Les «vainqueurs ont été sans pitié pour les «vaincus». «Les forces ayant participé au rétablissement de la situation comprenaient les Camerounais de toutes les origines, sans distinction d'appartenance ethnique, régionale ou religieuse. La responsabilité du coup d'Etat manqué est celle d'une minorité d'ambitieux assoiffés de pouvoir et non celle de telle ou telle province, encore moins celle des Camerounais de telle ou telle religion». En martelant dans son message à la nation, le 10 avril 1984, qu'il n'y avait pas «deux Cameroun», le Chef de l'Etat, Paul Biya, tentait vainement de freiner l'ardeur de ses partisans, manifestement lancés dans une chasse aveugle aux Nordistes. Ceux-ci, il est vrai, avaient été condamnés avant l'heure par le Ministre des Forces Armées d'alors, Gilbert Andzé Tsoungui.
Lors des différents procès, qui se souviendra de la mise en garde du Chef de l'Etat? Qui se souviendra même de ce que le pays avait encore des lois en vigueur? Qui s'intéressera à garantir le minimum des droits aux «vaincus»? Personne.
De fait, les tribunaux militaires, pour ne pas parler du Haut commandement de l'Armée, avaient mis entre parenthèse plusieurs dispositions de la loi, notamment celles qui stipulaient que toute condamnation à mort est soumise au Président de la République en vue de l'exercice de son droit de grâce (article 22 du Code pénal) et que tant que celui-ci n'a pas statué, aucune condamnation à mort ne peut recevoir l'exécution (alinéa 2) et qui plus est, aucune exécution ne peut avoir lieu les dimanches et jours fériés (alinéa 4). Donc, après les audiences qui se terminaient généralement tard dans la nuit, le lendemain matin, se déroulaient immédiatement les exécutions sans que le Chef de l'Etat soit saisi pour son droit de grâce. A moins que sa décision était connue d'avance...
Parodie de justice
Ainsi, à Mbalmayo, à peine l'audience marathon du 30 avril s'est-elle terminée vers 23h que les condamnés à mort ont été passés par les armes le lendemain, au petit matin du 1er mai. Que ce jour fut un dimanche, de surcroît jour férié, n'a dérangé personne...
Des 53 condamnés à mort (connus) des procès de Mbalmayo, Mfou et Yaoundé, seuls l'homme d'affaires Hamadou Adji et le Capitaine Guerandi Mbara ont échappé à la mort, parce que en fuite. Le lieutenant Garba, également en fuite au moment de sa condamnation, a été arrêté en 1985 et immédiatement passé par les armes. Autre fait majeur: l'exécution à Mfou, le 1er mai, du Lieutenant Oumarou Yorongué. L'officier n'avait pas été jugé et avait pourtant été passé par les armes. L'Armée réparera la faute en 1989, en instruisant en catimini un procès dont la sentence avait été appliquée 05 ans plus tôt.
Quatre condamnations à vie avaient aussi été prononcées contre le Capitaine Madam Dogo, les gendarmes Harouna Wali, Kidmo Koskréo et l'Inspecteur de police Boubakari Bello. En 1991, à l'heure de la libération, trois d'entre eux seulement goûteront l'air frais de la liberté. Le Capitaine Madam Dogo, lui, avait trouvé la mort le 03 décembre 1989. Ses compagnons affirmeront plus tard qu'il était mort de faim.
