L’armée chouchoutée - Les institutions confisquées - Les élections truquées - L’alcool et les jeux consacrés...
Le 06 novembre 2012 c’est demain. Et demain, le chef de l’Etat, Président de la République du Cameroun qui a déjà 79 ans sonnés, aura passé 30 ans au pouvoir. A cela, si on ajoute sept années de séjour à la Primature, en clair, tour à tour, premier ministre, puis président de la République, depuis 1975, le chef de l’Etat, Paul Biya occupe les hautes cimes de la souveraineté nationale. Mais quelle longévité aux affaires… Que dire des retombées.
La moisson n’est pas abondante. La longévité à la magistrature suprême de Paul Biya, ne fait pas bon ménage avec les ressources générées. Les provisions ne sont pas en adéquation avec les efforts et les sacrifices consentis par les Camerounais. A longueur de journée, l’on scande la paix, alors que le panier de la ménagère est vide, les injustices et les inégalités sociales sont nombreuses, le drame de la misère noire est perpétuel et indescriptible dans les foyers.
Les riches et les gueux (qui s’amoncellent tous les jours), se côtoient à distance, le taux de chômeurs connaît un accroissement exponentiel, les syndicats du crime et les gangs de malfrats sèment à tout vent et dans l’impunité, l’insécurité et la peur dans les villes… Les scènes atroces (à travers lesquelles, le rendez-vous avec la mort est récurent), sont en nette augmentation dans les institutions hospitalières.
Vivant renfermé dans son palais d’Etoudi, sourd aux appels des populations qui s’encrassent dans la misère galopante. De hauts lieux de la souffrance et de la perdition se comptent par centaines. Et pourtant, le peuple hurle sa colère qui, malheureusement, se brise sur le mur de l’indifférence d’une élite régnante, aveuglée par les privilèges venant du prince.
Mais que peut-elle, cette bureaucratie administrative, invitée sur la table, pour manger et se taire, au risque d’être mangée par le régime du « Renouveau » qui, à travers l’opération Epervier, n’éprouve aucune gêne à anéantir les « dragons » qu’il a lui-même engendrés. Trois décennies durant, le locataire d’Etoudi, n’est pas parvenu à sortir le Cameroun de « l’anormalité », du « tout est possible ».
Les affidés et courtisans du régime, rusent jusqu’à l’usure et l’inconscience de la démocratie, de la bonne gouvernance et de l’alternance. Trois décennies durant, le père du « Renouveau », dans sa propension à cristalliser, raffermir et radicaliser son pouvoir, s’est construit une camisole de sécurité ; mieux, un labyrinthe où, les stratégies personnelles de conservation de pouvoir, priment sur les lois de la République. Trois décennies durant, « l’homme lion », a densifié les opérations de charme et les actions allant dans la promotion du loisir qu’il a données en opium à son peuple. Les lions indomptables dont on a vendu au prix fort, ses victoires et conquêtes, mais dont nul ne veut être aujourd’hui comptable du naufrage ; la libéralisation sauvage et incontrôlée des espaces de loisirs, les cercles religieux, les jeux du hasard, les sectes magico-sataniques…
L’avalanche des strates de la déchéance et de la décadence est déplorable. Par l’usure, l’installation de la peur, Paul Biya a réussi à instrumentaliser et même à infantiliser les « forces » de l’opposition en brisant toutes les velléités et les ailes de prise de pouvoir par les élections fiables et transparentes. La même arme a été utilisée pour rendre les intellectuels et les universitaires (qu’il a préalablement affamés par les baisses drastiques de salaire), impuissants, improductifs et inefficaces. Tous se battent dans la périphérie, pour des strapontins ministériels.
Dans quelques jours, quelques heures peut-être, les rideaux vont s’ouvrir sur les aspects festifs de l’évènement. Les spécialistes de la propagande d’Etat et de l’allumage des feux d’artifices, vont confisquer les colonnes des journaux et les ondes de l’audiovisuel pour dire des louanges au désir d’éternité de Paul Biya à la magistrature suprême. N’entend-on pas déjà, des voix s’élever demandant au président de se représenter en 2018. Toujours à l’écoute du peuple, le chef de l’Etat Paul Biya, malgré ses trois décennies de magistrature suprême, continue d’être « d’attaque ». Ce ne sont pas des projets, des prospectives qui manquent dans ses discours.
Fondé en 1979, Le Messager (33 années
d’existence), est de la même génération que le temps de règne de Paul
Biya. Qui mieux que l’organe de presse indépendant le plus ancien du
Cameroun, celui-là qui a vu l’enfantement, les premiers pas et
balbutiements du régime du « Renouveau », pour évaluer la longue marche ?
Dans une analyse sans concession des 30 années au pouvoir de Paul Biya,
voici la part du Messager. Bon anniversaire, M. le président de la
République.
Main basse sur les institutions. L’escroquerie de la Tripartite et de la Constitution de 1996
D’abord partant pour la mise en œuvre des résolutions de l’accord passé avec la société civile et l’opposition dont la loi fondamentale lui a donné corps en 1996, Paul Biya s’est vite rebiffé après l’orage. Démontrant que ces concessions visaient juste à juguler la grogne sociale.
