14 JUILLET : EXPOSITION COLONIALE ET RISQUE DE RETROCESSION DES INDEPENDANCES AFRICAINES
14 JUILLET : EXPOSITION COLONIALE ET RISQUE DE RETROCESSION DES INDEPENDANCES AFRICAINES
vendredi 16 juillet 2010.
Les armées de 13 pays africains[1] viennent de prendre part, en tant qu’invités d’honneur, au défilé du 14 juillet sur les champs Elysées en France. Un acte hautement symbolique qui pourrait avoir des conséquences désastreuses sur la dignité et la souveraineté des Etats concernés.
Depuis quelques mois, je suis avec attention et intérêt la polémique autour de la participation des troupes africaines au défilé du 14 juillet sur les Champs Elysées à Paris. Jusque là, je n’avais pas pris part à ce débat, de peur d’édifier des procès d’intention là où il faut laisser l’acte se consumer jusqu’à la fin pour après l’analyser. Je ne suis même pas allé battre le pavé à Paris en signe de protestation comme l’ont fait plusieurs Africains à l’appelle de la plateforme panafricaine et d’autres associations. Je ne l’ai pas fait parce que, comme je l’expliquais à l’un des organisateurs qui me sollicitait, les marches, pour ce qui est des questions africaines, ne sont plus un moyen efficace de protestation. Du fait peut-être de leur utilisation abusive, elles ont tout simplement perdu en originalité. Il faut promouvoir d’autres formes peut-être plus intellectuelles de protestation.
Maintenant que j’ai regardé de bout en bout ce défilé spécial du 14 juillet 2010, agrémenté effectivement par le passage et la mise en l’honneur des troupes de 13 Etats, anciennes colonies françaises, je peux me prononcer. Comme en 1931 à la porte dorée au bois de Vincennes à Paris, il s’est agit en ce 14 juillet 2010 sur les Champs Elysées, pour les Etats africains ayant accepté de jouer le jeu, toute proportion gardée bien sûr, d’une exposition coloniale doublée d’une opération historique d’allégeance et de rétrocession de leurs indépendances à la métropole française. Le dire ainsi ne participe aucunement, comme on peut le penser, d’une simple volonté de faire prospérer la formule, mais relève d’une observation minutieuse de la marche commune de la France et de ses colonies depuis au moins un siècle. Cela pousse à douter de la qualité même de ces indépendances acquises. Comme on sait, les mots servent à désigner des réalités. Les mots ne transforment pas la réalité. Et les mots différents peuvent servir à désigner une réalité qui elle est restée immuable. Par exemple, les mots esclavage, colonisation, coopération, partenariat peuvent tout à fait désigner une et même réalité qui est la soumission d’une personne ou d’une nation à une autre. Dans la présente analyse, nous verrons comment la cérémonie du juillet sur les Champs Elysées, à l’observation, se rapproche plus de l’exposition coloniale que de ce que les organisateurs ont en voulu en faire, à savoir, une fête de la fraternité d’arme. Nous verrons ensuite comment une erreur de jugement a poussé les chefs d’Etat, ayant accepté de participer à la cérémonie des Champs Elysées, à faire courir à leurs pays le risque d’une hypothèque de leurs indépendances.
L’exposition coloniale
La nostalgie coloniale était bel et bien présente sur les champs Elysées ce 14 juillet 2010. Elle était portée en premier par les commentateurs qui ont rivalisé de formules pour décrire leur émotion et celle des Français présents, à la vue de ces soldats basanés parfois vêtus de tenus excentriques. Ainsi, lorsqu’elles entrent en scène, tous les commentateurs, de façon presque concertée décrivent les troupes africaines au travers de cette formule : "Voici l’une des plus grandes attractions de ce défilé : les troupes africaines". On retrouvera d’ailleurs la même formule à l’ouverture des journaux télévisés de 13 heures. Pour le commentateur de TF1, Jean Claude Narcy, "ce défilé s’annonce comme un grand cru (…) c’est un défilé rare, exceptionnel que nous a concocté le général Dari avec la participation des armées africaines (…) voici l’honneur qui est faite à l’Afrique, leurs chefs d’Etat sont dans la tribune d’honneur". Jean Claude Narcy est l’un des meilleurs commentateurs du défilé militaire en France. Sauf qu’aujourd’hui, il s’embrouille un peu dans ses notes. Il ne les connaît pas et est par conséquent incapable de coller des noms aux visages des chefs d’Etat africains qui arrivent à la place du défilé. Il leur distribue pèle mêle les noms qu’il lit dans ses fiches. Lorsqu’arrive le président congolais Denis Sassou Nguessou, ne pouvant pas attribuer un nom à ce personnage qu’il reconnaît, tout t de même, comme un chef d’Etat africain, Narcy dit : "Voilà un autre président africain qui arrive".