Neuf personnes furent condamnées à 20 ans d'emprisonnement, dont le commandant Mohamadou Abdoulaye Massa, ex-patron de la Sécurité militaire. A son sujet, un des membres du Tribunal militaire déclarera longtemps plus tard que sa condamnation à cette lourde peine était le salaire maximum qu'il pouvait payer à la vérité, sa hiérarchie ayant réclamé, pour lui, la peine de mort. Dans la même barque des condamnés à 20 ans, figuraient également Souley Adoum, employé à l'Office National de Commercialisation des Produits de Base (ONCPB) et frère d'Issa Adoum, «cerveau du putsch», et Mme Haoua Alim Konaté, épouse de l'ancien Ambassadeur du Cameroun en Arabie Saoudite. L'ancien Gouverneur Hamadou Malloum a écopé de 15 ans d'emprisonnement. Une peine partagée avec huit autres compagnons d'infortune dont Mahamat Moussa, ancien chauffeur du Président Ahmadou Ahidjo. 42 personnes ont été condamnées à dix années de prison. 109 personnes ont été condamnées à cinq ans d'emprisonnement. Parmi elles, le magistrat Abdoulaye Mazou, Issa Bakari, ex-Délégué général à la Gendarmerie Nationale, le Colonel Ngoura Beladji, ex-Commandant du Quartier Général et ex-patron de la Légion militaire de Yaoundé et le Colonel Ousmanou Daouda, ex-Directeur du Cabinet militaire d'Ahidjo et ex-Chef d'Etat-major particulier du Président Paul Biya. Ibrahim Ndiaye, ancien Chef de Secrétariat particulier du Ministre Aminou Oumarou et une ménagère à Ngaoundéré du nom de Adama Adda Garoua ont écopé de trois années de prison. 09 personnes ont été condamnées à deux années de prison, le gardien de la paix Gara Justin à 18 mois, et quatre autres à un an. L'actuel Ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary, lui, avait été acquitté à la barre comme Garga Haman Adji et quelques autres. Il sera pourtant écroué.
De tous ces condamnés, seuls l'homme d'affaires Alhadji Tanko Hassan, ex-Président de la Section UNC du Wouri sortira des geôles après avoir purgé sa peine, si tant est que faire trois années de prison alors qu'on en a écopé que deux puisse être considéré comme purger sa peine. Condamnés à dix ans, à deux ans, à quelques mois..., tous, du moins les survivants, n'ont été relâchés qu'à partir de 1990, dans un état pitoyable. Les gendarmes Zené Joseph, Wakna Augustin et Banguim Bigaola avaient contracté la tuberculose; Haman Tottmba et Mabanga Claude étaient paralysés (Mabanga Claude devait sa paralysie à une bastonnade infligée par un de ses geôliers parce qu'il avait introduit un poste radio dans sa cellule); le gendarme Daptangou Vounsia avait les couilles broyées, la faute à un surveillant qui voulait un peu se détendre les pieds... Les «putschistes» avaient été mis en prison pour qu'ils n'en ressortent plus. Qu'importe le verdict qui limitait le jugement dans le temps.
De nombreuses personnes ont aussi été détenues sans jugement. Echaudé par quelques libérations au tribunal, le Haut commandement de l'Armée avait choisi de faire simple. Transférer directement les «suspects» dans diverses prisons sans les juger. A ce jour, 37 personnes ont été recensées dans ce cas, sans que l'on puisse dire si la liste est exhaustive ou non. Eux au moins n'ont pas connu la justice expéditive dont ont souffert de nombreuses autres personnes. Hamadou Ahmadou, infirmier à l'Hôpital Central de Yaoundé, interpellé le 09 avril à un check-point situé au Carrefour Nlongkak à Yaoundé alors qu'il rentrait chez lui, a été tiré de sa voiture avant d'être abattu devant des passants médusés. Il venait pourtant de passer 24 heures sans interruption à son lieu de service. Et pour cause: les structures de santé avaient battu le rappel de leur personnel pour faire face à l'afflux massif des blessés. La voiture de l'infirmier a été emportée et sa famille n'a jamais retrouvé le corps. Hamadou Ahmadou est l'un des nombreuses disparues de cette affaire. A ce jour, aucune liste des militaires et civils morts au combat ou tués peu après leur arrestation n'est toujours disponible. La justice des vainqueurs ne s'accommode pas du devoir de mémoire.