Verdict opération Epervier: Des condamnations à la tête du client

DOUALA - 16 Octobre 2012
© Mathieu Nathanaël Njog | Aurore Plus

Dans les tribunaux de grande instance du Mfoundi et du Wouri, on assiste depuis quelques semaines à une avalanche de verdicts que les juges prennent dans le cadre des affaires concernant des hautes personnalités poursuivies pour prévarication de la fortune publique.

Après l’accélération du procès qui opposait l'Etat du Cameroun à Marafa Hamidou Yaya et Yves Michel Fotso et Cie, lequel a abouti à une condamnation à 25 ans d'emprisonnement ferme, plusieurs autres procès connaissent la même célérité qu'on ne connait pas à la justice camerounaise, sauf dans les cas spéciaux comme ceux-ci. Où on soupçonne l'Etat camerounais de commanditer cette accélération afin que les verdicts soient connus avant l'entrée en fonction du tribunal criminel spécial. Mais la disproportion des condamnations au regard des sommes prétendument distraites laissent songeurs. Comment comprendre que pour l'affaire de l'achat d'un avion présidentiel pour les déplacements du couple présidentiel, pour laquelle on déclare les accusés coupables de détournement d'une somme de 31 milliards FCFA les coaccusés Marafa Hamidou Yaya, Yves Michel Fotso et jean Marie Assene Nkou écopent 25 ans d'emprisonnement ferme. Jean-Marie Chapuis, ancien Directeur général de la Commercial Bank Cameroon (Cbc), et sa collaboratrice Geneviève Sandjon ont été condamnés à 15 ans de prison ferme, de même que de l'ex-directrice générale-adjointe de la Cbc, Julienne Kounda, condamnée à 10 ans de prison ferme. Au demeurant, tous ces condamnés devront payer solidairement 21,3 milliards de F CFA comme dommages et intérêts à l'Etat du Cameroun et s'acquitter par ailleurs de la somme de 1,1 milliard de F CFA représentant les frais de procédure. Quelques jours plus tard, déclarés coupables de détournement en coaction de 1,1 milliard de FCFA, représentant le montant d'une taxe pétrolière ainsi que de tentative de détournement de 59,4 milliards de FCFA, Titus Edzoa et Michel T. Atangana vont écoper de 20 ans d'emprisonnement ferme chacun. L'ancien ministre des Postes et Télécommunications Isaac Njiemoun va s'en tirer avec une condamnation de 10 ans de prison alors que le quatrième accusé, Dieudonné Mapouna ancien Secrétaire particulier d'Edzoa, a été acquitté. Titus Edzoa et Michel Thierry Atangana avaient pourtant déjà purgé 15 ans de prison après une condamnation en 1997 pour des faits similaires. Ce dernier est le dégât collatéral de son mentor, un baron du régime (Ministre chargé de Mission à la présidence, Conseiller spécial à la présidence de la République, ministre de l'Enseignement Supérieur, Secrétaire général à la présidence de la république et Ministre de la Santé publique), Pr Titus Edzoa, dont le malheur a été d'avoir brusquement démissionné en avril 1997 du gouvernement et annoncé dans la foulée sa candidature à la présidence. On en est à se demander quel est l'élément à prendre en compte pour faire la corrélation entre les deux condamnations. Comment comprendre qu'on est condamné à 25 ans pour un détournement de 31 milliards FCFA et qu'on écope d'une condamnation de 20 ans pour 1,1 milliards FCFA et une tentative de 59,4 milliards FCFA, avortée.


Des peines à plusieurs variables

Pis encore, dans l'affaire opposant la Scdp à Nguini Effa et Cie, dans laquelle il était poursuivi avec cinq autres anciens collaborateurs, il est curieux qu'ils écopent respectivement d'une condamnation de 30 ans d'emprisonnement ferme pour Nguini Effa; 13 ans pour Jean Onana Adzi; 12 ans pour Jean Beautemps Mackongo Guéyé et de 10 ans pour Marc Etoundi. Pourtant, le rapport final du Conseil disciplinaire budgétaire et financière (Cdbf) du Contrôle supérieur de l'Etat (Consupe) qui a servi de base de cette procédure l'incrimine avec ses autres coaccusés pour 25 irrégularités de gestions portant sur un déficit de 955 083 664 FCFA relevés sur les exercices 2005, 2006 et 2007. Des fautes de gestion dont certains auraient été déjà qualifiées d'infractions, notamment de crimes de détournements de deniers publics, et pour lesquelles le montant supra a été ramené à 891 841 150 FCFA. On se demande comment, Nguini Effa a pu écoper de tant nombre d'années pour une somme supposée détournée avec ses coaccusés de moins d'un milliards, pourtant, ceux cités plus haut reconnus coupables pour des montants extraordinairement plus élevés que lui et ses coaccusés écopent de moins de 30 ans de prison.