Lorsque commence le défilé et que passent les troupes africaines, Jean Claude Narcy embrouille totalement le téléspectateur qui connaît un tant soit peu les drapeaux des pays africains. Il attribue ainsi à certains pays, les armées des autres. Et il trouve une excuse : « La difficulté, c’est qu’ils sont les uns à coté des autres », se défend t-il. La vraie difficulté, c’est qu’il n’a jamais trouvé dans son parcours scolaire et même professionnel, la nécessité d’apprendre et mémoriser les couleurs des drapeaux africains. Au président Sénégalais qui se prête à l’interview, l’autre commentateur de TF1, Denis Brogniart lui pose cette question qui renferme déjà une partie de la réponse attendue et qui en fait n’aura servi qu’à lui permettre de montrer sa tronche coloniale. Il lui dit : "J’espère que c’est une grande fierté pour vous que l’Afrique se retrouve ici". La réponse du président Wade, qui pourtant a souvent le sens de la repartie, va au-delà de ses espérances : « Il s’agit de partager des moments passés avec la France. Nous sommes dans une continuité malgré les indépendances ». Pas moins !
Que Jean Claude Narcy ne connaisse pas les noms des chefs d’Etat africains, qu’il ne pige rien à la couleur des drapeaux des pays africains francophones, ce n’est pas le plus désolant. En tout cas, il ne peut pas rougir ou se voir blâmer pour une telle peccadille. L’important, c’est la couleur, c’est la saveur exotique que les chefs d’Etats africains présents apportent à la place des fêtes. Qu’ils soient dans leurs costumes taillés sur mesure comme le sont la majorité d’entre eux ou qu’ils soient comme le chef d’Etat Malien, Amadou Toumani Touré, drapé dans des boubous aux couleurs chatoyantes, chaque chef de l’Etat ainsi que les membres de sa délégation, apportent du sien à ce cocktail des nations et des peuples qu’a décidé de concocter le président Sarkozy pour les 50 ans des indépendances africaines. La couleur aussi, on la retrouve du coté des épouses des chefs d’Etat africains qui se sont mises sur leur dimanche pour encadrer Mme Bruni Sarkozy. Un parterre de premières dames que le président Sarkozy justement a tenu à aller personnellement passer en revue. Le relief, c’est aussi les anciens combattants octogénaires dont les multiples visages émaciés et les yeux rougis par les intempéries, finissent par sculpter un tableau bien pittoresque.
L’exotisme se trouvait aussi du coté des soldats de certains pays qui ont voulu adapter leurs tenues à l’environnement qui est le leur. Avec leur mise vestimentaire, ils reproduisaient jusqu’à la caricature l’accoutrement des armées coloniales. Il en est ainsi des troupes du Tchad, de la Mauritanie mais surtout du Mali qui ont arraché ce commentaire ému à Jean Claude Narcy : "Les soldats maliens qui d’ordinaire sont montés sur les chameaux. Mais il n’y a pas de chameaux ce matin sur les Champs Elysées à notre grand regret. Ma voisine l’a sérieusement regretté et en était au bord des larmes", révèle t-il. Il ya aussi les amazones du Benin, commandée par le colonel Aminatou. Une troupe uniquement constituée de femmes, montée à l’image de ce qu’était dans l’Afrique précoloniale l’armée des puissants empires de l’Afrique de l’Ouest. Parlant justement des Amazone, un général Français, tout ému, a pu dire qu’elles ne lui refuseraient rien.
