Vacance du pouvoir au sommet de l'Etat: La République est en danger

DOUALA - 18 Septembre 2012
© Jean Robert WAFO | Correspondance

La Constitution et le Code électoral sont des éléments fondamentaux dans les mécanismes de dévolution du pouvoir dans un pays. C'est pourquoi dans des pays sérieux et des républiques démocratiques, ces deux ensembles ont toujours fait l'objet d'un Consensus national incluant toutes les forces vives d'une Nation plutôt que celui d'un passage en force tel qu'on a observé en avril dernier au Cameroun.

Tenant compte des éléments inscrits dans notre Constitution et dans notre Code électoral adopté par les députés du parti-Etat, on est en droit de dire qu'il y a de forts risques de feu nucléaire en cas de vacance au sommet de l'Etat. Ceci pour plusieurs raisons:

L'organe chargé de constater la vacance en l'occurrence le Conseil constitutionnel n'a pas encore été créée. On nous indique dans la Constitution que la Cour suprême agit en lieu et place du Conseil constitutionnel. Pour agir en lieu et place d'un organe, celui-ci doit au préalable exister. Seuls les esprits irrationnels peuvent agir en lieu et place d'un fantôme.

-L'intérim est assuré par le Président du Sénat. Le Sénat qui existe dans la Constitution depuis 1996 n'a pas encore vu le jour. La Constitution indique tout au plus que l'Assemblée nationale joue le rôle du Sénat dans le cadre du Parlement qui est censé être bicaméral. Nulle part on indique que le président de l'Assemblée nationale peut assurer l'intérim. Encore que l'on peut opposer le même raisonnement à savoir que pour être en lieu et place d'une personne, celle-ci doit au préalable exister.

- En l'état actuel du fichier électoral qui est vide du fait de la refonte des listes, si un cas de vacance survient demain pour une raison quelconque, il n’y aura pas de candidat à la future élection présidentielle en raison de ce qu'aucun candidat n'est inscrit sur une liste électorale. Pour la même raison, il n’y aura pas d'électeurs car pour être électeur, il faut être inscrit sur une liste électorale.

- Prenons même un scénario surréaliste où le président par intérim est désigné par consensus dans le parti-État. Ce qui serait tout de même surprenant au vu des batailles féroces qui ont cours depuis des décennies au sein de l'oligarchie régnante. Quand pourrait se tenir la prochaine élection présidentielle à laquelle il ne participera pas? L'article 86 du code électoral inique stipule que l'intervalle entre le décret de convocation du corps électoral et la date du scrutin est de 90 jours au moins. Mais en même temps, le président par intérim peut violer cette disposition en organisant l'élection présidentielle le 21ème jour suivant la constatation de la vacance. Il lui suffira juste de s'appuyer sur l'article 146 de ce code pernicieux qui indique qu'il a 20 jours au moins et 120 jours au plus pour organiser l'élection.

Il est donc important qu'un débat inclusif soit organisé sur le code électoral actuel qui contient des dispositions contradictoires et que soient créés dans l'urgence les organes prévus dans la Constitution de janvier 1996 à savoir notamment le Sénat et le Conseil constitutionnel. Aucun républicain dans l’âme ne peut justifier l'absence dans un pays aussi complexe que le nôtre (plus de 250 ethnies) l'absence d'un conseil constitutionnel ou d'un Sénat qui sont pourtant fortement impliqués, si l'on s'en tient à notre loi fondamentale, dans les mécanismes de dévolution du pouvoir en cas de vacances au sommet de l'Etat. Quand il s'était agi de modifier l'article 6 al 2 pour lever le verrou de la limitation du mandat présidentiel, le décret d'application avait été signé le lendemain de son adoption à l'Assemblée nationale par le Président de la République. Il suffit donc d'une simple volonté politique au sommet de l'Etat. L'avenir de notre pays en dépend. La stratégie de l'évitement entretenue sur les scenarii de la vacance par les politiques, la société civile et toutes les autres organisations est dangereuse. C'est comme si tout le monde voyait un tsunami arriver et personne n'osait lancer l'alerte. Quelque soit le bout par lequel on prend les dispositions du code électoral et de la Constitution actuellement en vigueur, la République est en danger.

Jean Robert WAFO
Secrétaire régional à la communication SDF Littoral




MANASSÉ ABOYA ENDONG: «Le cocktail est explosif»

Le politologue analyse les risques liés à une éventuelle vacance au sommet de l'Etat.

Y a-t-il des dangers qui planent sur la stabilité institutionnelle et sociale du Cameroun en cas de vacance à la présidence de la République?