Le même Tribunal de grande instance du Wouri va condamner dans une autre affaire Ngamo Hamani à 20 ans d'emprisonnement ferme dans l'affaire qui l'opposait à l'Etat du Cameroun pour sa gestion comme administrateur provisoire de la défunte Camair. Accusé au départ d'avoir détourné 118 milliards FCFA, il sera reconnu coupable seulement de 2,300 milliards FCFA. Comment justifier alors que Nguini Effa et ses coaccusés soient si lourdement condamnés pour si peu est-on, tenter de dire. Si on répartissait même de manière disproportionnée au prorata des peines de chacun le butin pour lequel ils étaient poursuivis. De même' qu'on aimerait savoir comment Ngamo Hamani peut écoper de 20 ans de prison pour 2,8 milliards FCFA alors que pour 10 fois plus Marafa Hamidou Yaya et Yves Michel Fotso n'ont écopé que de 25 ans de prison. Il en serait de même pour l'affaire opposant l'Etat du Cameroun à Atangana Mebara, Otélé Essomba, Mendouna Gérôme et Joseph Walls. Tous poursuivis pour la gestion de 31 milliards FCFA pour l'achat d'un autre avion présidentiel baptisé Albatros.

Acquitté en instance, la Cour d'Appel du Centre où avait interjeté appel le ministère public a enrôlé le procès et dans la foulée, elle vient de rendre son verdict. 10 ans d'emprisonnement ferme pour Jean Marie Atangana Mebara (ex-Sg/Pr) assortis d'une déchéance des droits civiques de 5 ans. Et 10 ans de prison ferme pour Gérôme Mendounga, l'ancien Ambassadeur du Cameroun aux Etats-Unis. Ce dernier est curieusement poursuivi pour dénouement de la somme de 121 850 181 FCFA, relique d'une somme de 720 000 000 FCFA virée par le Minefi afin que cette somme permette l'habillement intérieur de l'avion présidentiel (Albatros) et la formation des pilotes. On a besoin de demander aussi pour ce cas comme pour les autres quelle est la proportion qui a été utilisée pour le quantum de peines. Curieusement Hubert Patrick Marie Otélé Essomba, condamné pour un des trois chefs d'accusations en instance a été acquitté pour tous les chefs d'accusation. En revanche, l'accusé Kevin Joseph Walls, Directeur général de la Société APM, introuvable depuis le début de l'affaire écope d'une condamnation à vie assorti d'un mandat décerné à la barre. Du saupoudrage tout ça.


Des condamnations à vie inextricables

Cette disproportion dans les condamnations ne date pas des décisions de justice au forceps de cette dernière semaine. On se rappelle que des accusés poursuivis pour des sommes pas aussi importantes dans le cadre de ce qu'on a qualifié à tort ou à raison de l'opération épervier ont écopé des peines capitales. A ce jour ils sont au nombre de six. Le plus-flagrant a été la condamnation à vie en 2011 par le Tribunal de grande instance du Moungo de Paul Eric Kingue, ex-maire de la commune rurale de Njombé-Penja, pour un détournement de 1,5 millions FCFA. Et il y a aussi la condamnation à vie de Zacchaeus Mungwé Forjindam, ex-directeur général du Chantier naval et Industriel du Cameroun (Cnic) et Jean Simon Ngwang, ex directeur financier du Cnic Yen fuite). Comme un rouleau compresseur, Forjindam sera condamné à vie en appel pour un détournement de 206 millions FCFA par la Cour d'appel du Littoral. Une affaire pour laquelle il avait précédemment écopé de 15 ans d'emprisonnement ferme par le Tribunal de grande instance du Wouri. Et dans une autre affaire de détournement de 978 millions FCFA, il avait été condamné par la même instance à 12 ans. Là encore, on continue de se remuer les méninges pour comprendre sur quelle base pratiquement les jurés du même tribunal s'appuient pour déterminer le quantum de peine qui frise le ridicule. Et le peu de sérieux de notre justice.

Celui qui avait ouvert le bal des condamnations à vie de l'opération épervier, c'est l'ex-ministre de l'Eau et l'Energie dans l'affaire de détournement du temps où il était Dg du Port autonome de Douala. Alphonse Siyam Siwé. Et dans une moindre mesure, ses autres coaccusés Kamdem Barthélemy et Assan'a Mba Thompson (en fuite), qui ont écopé la même peine dans cette même affaire. Après que Siyam Siwé ait écopé de 30 ans de prison au Tgi du Wouri, en appel, le juge aura la main très lourde. Pourtant, le procès portait sur un détournement cumulé de plus de 40 milliards de FCFA. En revanche, Emmanuel Gérard Ondo Ndong ex-directeur de la Banque des communes (Feicom), poursuivi avec ses collaborateurs pour un détournement estimé à 52 milliards de FCFA, a écopé de 50 ans d'emprisonnement ferme en instance. Avant d'être ramené en appel à 20 ans de prison. On ne comprendrait jamais pourquoi cette disproportion. Et autre curiosité dans quasiment tous les procès de l'opération épervier, les accusés en cavale ont écopé de la peine capitale sauf dans les affaires du BBJ-2.



17/10/2012
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