Après s’être remis de leurs propres émotions, les commentateurs des télévisions françaises ont tenu à donner la parole aux officiels français afin qu’ils laissent eux aussi éclater leur émotion face à tant de couleurs africaines sur les champs Elysées. Roselyne Bachelot qui souhaite vite oublier l’expédition désastreuse de l’équipe de France en Afrique du Sud, trouve du réconfort dans l’exposition coloniale des Champs Elysées : "C’est une grande émotion que de voir défiler nos frères d’arme africains. Leurs présidents sont aussi là", se réjouit-elle. Laurent Wauquiez pense à son arrière grand père qui avait côtoyé des soldats africains : "çà me dit quelque chose de très profond qui est personnel. Mon arrière grand père avait fait la guerre de 14-18 avec des soldats africains", révèle t-il. Bertrand Delanoë, le Maire de Paris, en bon élu de gauche, pense au bon vieux temps du rayonnement de la colonisation : "Lorsque nous accueillons des peuples que nous avons autrefois dominé, à tort bien sûr, c’est un moment de célébration", dit-il. Parlant de ces mêmes soldats africains, le général Dary dit : « Je les ai vu défiler avec un immense plaisir et une grande émotion ». Même le président Sarkozy se perd en émotion : « J’étais très ému de voir les anciens combattants. On était tous émus » La première dame de France, Carla Bruni Sarkozy y va de sa petite partition d’émotion et on découvre en elle, une grande « africaine ». Complétant une réponse que le commentateur a mise dans sa bouche en disant qu’elle connaît bien l’Afrique qui lui tient à cœur, elle affirme : « C’est un continent que je connais bien. Il a une grande histoire et un grand futur avec la France ». Et, renforçant un clichés, elle continue : « Lorsque je suis allée en Afrique pour des missions humanitaires, j’ai trouvé de la souffrance mais aussi un grand dynamisme ». Pour avoir côtoyé, le temps du défilé, la première dame du Burkina Faso, Chantal Compaoré, Mme Sarkozy a gagné en sagesse africaine : « La première dame du Burkina Faso qui était à coté de moi, m’a dit que lorsqu’il pleuvait pendant une cérémonie, c’était un signe de chance », révèle t-elle. Pour rester dans le registre des clichés, voici ce que dit un officier commentant le défilé aérien : « Voici un avion très connu des Africains parce que c’est un avion qui participe aux opérations humanitaires ». La dimension exposition coloniale de la parade des Champs Elysées, c’est lorsque le réalisateur fait des plans serrés sur les soldats africains et insiste sur leurs gueules du désert ou de la forêt équatoriale, sur leur regard vide et sur leur mine parfois hilare. Lorsqu’on revoit les photos de 1931, on n’en est pas très loin. En 1931, « les spectacles différents et plus exotiques les uns que les autres accueillaient jusqu’à 300 000 visiteurs par jour (…) De mai à novembre, l’exposition reçoit jusqu’à 8 millions de visiteurs et affiche 33 millions de tickets vendus ». Aujourd’hui, avec l’effet démultiplicateur de la télévision, par cérémonie des Champs Elysées peut être vue par au moins 100 à 150 millions de téléspectateur. Ainsi, l’impact sur le monde est garanti. . Les images de la parade des Champs Elysées feront le tour du monde. Et la France pourra y coller le commentaire qui l’arrange. Par exemple, dire que incapables de s’assumer, ses anciennes colonies sont revenues faire allégeance et mettre leur indépendance entre parenthèse. Ce qui veut théoriquement que l’empire colonial français renaît de ses cendres. A l’heure où le nouvel ordre mondial se met en place et où on appelle à la refonte de l’ONU, cela est une véritable aubaine pour une France qui, étranglée par la crise, risquait de voir son influence diminuer dans le monde.