Fin d’année 2007. Paul Biya annonce sur France 24 que la question de sa candidature en 2011 est lointaine. Le président camerounais en poste depuis 1982 se débine ainsi devant une question cruciale : faut-il faire sauter le verrou de la limitation des mandats présidentiels autant que ses pays voisins.
De nombreux commentateurs politiques pérorent encore sur cette feinte de l’Homme-Lion, lorsque quelques jours après quelques élites de la Lekié (Essimi Menye, Henri Eyébé Ayissi, Ndongo Esomba etc.) profitent de la célébration des 25 ans de règne sans partage de Paul Biya pour lancer ce que le quotidien Cameroon Tribune financé par le régime de Yaoundé baptisera « l’appel de la Lékié », laquelle implore le chef de l’Etat de se présenter à la présidentielle de 2011 malgré la limitation du mandat.
L’affaire est réglée comme sur du papier à musique. Quelques relais du Rassemblement démocratique du peuple Camerounais (Rdpc), avatar de l’Union nationale camerounaise (Unc), ex-parti unique, amplifient l’appel de la Lékié. Des marionnettes qui font partie du décor du régime despotique de Yaoundé forcissent le message. Françoise Foning, Jacques Fame Ndongo, Grégoire Owona… montent au créneaux pour demander la déification de leur « créateur »
Le débat enfle. Mais quelques candides croient, comme l’a affirmé Paul Biya, que le sujet de la présidentielle de 2011 est lointain. Et puis coup de tonnerre… Au cours du discours de fin d’année prononcé le 31 janvier 2007, le président de la République manifeste sa volonté de procéder à une modification constitutionnelle.
Dans la ligne de mire, l’article 6, paragraphe 2 qui stipule que le président de la République est élu pour 7 ans renouvelables une seule fois. Il est le seul Camerounais que cette disposition constitutionnelle élimine de la course de 2011. Mais le Prince de Mvomeka’a semble frappé d’amnésie. Cet arrangement de la loi fondamentale promulguée le 18 janvier 1996 est le fruit d’un modus vivendi passé avec la société civile et les partis de l’opposition en novembre 1991 au cours des assises de la Tripartite.
Paul Biya n’en a cure. Pis, il s’en beurre. Il n’attendra pas longtemps pour préparer un avant-projet de loi qui attend dans les tiroirs, l’ouverture de la session parlementaire la plus proche. C’est celle de mars 2008. Nonobstant les émeutes de fin février, les hurlements de la société civile, la protestation de l’opposition, le président procède au hold-up constitutionnel redouté. La loi fondamentale qui ne se met encore que « progressivement » en place est éventrée. Le « Créateur et maître » de Jacques Fame Ndongo et autres Grégoire Owona est rééligible. Le Roi Biya vient de remettre à plat un accord historique passé avec son peuple au plus fort des villes mortes. Les Camerounais découvrent une autre facette de celui qui ne sait pas ce que donner sa parole veut dire.
Décentralisation
Cette volteface est jugée normale par ses supporters. Ils se souviennent que c’est un genou à terre que Paul Biya dû concéder au peuple, une Constitution futuriste. Laquelle prévoit un conseil constitutionnel, un parlement bicaméral, la déclaration des biens et avoirs, la limitation des mandats présidentiels…
Mais le brave homme n’a jamais consenti à les mettre en œuvre. Et pour cause, analysent les politologues, il redoute que l’implémentation de ces dispositions soit catastrophique pour son projet de se maintenir au pouvoir à vie. Mais afin de donner du change à ceux qui pourraient le taxer de bourreau de la constitution, le Prince fait mettre en œuvre au petit trot quelques mécanismes constitutionnels. Il en est ainsi du processus de décentralisation, dont les textes d’application sont pris seulement en 2006. Mais les collectivités autocentrées cherchent encore comme l’étoile du berger, le jour où elles seront autonomes.A un niveau un plus haut, on a attendu plus de 12 ans pour que les provinces deviennent régions. Jusque là, l’on n’a pas franchi la ligne de la simple dénomination et donc, les gouverneurs, dépositaires du fouet de la répression restent en poste. La chambre des Comptes de la Cour suprême fonctionne cahin-caha. Ses recommandations et ses rapports sont snobés par les comptables publics. La déclaration des biens est suspendue à une déclaration du chef de l’Etat qui doit créer la commission chargée de recenser les biens et avoirs de gestionnaires des crédits publics.
Ainsi, les accords issus de la Tripartite d’abord pris en compte pour mettre sur les rails la démocratie avancée puis apaisée ont tous ainsi été balayés de la main pour permettre au Souverain de Yaoundé de rester en poste. Un peu comme pour donner corps aux chants, de cette foule enivrée par l’alcool qui, au passage du cortège présidentiel reprennent : « Paul Biyaaaaaaaaaaaa ! Encore 100 ans ».