A priori, on ne saurait convoquer sans l'aide d'indicateurs spécifiques les perspectives supposées dangereuses sur la stabilité institutionnelle et sociale du Cameroun sans évaluer l'armature juridique et constitutionnelle, voire institutionnelle destinée à encadrer la vacance à la présidence de la République, en l'occurrence l'article 6 de la Constitution et la loi modifiant et complétant les conditions d'élection et de suppléance à la présidence de la République. Pris dans ce sens, et au regard de ces dispositions en vigueur, on ne peut que faire le constat d'un encadrement incomplet d'un scénario de la vacance du pouvoir au Cameroun, avec notamment l'existence d'une procédure constitutionnelle répondant à ce cas de figure, doublée malheureusement d'une mise en place inachevée des institutions concernées par la gestion de cette vacance, en l'occurrence le Sénat et le Conseil Constitutionnel. Quand on ajoute à cette ambiguïté institutionnelle: un organe chargé de la gestion et de la supervision du processus électoral (ELECAM) querellé, un Code électoral boudé, un fichier électoral entre-parenthèses pour des raisons de biométrie, des forces sociales sur le pied de guerre, notamment embrigadées dans le double étau de la corruption et du tribalisme, etc., on ne peut qu'éprouver un sentiment de crainte par rapport à ce cocktail explosif qui plane sur la stabilité institutionnelle et sociale du Cameroun en cas de vacance à la présidence de la République.


En dehors des limites de l'armature institutionnelle, est ce que les réalités propres au Cameroun en termes de sociologie et de psychologie des acteurs politiques et institutionnels (l'armée, par exemple), ne sont pas de nature à vicier le passage de témoin?

Les réalités que vous évoquez sont malheureusement favorisées par la faiblesse de l'armature institutionnelle, à la fois balbutiante et inconséquente. En effet, on ne saurait envisager ces cas de figure que vous évoquez fort à propos dans un environnement où l'Etat s'est affranchi de la bonne gouvernance, du tribalisme, des circuits parallèles, des velléités hégémoniques, etc., en cultivant quotidiennement le consensus et l'adhésion aux normes républicaines. C’est à l'État que revient le droit d'encadrer la société par la démocratie. Si le mouvement contraire prend forme, on peut effectivement être exposé à des scénarios inattendus, en marge du référentiel démocratique comme modèle constitutionnel d'accession au pouvoir.


Au Ghana, en Ethiopie ou encore au Gabon, la transition s'est relativement bien passée. Comment le Cameroun peut-il capitaliser ces exemples?

Le Sénégal doit être ajouté à cette liste pour le moins restreinte. En effet, contrairement au Cameroun, ces différents pays ont travaillé à la mise en place des institutions solides encadrant la démocratie, mobilisant à la fois le consensus et l'adhésion de leurs peuples aux règles de fonctionnement. Le Cameroun ne peut pas valablement explorer cette perspective tant qu'on va continuer à considérer la démocratie comme une politique d'embuscade permanente visant l'opposition, au lieu de viabiliser de manière consensuelle un cadre propice à l'ancrage des institutions démocratiques.


Les longs (courts) séjours privés du chef de l'Etat à l'étranger et l'âge avancé du capitaine ne ravivent-ils pas les craintes d'un empêchement au sommet de l'Etat d'un moment où on s'attendrait le moins...

Le débat tournant autour des séjours privés récurrents du chef de l'Etat à l'étranger dévient monotone, si tant est qu'il est au cœur de l'actualité politique depuis plus d'une dizaine d'années déjà. Toutefois, s'il est indicateur de ce que les Camerounais éprouvent le besoin d'être gouverné autant par la présence permanente que par les actes conséquents de leur chef d'Etat, il ne traduit pas moins une somme d'inquiétudes et des craintes tournant davantage autour de la validité de la gestion institutionnelle éventuelle de la vacance du pouvoir que sur un empêchement proprement dit au sommet de l'Etat. Il vaut mieux prévenir cette éventualité juridique que d'affronter sans outils conséquents une complexité opérationnelle...


A votre avis, est-ce que les puissances étrangères pourraient jouer un rôle dans l'encadrement de la transition au Cameroun?

Les puissances étrangères sont manifestement intéressées par la question de la transition politique, si tant est qu'elles revendiquent à la fois une proximité avec certains acteurs politiques qu'elles comptabilisent de nombreux investissements au Cameroun. Il ne saurait cependant leur revenir le rôle d'encadrer le déroulement de cette transition, le Cameroun étant un Etat souverain. Toutefois, leur droit d'ingérence peut devenir incontrôlable si la conduite du processus électoral venait à échapper au contrôle des autorités en place, cédant éventuellement le pas à une guerre civile. Ce qu'il ne faut aucunement souhaiter!!!

G.A.B Source: Mutations

Source: La Detente Libre, 18/09/2012


22/09/2012
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