Souveraineté rétrocédée
Faire défiler les armées africaines sur les Champs Elysées et faire poser les drapeaux de ces pays devant le président français, est, pour les chefs d’Etat qui l’ont accepté, une erreur historique de jugement qui risque remettre le compteur à zéro par rapport au décompte de l’indépendance africaine. En fait, l’indépendance n’est pas acquise le jour de sa proclamation. C’est plutôt le point de départ d’une longue conquête qui peut connaître des freins, des reculades et même des dégringolades. Ce qu’on vient de vivre sur les Champs Elysées est une dégringolade. Il faudra pour l’Afrique encore au moins un siècle et des centaines de Laurent Gbagbo – le seul chef d’Etat africain qui a eu la lucidité de repousser l’offre française – pour remonter la pente. Dans les manifestations marquant les 50 ans de leurs indépendances, les pays africaines pouvaient accepter – et encore ! – que la France les assiste dans la reconstitution de certains lieux de mémoire qui les valorise, notamment en ouvrant les archives, que la France finance les colloques, les publications des ouvrages mais ils ne devaient jamais accepter de venir défiler sur les Champs Elysées.
Nous étions sur les Champs Elysées dans l’ordre de la manipulation des symboles. La sémiologie et la sémiotique nous apprennent que « le symbole peut être un objet, une image, un mot écrit, un son ou une marque particulière qui représente quelque chose d’autre par association, ressemblance ou convention ». Sur les Champs Elysées, nous avons vu des militaires africains mêlés aux soldats français, faire des figures et autres démonstrations, bien malin celui qui dira à quoi cela renvoie. Et c’est Bernard Kouchner, le ministre français des affaires étrangères qui, sans le dévoiler, lève un pan de voile sur le mystère : "C’était un défilé de l’amitié, de l’histoire et de ses complications. Nous avions une dette envers nos anciennes colonies, il fallait la réparer. C’est fait aujourd’hui. Ces drapeaux qui se sont posés ensemble. Çà voulait dire quelque chose. Rien n’est simple", commente t-il. Allons donc savoir ce que cela veut dire, ces drapeaux qui se posent ensemble. Sachons déjà avec Bernard Kouchner que ce n’est pas simple.
Officiellement, le défilé du 14 juillet voulait faire honneur à 13 nations africaines, anciennes colonies françaises devenues indépendantes il y a 50 ans : « C’est le lien de sang que nous célébrons. Le lien né de la contribution des troupes africaines à la défense et à la libération de la France », souligne le président Sarkozy dans l’invitation qu’il a adressée à ses homologues( ?) africains. D’autres voix françaises viendront souligner le caractère généreux de cette invitation. Ainsi, pour le chef d’Etat major des armées françaises, « c’est la fraternité d’arme entre les nations qui nous ont fourni des hommes pour nos combats tout au long du 20e siècle et qui y ont laissé leurs vies ». Il se pourrait que les autorités françaises aient tout simplement voulu réparer une injustice dont avaient été victimes les soldats de la coloniale en 1944 lorsqu’ils avaient été écartés des rangs lors de la célébration de la libération de Paris sur les Champs Elysées.
Des arguments qui ne résistent pas à l’analyse dès qu’on s’intéresse de près à ce qui s’est réellement passé lors de la dernière guerre 39-45. Tout le monde sait que cette phase de l’histoire commune entre la France et ses anciennes colonies, parce qu’elle est faite de mensonges, d’ingratitude et d’humiliation, est un point noir que la France s’est toujours refusée à éclairer arguant de ce qu’il n’est pas question de tomber dans le repentance. Pendant cette guerre, l’armée française comprenait 65% de soldats venus des colonies. Et pourtant, à la libération, ils ont été tout simplement marginalisés.
En 1944, alors que la guerre tirait à sa fin et la victoire de la France assurée, le Général de Gaulle a éprouvé de la honte à se faire accompagner à Paris par les soldats coloniaux qu’il était allé chercher en Afrique et ailleurs. Alors, il a souhaité que la libération de Paris soit le fait des soldats français exclusivement. « Les alliés accèdent à sa demande et lui concoctent une deuxième division blindée 100% blanche, alors qu’à l’époque les 2/3 des troupes françaises sont composés des soldats originaires des colonies, notamment d’Afrique de l’Ouest ». En 1945 donc, c’est avec une troupe sans aucune teinture noire que le Général de Gaulle avait descendu les Champs Elysées, inaugurant ainsi le plus gros mensonge de l’histoire de la seconde guerre mondiale.
