VÉRITÉS SUR LES MASSACRES DE MAI 1955 (III)

VÉRITÉS SUR LES MASSACRES DE MAI 1955 (III)

Guerre Kamerun:Camer.beOn a multiplié les explications de ces incidents violents et de nombreux auteurs se sont contentés de formuler des hypothèses différentes sans jamais tenter de les concilier. Je citerai donc ici les thèses les plus courantes sur les causes des émeutes de mai. Il faut préciser que ces thèses tentent d’expliquer les faits à différents niveaux et qu’elles ne s’excluent pas mutuellement.1. Certains pensent que, au moment où l’assemblée territoriale allait se réunir pour délibérer sur de nombreuses reformes politiques étudiées par le gouvernement français, et où une Mission des Nations Unies programmait une visite dans le territoire pour la fin de l’année, l’UPC eut l’impression de perdre une initiative au profit d’adversaires qui tiraient parti du combat qu’elle avait mené pendant des années. Désespérant de récupérer la situation, l’UPC décida, pour reprendre l’initiative, d’avoir recours à la violence[1].
 
2. Une variante de cette thèse suggère que l’UPC se divisa en deux tendances, l’une violente, dirigée par le Président du Parti, Félix Moumié, et les deux vice-présidents, Ernest Ouandié et Abel Kingué : l’autre plus modérée, conduite par Um Nyobè, secrétaire général. Selon cette thèse, la tendance violente mit la main sur l’organisation début 1955 et est à l’origine de la ‹‹révolte›› de mai 1955[2].
 
3. D’autres encore pensent que le facteur historique le plus important à l’origine des évènements fut le remplacement du gouverneur Soucadaux par Roland Pré en novembre 1954. D’après cette thèse, la conséquence essentielle de cette nouvelle nomination fut le nouveau choix fait par l’administration d’une politique délibérée de débarrasser le Cameroun de ‹‹la menace UPC››. Cette analyse considère d’autre par les émeutes comme une réaction de l’UPC aux tentatives d’intimidation et à la répression croissante mises en place par l’administration depuis l’arrivée de Pré[3].

4. La thèse intéressante de Georges Chaffard, ancien correspondant du Monde en Afrique, explique que Um Nyobe se fourvoya en pensant qu’il avait les moyens, au Cameroun, de triompher par une action révolutionnaire de type marxiste, analogue à celle qu’Ho Chi Minh avait mené victorieusement au Vietnam[4]. Cette interprétation est, de toute évidence, en contradiction avec la précédente qui explique le recours à la violence par le remplacement d’Um Nyobe par des camarades plus agressifs. D’après Chauffard, Um Nyobe ne s’opposa pas aux autres dirigeants de l’UPC sur la question du recours à la lutte armée, mais plutôt sur le problème du danger qu’il y avait à y recourir trop vite, sans maitrise suffisante de la situation[5].

5. Une autre interprétation accorde une grande importance au développement des relations entre l’UPC et la RDA d’une part, et entre l’UPC et les groupes camerounais locaux d’autre part. Ainsi, l’incident clé fut l’irruption de militants upécistes lors d’une réunion tenue à Douala, le 23 mai 1955, par des camerounais anti-UPC dans le but de former une section camerounaise du RDA. Cette réunion fut décidée après la tentative avortée des dirigeants du RDA de convaincre l’UPC d’adopter une politique de collaboration avec l’administration française, comme l’avait fait Houphouët-Boigny pendant la période de répression comparable qu’avait connue la Côte-d’Ivoire. Ouezzin Coulibaly, sénateur de Côte-d’Ivoire, ne réussit pas à convaincre Um Nyobe du bien-fondé de ce conseil au cours de la première semaine de mai et M. Tchicaya, député RDA du Moyen-Congo, fut alors envoyé une semaine plus tard pour implanter une section RDA anti-UPC au Cameroun. La tentative UPC d’interrompre cette réunion fut l’étincelle qui déclencha cette semaine d’émeute[6].

