Yaoundé: Guerre des chefs chez les Mvog-Ada: Qui est le vrai Patriarche des Ewondo ?

YAOUNDE - 10 MARS 2012
© Assongmo Necdem, Jean-Bruno Tagne | Le Jour

Une frange de l’élite conteste à Charles Etoundi son titre de patriarche


Conseil des sages et de fraternite - Mvog Ada
Photo: © Le Jour


La hache de guerre n’a jamais été enterrée entre Charles Etoundi et une frange de l’élite Mvog-Ada à Yaoundé. « La grande famille Mvog-Ada réaffirme que monsieur Etoundi Charles n’est ni le patriarche ni le Mvamba des Mvog-Ada qu’il prétend être. Ses actes n’engagent que lui-même », indique un communiqué de presse publié le 29 février 2012 par l’Association dénommée Fraternité Mvog-Ada/Anyan Ada Mengue’e, en abrégé Fma. Le document précise qu’« il n’existe pas un Patriarche ou Mvamba qui serait le chef de la grande famille Mvog-Ada ». Le document est signé de Félix Fouda Abena et de Léonard Essono Etoundi, les doyens du conseil des sages de l’association Fma. Outre ces deux-là, le conseil compte parmi ses membres Philippe Mbarga Mboa, le tout nouveau ministre chargé de mission à la présidence de la République, Rose Zang Nguele, l’adjointe au délégué du gouvernement auprès de la Communauté urbaine de Yaoundé (Cuy) et d’autres personnalités à savoir Antoine de Padoue Essomba Eyenga, Bernadette Omgba Zing, bienvenu Onana et Bienvenu Obama.

Charles Etoundi, quant à lui, refuse de revenir sur ce qu’il appelle « un vieux problème résolu ». Dans l’entourage de l’ex-ministre et actuel président du conseil d’administration de l’hôpital général de Yaoundé, on rappelle les circonstances dans lesquelles il est devenu le patriarche des Mvog-Ada. « Ce sont les dernières volontés du défunt patriarche, Valère Fouda, qui, avant sa mort en 2008, s’était confié à Monseigneur Christophe Zoa, à l’époque évêque auxiliaire de l’archidiocèse de Yaoundé. Monseigneur a fait l’annonce au cours d’une réunion avec les dignitaires Mvog-Ada. Personne n’a protesté. Essomba Eyenga et Philippe Mbarga Mboa ont même félicité le nouveau patriarche », révèle un proche de Charles Etoundi. Sauf que Christophe Zoa n’a plus jamais parlé, à cause, dit-on, des insultes et des menaces qu’il avait ensuite subies au téléphone. « Christophe Zoa n’a pas rapporté les véritables propos de Valère Fouda. L’évêque a menti. Il a été manipulé », répond un membre du comité des sages de la Fma.


Appétits

Les batailles en coulisses avaient duré une année. L’affaire avait été tranchée par le Cabinet civil de la présidence de la République, indique-t-on dans le camp de Charles Etoundi, pour que celui-ci arbore enfin le titre de patriarche lors des funérailles de Valère Fouda. « C’était une auto-intronisation. Les Mvog-Ada n’ont jamais eu de patriarche. Il existe une association qui parle au nom de la communauté. Chaque sous-famille a son porte parole », tranche le doyen Félix Fouda Abena, par ailleurs chef de 3ème degré de Djoungolo 6. « Valère Fouda avait été élu président de la Fma, puis il s’est autoproclamé patriarche, poursuit le chef. Sauf que Charles n’est plus le président de la Fma depuis 2010. Le nouveau bureau exécutif élu est conduit par François Xavier Eloundou. » Toujours est-il que Charles Etoundi revendique son titre depuis l’époque où il était le président de la Fma.

Tout le monde semble s’accorder sur la définition du patriarche chez les Mvog-Ada. C’est un sage, celui-là qui émerge dans la famille, qui peut en rassembler les membres et en qui ceux-ci s’identifient. Cette aura se construit avec le temps et par le vécu de l’homme. Un tel personnage jouit de privilèges qui dépassent le simple respect. Des sources indiquent que le défunt patriarche, Valère Fouda, était consulté lorsqu’il fallait nommer un fils Mvog-Ada dans le gouvernement. A l’évidence, le titre de patriarche attise des appétits que personne n’avoue cependant. En tout cas, Charles Etoundi se targue d’avoir la carrure pour. Pourtant, ce qui fâche ses détracteurs, c’est la réunion qu’il a convoquée le 18 février dernier dans le but de sensibiliser les populations de Mvog-Ada sur un projet immobilier qui devait causer le déguerpissement de plusieurs habitants. Le projet, attribué à la Communauté urbaine de Yaoundé et la société Barreth et associés, était négocié en catimini.

