Vanessa Tchatchou: Mon billet de sortie, ce sera mon enfant

YAOUNDE - 30 JAN. 2012
© Josephine Abiala | Mutations

La jeune maman du bébé volé qu’on accuse de trouble au sein de l’hôpital, dit toute sa détermination à aller jusqu’au bout.


La jeune maman que nous avons rencontrée à l’Hôpital gynéco-obstétrique revient sur les circonstances de disparition de son bébé et fait part des graves menaces qui planent sur sa sécurité. Substance de l’entretien.


Comment te sens-tu ?

Je me sens très mal parce que je suis venue à l’hôpital pour accoucher. Et j’ai d’ailleurs bien accouché, mais comme par miracle, mon bébé s’est volatilisé le jour même où il est venu au monde.


Comment passes-tu tes journées depuis le 20 août 2011 ?

Elles sont assez difficiles. C’est presque la même chose. Je me lève, je prends mon bain et j’erre dans les couloirs de l’hôpital en attendant une quelconque visite d’un membre de ma famille.


Quel est le regard des autres sur toi ?

Toutes celles qui passent dans la salle 2 sont compatissantes à ma douleur et m’encouragent dans mon combat.



Et que pense le personnel de l’hôpital ?

Lorsque je passe dans les couloirs, je surprends parfois certains regards posés sur moi. Du coup, je sais qu’on parle de moi. Mais je ne prête pas une grande importante à cela.


Pourquoi insistes-tu en restant dans ce lieu ?

Je suis là parce que je veux qu’on me rende ma fille. Dès que ce sera chose faite, je m’en irai.


Des enquêtes sont actuellement en cours. Le sais-tu ?

Je l’ai entendu.


Et pourquoi ne veux-tu pas toujours libérer le lit n°12 ?

Parce que je sais que, si je pars maintenant, rien ne sera fait et on n’en entendra plus parler. Si déjà c’est difficile qu’on trouve mon enfant en ce moment, ce ne sera pas évident lorsque je vais rentrer à la maison. C’est la seule façon pour moi de faire entendre ma voix.


On dit aussi que vous restez là alors que vous ne payez rien, que c’est pour cela qu’on vous demande de partir…

Ce n’est pas vrai ! Nous avons payé la caution pour la couveuse, nous avons nos reçus. C’est juste la chambre que nous refusons de payer. Le directeur avait demandé au major (une dame) de me donner un billet de sortie. Elle est venue me dire cela, et je lui ai rétorqué que je ne peux pas partir sans mon enfant. Elle est partie rendre compte, et le directeur est personnellement venu me voir et m’a dit qu’il allait facturer tout ce que nous avons dépensé afin de nous rembourser. Après quoi, il nous dit: «Fichez le camp !» Je lui ai répondu que je ne voulais pas de dédommagement, mais mon enfant. Le temps est passé avant qu’une facture de 150.000 Fcfa nous soit servie. Une facture que ma mère a refusé de prendre et a renvoyée. Je veux préciser que mon billet de sortie, ce sera mon enfant.


Avant d’enfanter, combien de visites as-tu effectuées dans cette formation hospitalière ?

J’ai fait toutes mes trois visites ici, où j’ai rencontré à chaque fois des médecins différents. Tout se passait normalement.


Pendant ces visites, rien ne t’a jamais frappé ?

Je sais qu’un médecin m’a dit que, si j’avais mal, quelle que soit l’heure, je devais seulement venir ici à l’hôpital. J’avais six mois de grossesse.


Tu es très jeune. N’as-tu jamais pensé à avorter ?

C’est vrai que la grossesse est arrivée sans que je m’y attende. Mais, lorsque je l’ai su, j’ai décidé de garder le bébé surtout que j’avais le soutien de ma famille. De plus, j’avais une amie qui a tenté d’avorter et elle en est morte. Et cela ne m’a jamais effleuré l’esprit. Je voulais cet enfant.


N’avais-tu pas honte de cette grossesse ?

Jamais ! Je vivais une expérience inédite.


Et le jour de l’accouchement, as-tu eu le temps de contempler ton enfant ?

Pas vraiment. On est venu me poser le bébé entre les mains lorsque j’ai accouché. Je n’avais pas la force pour la serrer dans mes bras. Elle y est restée juste à peine 2mn, et une infirmière est venue la récupérer. J’étais fatiguée, et je me disais qu’on avait le temps de faire connaissance.


Te souviens-tu exactement de ce qui s’est passé ce jour-là ?

Nous sommes arrivées à l’hôpital aux environs de 5h du matin. Nous étions à la salle d’attente puisque j’étais en travail et on a prié maman de sortir. Une infirmière, qui elle-même semblait avoir le même nombre de mois de grossesse que moi, s’est exclamée en disant: «On va voir l’enfant qui va sortir de ce petit ventre !» Surtout qu’elle avait un ventre vraiment plus gros que le mien. Je suis allée en salle d’accouchement et j’ai enfanté. J’ai juste eu un bref contact avec mon bébé. J’étais tellement fatiguée. On m’a enfin installée dans mon lit. J’ai discuté avec maman, qui est ensuite sortie avec le placenta. J’ai eu la visite d’une infirmière, et un pédiatre est passé déposer deux ordonnances. Mme Béatrice Ndemba, une infirmière, est venue les changer, demandant que je dise à maman d’acheter plutôt les médicaments de la nouvelle prescription. Elle est revenue quelques heures après, accompagnée d’une autre infirmière pour me dire que maman avait volé le bébé. Par la suite, j’ai appris que c’était elle qui se trouvait en néonatalogie ce samedi, 20 août 2011.