6. Il y a enfin la thèse de Willard Johnson, qui considère les émeutes de mai 1955 et ‹‹la rébellion›› qui explosa au Cameroun pendant les années suivantes comme faisant partie d’une suite logique d’événements. D’après Johnson, ‹‹il est pratique de faire partir cette rébellion du 22 avril 1955››[7], date à laquelle l’UPC publia une proclamation commune exigeant la fin de la tutelle du Cameroun, l’établissement d’une Assemblée Nationale constituante avant le 1er Décembre 1955, la mise en place immédiate d’une commission exécutive qui devait tenir lieu de gouvernement provisoire, et la nomination d’une commission des Nations Unies pour garantir le fonctionnement des nouvelles institutions. A partir d’avril, le parti et les groupes qui lui étaient proches déclenchèrent une agitation politique et syndicale qui, fin mai, se transforma en émeutes et en manifestations[8]. Cependant, toujours d’après cette interprétation, ‹‹le grand mouvement populaire que la direction de l’UPC avait espéré susciter après la répression des émeutes par la force… ne se manifesta pas››[9]. ‹‹Peu après, Ruben Um Nyobe, secrétaire exécutif, et Theodore Mayi Matip, son bras droit et le chef du mouvement des jeunes, poussèrent leurs camarades basaa du Nyong-et-Kelle à entamer une action de type guérilla››[10]

 
ANALYSE FAITE PAR L’ADMINISTRATION
 
L’interprétation des événements de mai, telle qu’elle a été exprimée dans le Livre Blanc de l’Administration et dans son rapport au Conseil Tutelle des Nations Unies, établissait que c’était l’UPC, organisation communiste et totalitaire qui, craignant de voir ses forces décliner, inspirée par Ho Chi Minh et Mao Zé Dong, organisa et déclencha, sous la direction du violent Félix Moumié, l’insurrection qui eut lieu entre le 20 mai et le 30 mai. Mais cette rébellion ne put s’adjoindre le soutien des masses camerounaises et fut rapidement maitrisée par les forces de l’ordre. Bien que Pré ait refusé de reconnaitre toute complicité de l’administration dans les incidents qui se produisirent, on peut aisément prouver que les autorités administratives portent une grande part de responsabilité dans cette semaine de violence qui agita le Cameroun.
 
L’administration elle-même est d’ailleurs la meilleure source d’information permettant de démêler le mystère qui plane sur ces émeutes. Le 16 juillet 1955, nous trouvons le rapport suivant dans le bulletin  d’information et de documentation publié par les services du gouverneur à Yaoundé :
 
« Au moment où le Cameroun va être doté des institutions policières d’un pays majeur, le gouvernement a estimé qu’il était nécessaire de faire disparaitre un mouvement qui par ses buts, comme par ses méthodes, allait à l’encontre de toute idée de progrès et de démocratie.
Les comités de villages vont naitre, tout le sud-Cameroun  est désormais dote de communes rurales, des communes de plein exercice commenceront bientôt a fonctionner. Le gouvernement vient enfin de soumettre au conseil d’Etat et déposera devant avant les vacances parlementaires, le projet de pouvoirs de l’Assemblée territoriale.
Il eut été inconcevable au regard de ces progrès rapides du Cameroun et de l’accession des Camerounais à la gestion de leurs affaires, de laisser subsister un mouvement totalitaire.
Dans le Cameroun d’aujourd’hui, la démocratie et l’UPC sont incompatibles »[11].
 
Les déclarations ci-dessus donnent une explication très claire des raisons qui ont poussé l’administration à faire ‹‹disparaitre›› de la scène politique le seul parti politique camerounais actif au moment des événements de mai. La nature même de l’UPC, décrite ici simplement comme ‹‹totalitaire››, était jugée incompatible avec le Cameroun auquel les Français avaient l’intention de donner une plus grande autonomie politique. Pour vérifier que la déclaration ci-dessus exprimait réellement le point de vue de l’Administration française, il nous suffit de nous reporter au Chapitre 5, ‹‹ La résistance à l’agitation s’organise››, dans le Livre blanc sur les incidents :
 