D’après les forumistes du site Rue89, « en faisant disparaître de la photo finale de la libération de paris 65% des acteurs de cette libération, De Gaulle voulait donner l’illusion à la population française qu’elle a été résistante et qu’elle ne doit sa libération qu’à elle-même. Un mythe résistancialiste qui devait lui servir pour le reste de sa carrière politique ». Mais c’était aussi pour cacher à la population française de souche les réalités du front et minimiser ainsi dans leurs têtes à l’avenir la dette que l’Afrique pourrait revendiquer vis-à-vis de a France. Il fallait garder l’image de la colonie à laquelle on donne tout et qui en retour ne nous apporte rien. Aujourd’hui encore, l’écrasante majorité de Français continuent d’avoir une interprétation totalement erronée de la coopération entre la France et ses anciennes colonies. Ils croient que la France va en Afrique pour se ruiner à assister ces peuples tarés qui refusent le développement. D’où le succès qu’a rencontré le livre de Axel Kabou (Et si l’Afrique refusait le développement) auprès des couches populaires françaises. Ils ne se doutent pas un seul instant que l’Afrique puisse tirer un quelconque profit de sa coopération avec l’Afrique.
Il fallait aussi corroborer même de façon inconsciente, l’idée de Hitler qui s’était montré très remonté contre la France, non pas parce qu’elle lui résiste mais parce qu’elle a décidé de mêler les indigènes à une guerre de civilisés. Pour lui, le mythe de la supériorité éternelle du Blanc sur le Noir pouvant en prendre un sacré coup. Et cela a d’ailleurs été le cas puisque c’est à partir de ce qu’ils avaient vu lors des deux guerres que les Africains ont pu revendiquer et obtenir leurs indépendances.
Alors, entre 1945 lorsqu’il avait été interdit aux troupes africaines de descendre les Champs Elysées et aujourd’hui où ils y deviennent l’attraction principale d’un défilé, qu’est ce qui a réellement changé ? On m’objectera qu’un 1994, les troupes allemandes ont défilé sur les Champs Elysées devant le président François Mitterrand et le Chancelier allemand Helmut Kohl. Mais les deux situations ne sont pas, du tout, comparables. Bien que l’Allemagne ait occupé la France pendant quelques années et est parvenue à soumettre le régime de Vichy, il n’y a jamais eu de relations de soumission et de colonisation consentantes et durables telles que celles qui ont unies la France à leurs colonies. L’Allemagne pouvait donc faire défiler ses troupes sur les Champs Elysées et repartir dans l’entièreté de sa souveraineté. Tel n’est pas le cas pour les pays africains dont le passé colonial avec la France constitue une sorte d’anguille sous roche. Et toute transaction entre les deux partenaires d’apparence sincère peut dissimuler un vrai marché de dupes. Dans le marché qui s’est conclu sur les Champs Elysées, la France a gagné gros. Sans rien débourser, juste en jouant sur les formules, le président Nicolas Sarkozy a réussi à reconstituer une partie de l’empire colonial français, du moins symboliquement. Mais encore une fois, tout est dans le symbole. Comme en 1945, lorsqu’elle avait user de l’astuce de son empire colonial pour se hisser au rang de la puissance mondiale en obtenant un siège permanent au conseil de sécurité, de même aujourd’hui, au moment où se prépare une reconfiguration des puissances dans le monde avec l’émergence de certains pays, la France peut bien utiliser le symbole de la parade des Champs Elysées pour se maintenir dans le cercle restreint des puissances mondiales Quant à l’Afrique, elle a perdu de long en large. Les chefs d’Etat africains ayant accepté de participer au marché de la place des Champs Elysées peuvent être fiers d’eux. D’un simple clic d’ordinateur et pour des broutilles, ils ont tiré un trait sur 50 ans de souveraineté déjà chancelante. En venant faire allégeance à la France, ils ont renoncé à jamais à couper le cordon ombilical pour conduire leurs pays vers les chemins du développement autonome et de la puissance multiforme. Dans la vie des nations et même des hommes, s’il y a quelque chose qu’on souhaite voir effacer des mémoires, c’est bien le moment où on a été dominé et opprimé par l’autre. C’est pour cela que le parricide existe. C’est pour çà aussi que vous ne verrez jamais les Etats-Unis, pourtant constitué des peuples qui avaient juste traversé l’atlantique, revenir en tant qu’Etat faire allégeance à la Reine d’Angleterre. C’est parce qu’ils ont coupé ce cordon ombilical là, notamment en coulant les bateau de la puissance colonisatrice anglaise, que les Etats-Unis sont devenus une puissance planétaire.