Et depuis, la revois-tu ?

Je ne l’ai pas revue pendant quelques temps. Elle ne passait plus dans mon secteur parce que tout le monde savait que, chaque fois que je la voyais, j’allais lui demander des explications sur la disparition de mon enfant. Ils ont fait en sorte qu’elle ne vienne plus, mais je la revois ces derniers temps.


Que pense le père du bébé ?

Contrairement à ce que certains disent, il est toujours là et a toujours été là depuis la grossesse. Il est très triste, parce que lui-même voulait cet enfant. Il me soutient et espère que la vérité finira par triompher.


Quelqu’un ne t’a jamais proposé de l’argent ?

Non, sauf le directeur de l’hôpital qui avait promis de nous épauler. Mais nous avons toujours refusé. Un jour, il dit qu’il voulait aider ma mère qui est une veuve. Il disait que ce n’est pas facile, pour une femme, d’élever quatre enfants seuls. Il voulait que je reparte à l’école. C’était en novembre 2011. Ma mère lui a expliqué que cela n’était pas nécessaire et que, depuis le décès de mon père, elle a toujours trouvé la force pour nous envoyer à l’école – tous les ans, nous sommes à l’école.


C’était la dernière fois que tu avais un contact avec le directeur ?

Oui, c’était le 23 novembre. C’est ce jour-là que nous avons eu cet échange.


Que te dit ton instinct de mère?

Je pense que mon enfant est bel et bien en vie. Le jour de l’accouchement, le médecin a dit qu’elle était bien portante et que ce n’était que le petit poids qui faisait problème.


On a appris que, depuis six mois, tu n’as pas toujours dormi dans ton lit. Pourquoi ?

Le plus souvent, je dors dans mon lit. C’est vrai que, depuis le jour où ils m’ont retiré la moustiquaire et le rideau, j’ai peur pour ma vie. Surtout que la major de la maternité A, qui a retiré cela, venait, m’insultait et me disait que j’aurais honte lorsque je partirai de l’hôpital. Nous avions compris que c’était pour mieux nous exposer aux autres. Je savais que beaucoup, parmi elles, n’étaient pas contentes de me voir là. Ce qui faisait que, parfois, je dormais avec les gardes malades à l’extérieur ou dans l’antichambre. J’ai souvent peur pour ma vie. Je sais que beaucoup ne veulent pas de moi ici puisque, souvent, le major par exemple m’a fait savoir que ce n’est pas là que j’ai perdu mon bébé et qu’il faut que je libère son lit pour aller en néonatalogie, où mon bébé a été volé. Cette dernière a toujours estimé que ma mère ne voulait pas mon bien et que, si c’était le cas, elle m’aurait déjà ramené à la maison.


Combien de temps es-tu restée sans moustiquaire ?

Environ un mois. Et puis, un jour, elle est venue installer une moustiquaire de couleur blanche, bien sale et percée par endroits alors que tous les autres lits de la maternité avaient des moustiquaires de couleur bleue. Dernièrement, lorsque je suis sortie pour aller chez le procureur et à la gendarmerie, on m’a expliqué qu’elle voulait mettre une autre personne dans mon lit. C’est pourquoi, elle a changé de moustiquaire pour mettre celle qui est là actuellement, qui a la même couleur que les autres. C’est celle-là même que la Crtv a filmée.


Voilà cinq mois que tu ne vas pas à l’école. Cela ne te manque-t-il pas ?

Si, mais je veux mon bébé !


As-tu des nouvelles de ton école?

J’ai des camarades qui viennent me voir chaque semaine depuis que je suis ici, et je sais tout ce qui se passe là-bas.


Et que pensent tes enseignants?

Certains pensent que je dois laisser l’affaire et reprendre l’école ; d’autres m’encouragent et espèrent que justice sera faite.


Pourquoi ne veux-tu pas passer à autre chose ?

C’est de la vie de ma fille qu’il est question ! Je sais qu’elle n’est pas morte. Elle est en vie quelque part. De plus, après sa disparition, ma famille a été humiliée dans cet hôpital. On a été insultés, on nous a accusés d’avoir nous-mêmes volé l’enfant. On a même dit que l’enfant avait deux pères, et que c’est le deuxième père qui l’a volé. On a voulu nous intimider, mais nous sommes restés. Souvent, je reçois des menaces des infirmiers, mais je ne veux pas baisser les bras. J’ai tout entendu, comme versions. Aujourd’hui, je sais que je suis devenue leur pire ennemie, au point que certains viennent me voir et disent que je suis responsable du scandale que traverse l’hôpital, et que j’expose leur directeur général.

Propos recueillis par Josephine Abiala



30/01/2012
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