‹‹ Il ne fallait qu’a aucun prix que ce parti, qui ne rencontrait jusqu’alors aucune opposition concertée continuât à faire tache d’huile, à intensifier le recrutement de ses adhérents, à développer la mise en place de ses organismes de base, à discréditer par une propagande très orientée l’ensemble de l’œuvre française au Cameroun et n’arrivât ainsi à brève échéance à nous placer devant une situation de ce fait contraire à l’intérêt supérieur du territoire.
La solution du problème revêtant d’ailleurs un caractère d’une urgence extrême : d’abord étant donné l’importante organisation de l’UPC… ce qui laissait présager la possibilité d’une possible extension dans les mois qui allaient suivre ; mais aussi à cause de l’inertie des autres partis…déjà, dans les quartiers de Douala et, même dans certains villages plus particulièrement soumis à la pression upéciste, les cadres administratifs avaient été remplaces par des organes politiques ››[12].

Cette seconde déclaration de l’Administration dément clairement la thèse selon laquelle l’UPC déclencha les événements de mai par désespoir devant ses forces déclinantes. Bien au contraire, l’UPC était sur le point, et c’est là l’opinion de l’Administration elle-même, d’obtenir un succès plus grand encore dans son recrutement, dans l’extension de son organisation et dan sa propagande contre la domination française. Et, qui plus est, l’inertie des autres partis face aux progrès de l’UPC auraient rapidement confronté l’Administration au fait accompli d’une structure administrative upéciste parallèle. La question est donc de savoir pourquoi l’UPC aurait choisi cette période pour déclencher une lutte armée.
 
On doit l’illustration photographique de cet extrait aux auteurs de « Kamerun ! Une guerre aux origines de la Françafrique, 1948-1971 » (Editions La découverte. Pour des infos approfondies sur « l’histoire cachée » du Cameroun, on consultera utilement le site www.kamerun-lesite.com ou le lien : http://www.facebook.com/pages/Kamerun-Une-guerre-cach%C3%A9e-aux-origines-de-la-ran%C3%A7afrique/177827458911447

[1]  Voir Le Monde, 29-30 mai 1955 ; D. Gardinier,  United Nations Challenge, p. 69 ; V.T. Le Vine, Political Parties and National Integration, p. 141 ; et Le Parisien Libéré, 30 juin 1955.
[2]  Voir Le Monde, du 10-11 juillet 1955 ; UNTC, T/OBS, 5/71, p. 8 ; et Gardiner, United Nations Challenge, p. 69.
[3]  Voir Le Monde, 29-30 mai 1955 ; C. Welch, op. cit. , p. 188 ; Afrique Nouvelle, 8 janv. 1957 ; Afrique France Presse (outre-mer), 1er juin 1955 ; et Inter-Afrique Presse, 9 juin 1955.
[4]  Carnets secrets, vol. II, p. 348.
[5]  Ibid., p. 365.
[6] Inter-Afrique Presse, 2 juin 1955. La population du RDA interterritorial dans les émeutes de mai sera étudiée dans le chapitre 10. Il faut noter que Houphouët-Boigny confia à son‹‹lieutenant le plus habile et le plus sûr››, Ouezzin Coulibaly, des missions comparables et tout aussi fructueuses ailleurs en Afrique française pendant cette période. Sur ces activités en Guinée avec le PDG  en 1954, voir R.S. Morgenthau, op. Cit, p. 241 ; et en Haute-Volta en 1956, où il favorisa la fusion des deux groupes existant pour former le Parti Démocratique Unifié (PDU), voir Virginia Thompson, West Africa’s Council of the Entente, (Ithaca and London, 1972), p. 6.
[7] Willard Johnson, ‹‹Union des Populations du Cameroun in Rebellion: The Integrative Backlash of Insurgery››, dans Protest and Power in Black Africa de Roberg et Mazui (ed.) (New York, 1970), p. 672. La même analyse est faite par Johnson dan son livre The Cameroun Federation, pp. 348-50.
[8] ‹‹Union des populations du Cameroun in Rebellion››, p. 673.
[9] Ibid.
[10] Ibid
[11] Les émeutes de mai, passim.
[12]  Bulletin d’information et de Documentation, 16 juillet 1955. P. 5.
         

© Correspondance : T. NONO


29/05/2012
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