont béantes au point où nous avons voulu nous en intéresser.
Ce que les tenants du pouvoir au Cameroun ont très souvent reproché à l’opposition camerounaise, c’est pour la plupart du temps, de ne pas formuler des critiques constructives face au parti au pouvoir. Le Messager qui est un journal à l’écoute du peuple, et qui depuis 30 ans impose son indépendance, a décidé de s’arrêter sur « les plaies du RDPC ». Pour l’aider, pourquoi pas, à les panser. Tant pis si certains thuriféraires chroniques du régime, plus animés par l’esprit de militantisme opportuniste, et de la recherche du gain personnel, et qui aiment à faire croire aux patrons du RDPC que « Tout va bien dans le meilleur des mondes, madame la marquise » nous taxent de « trouble fête ». Le RDPC, comme parti au pouvoir, n’a pas seulement besoin d’être célébré pour sa longévité au pouvoir, mais aussi, comme le veut la règle en toute démocratie, d’être critiqué. Voici donc les plaies du RDPC. Sans être exhaustif, nous en avons recensé sept. En guise de cadeau d’anniversaire…
1- : Confusion entre l’Etat et le parti
Le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) du fait qu’il est un parti au pouvoir est-il un parti d’Etat ? Deux façons de voir. La première est celle de l’Homme de la rue qui vit au Cameroun. Lorsque celui-ci est confronté à la dure réalité de la vie dans ce pays, généralement, il ne trouve qu’un seul responsable à ses malheurs : le RDPC. Les choses vont mal dans tel ou tel ministère, où les différents responsables affichent leurs incompétences à résoudre les problèmes des citoyens ? Tous les regards sont tournés vers le RDPC. « C’est vous qui gérez, c’est vous qui nous faites souffrir », entend-on souvent ça et là. Le « Parti des flammes » a fini par être identifié à l’Etat du Cameroun. Même si en son sein, les militants et autres cadres se plaignent de ne pas toujours avoir les faveurs de l’Etat et de ses agents. En tout cas, comme l’a souligné René Emmanuel Sadi lors de l’une des étapes de sa présente tournée dans les sections du Mfoundi « Le RDPC est un parti au pouvoir. Pour cela, il est comptable de la gestion du pays ».
Malheureusement, très souvent, la plupart des militants du RDPC se comportent comme tel, à savoir que « l’Etat, c’est nous ». Il arrive aussi souvent qu’un président de section dans sa localité se mette de manière ostensible à menacer un agent public, ou tout autre serviteur de l’Etat qui ne lui donne pas l’allégeance qu’il souhaite, lorsqu’il veut obtenir un service particulier. Mais la confusion établie, consciemment ou inconsciemment entre l’Etat et le parti au pouvoir au Cameroun trouve son illustration dans l’appareil administratif. Et c’est la deuxième vue.
Une règle bien ancienne en République du Cameroun dit que l’administration publique est apolitique. Mon œil ! Comme dirait quelqu’un. On a encore le souvenir de ce préfet du Mayo-Rey qui, accompagnant le ministre d’Etat Marafa dans une tournée politique du RDPC dans ce département, s’est retrouvé à genoux, en tenue d’apparat, devant le lamido de Rey-Bouba, lui même grand militant du RDPC. L’attitude d’allégeance et des partis pris des gouverneurs des régions, des préfets et sous-préfets vis-à-vis du parti qui gouverne, hier comme aujourd’hui, est sans ambiguïté. Lorsqu’il y a un meeting du parti au pouvoir dans une localité, et qu’il est présidé par une importante personnalité du sérail, très souvent, le gouverneur, le préfet, et le sous préfet feront des mains et des pieds pour être présents. Par contre, lorsqu’un parti d’opposition vient à passer dans sa ville pour tenir une réunion politique, « le chef des terres », bien que régulièrement informé, jouera les abonnés-absents.