En acceptant de venir et faire parader leurs troupes sur les Champs Elysées, les chefs d’Etat africains ont cédé au sentimentalisme. C’est pour çà qu’on entend des mots comme fraternité d’arme, réparation. Des mots qui n’ont aucun sens dans les relations entre nations qui, comme on sait n’ont que des intérêts. Le Roi Abdallah d’Arabie Saoudite qui avait accepté l’invitation du président Sarkozy à participer à ce défilé s’est ravisé à la dernière minute lorsqu’il s’est rendu compte qu’en fait en France, on fête le 14 juillet, la chute de la monarchie. Il a alors compris qu’un tel symbole, décrypté par ses sujets aurait pu être fatal pour lui. Au contraire de la France qui avait tout à gagner dans la présence de la plus grande monarchie du golfe. Le Roi Abdallah a lu dans les symboles et a évité le piège. Ce que n’ont pas pu faire les chefs d’Etat africains. J’attends de voir dans deux ans, quel sera l’attitude du président de l’Algérie lorsque ce sera à son tour de fêter les 50 ans de son indépendance. Je doute fort qu’il viendra ainsi s’incliner devant le président français.
En Afrique subsaharienne pourtant, les experts qui écument les palais présidentiels et conseillent les princes devraient le savoir, et ils le savent d’ailleurs, que chaque Etat aspire à la puissance à l’intérieur et à l’influence à l’extérieur. C’est la conjonction des deux qui confère la puissance planétaire. Et on ne peut le faire qu’en affirmant à chaque minute son indépendance et sa suffisance, vis-à-vis de toutes les autres forces, de toutes les autres puissances. Lorsqu’elles sont frappées de catastrophe aujourd’hui, les nations émergentes comme la Chine ou le Brésil repoussent systématiquement les offres d’aide que veulent leur apporter les nations dites puissantes. Elles le font parce qu’elles savent que c’est par là qu’on perd son indépendance et qu’on se voit barrer la voie à la puissance. On a créé un imaginaire mondial d’une Afrique réceptacle de toutes les aides, de tous les convois humanitaires. Et c’est comme çà que sa souveraineté et sa dignité sont vampirisées. Et pourtant l’Afrique n’est pas que des clichés conçus pour la maintenir au stade d’infériorité. L’Afrique du Sud vient d’organiser une coupe du monde qui a fait un pied de nez à tous les clichés sur l’insécurité et la séropositivité. Les médias ont eu le courage de dire qu’aucun touriste n’a été sérieusement agressé en Afrique du sud. J’attends qu’ils nous produisent le bilan de ceux qui se sont contaminés ou non au virus du Sida.
Par Etienne de Tayo Promoteur « Afrique Intègre » Auteur de l’ouvrage : « Pour la dignité de l’Afrique, laissez-nous crever » www.edetayo.blogspot.com [1] Benin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad, Togo
A propos de l’auteur : Originaire du Cameroun, Etienne de Tayo est aujourd’hui un journaliste d’investigation. Formé à l’ESSTIC de Yaoundé et titulaire d’un Master à l’Institut Français de Presse. Doctorant en communication politique. Il reste militant dans l’âme et anime « Afrique Intègre », un réseau de Journalistes africains désireux d’agir dans l’intérêt des populations africaines. Le réseau « Afrique Intègre » se reserve le droit de dénoncer la pratique de plus en plus répandue d’un certain journalisme de renforcement des clichés si souvent préjudiciable à l’image de l’Afrique. E mail : tayoe2004@yahoo.fr Tél. : 06 13 90 11 71
Source : Correspondance d’Etienne de Tayo