Assongmo Necdem


Les familles Mvog-Ada

Afan Oyoa, Ahala, Binguela, Djoungolo, Elig Essono, Etoa Meki, Ekoudou (Bastos), Akorozok (Briqueterie), Essos, Elig Omgba Nsi, Feg Minbang/ Nkol Nlong, Fe Ekele, Febe village, Mvog Ada, Messassi, Mefou Assi, Nnomayos, Nkolndongo, Nkol Nguie, Nkonbibega, Nkol Ngog, Nsimeyong Simbog.



Tradition: Tripatouillage patriarcal

Les calculs de positionnement politique semblent avoir créé la confusion dans le milieu des patriarches betis.

La bataille qui oppose certains fils Mvog Ada à l’ancien ministre Charles Etoundi, en sa qualité de patriarche (lire l’article plus haut) pose le problème du patriarcat dans le Mfoundi et plus globalement chez les Betis. Originellement, le patriarche chez les Betis est désigné sous le nom de Zomlo’o. C’est une autorité traditionnelle dont les pouvoirs sont au dessus de ceux du chef, qui n’est qu’un auxiliaire de l’administration, imposé par le colon, soutient Emile Onambélé Zibi, patriarche Mvog Tsoungui Mballa, président de l’association des patriarches du Mfoundi.

Le Zomlo’o est le « véritable gardien de la culture, des us et coutumes betis ». « Le patriarche est le vrai détenteur du pouvoir traditionnel. C’est pour cela que vous avez certainement observé que les chefs traditionnels ne jouissent d’aucun pouvoir et ne sont même pas respectés chez les Betis, alors que les patriarches sont craints », affirme Emile Onambélé Zibi. Il relève quelques qualités qui doivent être celles des patriarches : « Impartialité, droiture, puissance, solidarité, ouverture, bref, une icône du clan. » Et ajoute qu’on ne devient pas patriarche à la suite d’une élection ou d’un concours, mais on hérite du titre.

Selon certaines autorités traditionnelles du Mfoundi, le pouvoir et la respectabilité dont jouit le patriarche chez les Betis a donné des idées aux hommes politiques et autres hommes d’affaires, qui y ont vu un raccourci pour accéder aux « affaires ». Ce qui a entraîné une confusion que regrette Emile Onambélé Zibi. Pour le président des Zomlo’o du Mfoundi, la multiplication des patriarches est une imposture. « Il y a 44 patriarches dans le Mfoundi, révèle-t-il. Ce qui correspond aux 44 familles autochtones d’ici. Tout le reste, c’est des patriarches du Renouveau, des patriarches sans dessous, de grosses coquilles vides. »

Toujours aussi remonté, il poursuit : « Il ne suffit pas d’aller au marché Mokolo s’acheter une canne pour devenir patriarche. Il y a des patriarches politiques. On les connaît… Et quand il y a des rencontres de haut niveau chez les Betis, il faut les voir ; ils ne comprennent rien à rien, se comportent un peu n’importe comment, simplement parce qu’ils n’ont aucune légitimité à se présenter comme Zomlo’o. »

Si certaines personnalités usurpent le titre de patriarches pour les avantages liés à cette qualité, notamment celui de parler au nom d’un clan, il faut aussi remarquer que le politique a inféodé le groupe des patriarches. Car, qui tient les Zomlo’o tient, d’une certaine manière, ses sujets et peut prétendre les représenter. « Je dois reconnaître, regrette Emile Onambélé Zibi, que les disputes ont fragilisé les patriarches dans le Mfoundi. Il y a plus de faux patriarches que de vrais. Et ceux-ci, hélas, utilisent leur fortune et leur pouvoir politique pour détourner la population de leurs véritables interlocuteurs traditionnels. »

Lorsqu’on crie à l’exclusion ou au tribalisme quand un patriarche est récusé, Emile Onambélé Zibi parle d’un « faux débat ». « Nous sommes ouverts dans le Mfoundi. Il y a une autorité traditionnelle qu’il faut respecter, autant qu’il faut respecter nos cultures. C’est tout ce que nous demandons. Et ce n’est pas du tribalisme. Même Emah Basile, par exemple, avait le pouvoir politique, mais ne pouvait pas oser prétendre qu’il est patriarche dans le Mfoundi.»

Jean-Bruno Tagne



11/03/2012
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