2- : Méconnaissance de ses propres textes
Sur cet aspect, on pourrait écrire tout un livre. Depuis qu’il est secrétaire général du comité central du RDPC, René Emmanuel Sadi n’a cessé de rappeler à ses camarades, partout où il est passé et a tenu des séances de travail, la nécessité de s’approprier les textes de base du parti pour lequel ils disent militer. Toutes les querelles de compétence qui ont souvent cours au sein du parti au pouvoir ont pour origine la méconnaissance des textes de base du parti. C’est ainsi que le comité central reçoit des plaintes régulières sur des conflits de compétence. En fait, au sein du RDPC, les élections à des postes de responsabilités se font par un scrutin liste. René Emmanuel Sadi le rappelle depuis qu’il est Sg : « La gestion au RDPC est collégiale ». Mais il se trouve que, une fois élus, la plupart du temps, les bureaux des sections se disloquent. Le président devient l’Homme tout puissant qui s’approprie la section et gouverne sans réunions de bureau. Les membres du bureau de la section sont alors perdus et les conflits naissent à répétition. Dans le Mfoundi par exemple, un président de section bien connu est habitué à dire « ma section », « mes militants », « vous êtes venus parler à mes militants ». Toutes choses qui font que, avec les membres du bureau de « sa section » justement, il est à couteaux tirés depuis leurs élections. Plus grave, le RDPC semble être devenu un parti d’animation, et non de réflexion comme l’indiquent ses textes. Il est rare de trouver à la base, un débat sur un sujet majeur de politique ou de société. Ce qui fait que, les militants intellectuels ne trouvent plus toujours leur place au des échanges dans les réunions au sein du parti. Ceci parce que assez régulièrement, les présidents des sections au nom de « la discipline du parti », se comporte comme des évêques dans des chapelles, qui lorsqu’ils ont fini de parler, s’attendent à un « Amen ». Une habitude devenue banale au sein des organes du RDPC, et qui ne sont pas conformes aux textes de ce parti.
3-: Militantisme de façade
L’expression est du président national du RDPC, Paul Biya. Ce 21 juillet 2006 lors du 3è congrès ordinaire de son parti, il voulait parler de ces militants qui aiment à se pavaner en tenue du parti, mais dont on ne perçoit pas leur engagement réel de militant. Le problème est que depuis un certain nombre d’années, beaucoup disent militer au sein du RDPC, mais ne peuvent pas vous dire quel est leur comité de base, encore moins présenter une carte d’adhésion. On a même vu des gens devenir conseiller municipal, maire, député sans avoir jamais milité dans la moindre cellule ou comité de base. Plus grave, il est même arrivé que des gens participent au financement des partis d’opposition la nuit, et le jour, viennent s’afficher en tenue du RDPC lors des meetings. Pourvu simplement que leurs intérêts soient sauvegardés, et qu’ils n’aient pas à subir les foudres du régime. Il s’agit là d’une plaie que le RDPC porte en lui. En ce sens qu’on a fini par établir la règle selon laquelle au Cameroun, si l’on veut éviter les foudres du pouvoir, et avoir une promotion dans la société, il vaut mieux qu’on se laisse voir en public avec l’écharpe du RDPC. Certains vont même jusqu’à mettre le grappin sur la fortune publique et venir les distribuer lors des meetings politiques du parti au pouvoir, en tenue du RDPC, en prenant soin d’immortaliser par des photographies ces moments ubuesques.
4- : Mépris de la base
En fait « l’élite » RDPCiste se sert de la base à des fins électoralistes. Il y a dans ce parti, notamment au niveau des sections ce que beaucoup appellent le collège électoral. Il s’agit des membres des bureaux des comités de base. Ceux-ci font généralement l’objet de toutes les attentions lors des opérations de renouvellement des organes de base et des élections primaires au sein du parti. Parce qu’ils se laissent acheter par les différents candidats au moment des élections, ils se laissent alors désirer. Le corollaire c’est que lorsqu’on achète quelqu’un, on ne le respecte plus. Après les élections, ces responsables de la base sont ignorés jusqu’à la prochaine élection. Pourtant, ce sont eux qui sont sur le terrain. Le plus dramatique est que, avec ces pratiques d’achat des voix des collèges électoraux au sein du parti au pouvoir, on vu des personnages à la moralité douteuse devenir soit maire, soit député. Pour après ne se servir de la base qu’ils ont utilisée que pour applaudir lors des manifestations. Pendant la tournée du secrétaire général du RDPC dans le Mfoundi, ces militants se sont plaints de manière récurrente de ne pas être respectés.
5- : Opportunisme
Il s’agit d’une autre plaie totalement béante au sein du RDPC. Beaucoup se sont mis en tête que pour avoir des postes au Cameroun, il faut jouer au militant du parti au pouvoir. C’est ainsi que fonctionnaires et autres cadres de l’administration, lors des manifestations du RDPC, se transforment en militants et quittent leurs postes de travail alors qu’ils n’ont aucune responsabilité au sein du RDPC, pour aller jouer les cadres et autres « personnalités ressources » dans leurs localités d’origine. Ils se montrent alors actifs lors des meetings, faisant tout pour attirer sur eux l’attention des envoyés spéciaux du comité central à qui, ils demandent de parler d’eux dans leurs rapports à la haute hiérarchie du parti. Ils sont alors en rude concurrence avec les présidents des sections qui eux aussi aiment bien jouer aux opportunistes. Notamment dans la quête des postes au gouvernement, et surtout la chasse aux marchés publics. Dans cette mouvance, vous avez des présidents de section et autres responsables locaux qui partout où ils passent, distribuent des cartes de visites qui indiquent leurs titres et qualités. Il arrive même que des militants écument des cabinets ministériels et autres cabinets de directeurs généraux des sociétés d’Etat avec des cartes de visite où il est écrit « ancien président de la section de… ». Tous savent en fait que l’opportunisme au nom du RDPC peut rapporter quelques prébendes et ouvrir des portes.
6- : dichotomie entre le discours officiel et les actes des militants
L’illustration de cette situation se trouve dans le discours du président Paul Biya lors de l’ouverture du 3è congrès ordinaire du RDPC le 21 juillet 2006. Le président national du RDPC avait alors beaucoup critiqué son parti. Notamment en évoquant entre autres que le RDPC doit cesser d’être ce parti où on danse plus qu’on ne réfléchit. Ou encore un parti où il existe les états majors ; un parti où certains militants s’enrichissent par les détournements des fonds publics, de même qu’il avait critiqué ces « personnalités ressource » qui vont créer la zizanie à la base. Pendant longtemps pourtant, ces prescriptions du président national du RDPC n’ont pas été respectées. Des militants du RDPC ont continué à détourner les fonds publics. La constitution des Etats majors s’est poursuivie.
7- : Rivalités internes
Il s’agit certainement de la plus grosse plaie. Certains disent que le plus grand ennemi du RDPC, c’est le RDPC. Les guerres fratricides y sont légion dans les différentes sections. On s’étripe, on se combat. Les clans se forment. La source de ces rivalités internes qui sont parfois meurtrières au sein du parti au pouvoir, se trouve dans les nominations qui au Cameroun dit-on, tiennent compte de l’équilibre tribal. Un Bamiléké remplace toujours un Bamiléké. Un Etoudi remplace toujours un Etoudi. De même qu’à Garoua, un Peuhl va remplacer un Peuhl. Ce qui fait que, quand un ressortissant d’Ombessa est au gouvernement, ses frères qui sont ministrables, comme on dit chez nous, lorgnent son poste et complotent contre lui en vue de sa chute. Lorsque Cavaye Yeguié Djibril est une fois de plus réélu président de l’Assemblée nationale, certains de ses frères du septentrion se gardent bien de jubiler, parce que cette autre distinction les empêche eux, de quérir un poste important. Ainsi, les frères d’une même unité administrative, militants du parti au pouvoir se surveillent et se regardent parfois en chiens de faïence. Sans surprise certains politologues affirment que c’est cette politique d’équilibre tribal qui maintient le Cameroun en paix. Soit ! Mais cela entraîne malheureusement un climat malsain qui déséquilibre parfois certaines familles. Au final, en 25 ans d’existence, certes on doit jubiler au sein RDPC. Mais la modernisation de ce parti, hier, aujourd’hui et demain devrait constituer encore pour ses dirigeants, un souci majeur. Ce qui ne semble pas le cas. Malgré les discours ifficiels.