UN SEUL MOT : CONTINUEZ !

Publié le 13-11-2013  |  (Douala - Cameroun). Auteur : Francis KWA-MOUTOME

L’anecdote raconte que le frère de Christian TOBBIE KOUOH a été embastillé pour détournement de deniers publics, alors que ce dernier était Secrétaire général à la présidence de la République. Le Président AHIDJO ayant trouvé dangereux pour lui-même qu’un homme avec tant de pouvoir laisse emprisonner son frère, écartera de son entourage immédiat monsieur TOBBI KOUOH. Le fait même qu’il ait sanctionné la rigueur de son mentor prouve à suffire qu’en matière de concussion, tout n’a pas non plus été blanc du temps du Président AHIDJO. Que n’a-t-on pas dit en ce qui concerne les pots-de-vin versés lors de la réalisation de l’ « axe lourd » Douala-Yaoundé ? Ou encore de la gestion opaque des ressources pétrolières ? Avec son système à deux vitesses, le Président AHIDJO va promouvoir, de-ci de-là, et des hommes d’affaires et des cadres de haut niveau issus du Grand Nord. Par mimétisme, l’ère des gandouras dans les couloirs des hautes sphères bancaires était née. Décideurs économiques et hommes politiques, musulmans ou non, originaires du Nord comme du Sud, chacun y allait du soulèvement alterné de ses bras au-dessus de sa tête pour ranger sur les épaules les manches amples de sa gandoura. Ce népotisme et ce clientélisme seront exacerbés sous le Président BIYA.

Pour comprendre le fonctionnement de ces deux régimes, l’un étant du reste l’émanation, pour ne pas dire la tuméfaction, de l’autre, il convient d’aborder les axes sociologique, organisationnel, économique, et démocratique, tant il tombe sous le sens qu’il y a une relation de cause à effet entre eux et la concussion, la corruption, la gabegie, l’incurie, le népotisme le clientélisme et l’affairisme qui constituent l’essence de la détérioration de notre gouvernance. Ces calamités existent dans toutes les vieilles démocraties, mais peu, parce qu’elles sont traquées, décriées et combattues dès qu’elles sont découvertes. Il ne suffit donc pas de casser le thermomètre pour faire baisser la température. De même, une litanie de griefs qui virent aux jérémiades ne servirait à rien sans ne serait-ce qu’une amorce de propositions, mais surtout d’actes concrets qui s’inscrivent dans la cohérence. Ecoutons, lisons, faisons lire et réfléchissons avec esprit de critique mais surtout d’autocritique. S’émerveiller devant les réalisations des autres et en rêver, comme un enfant d’un paquet de bonbons, pour en faire chez soi une réalité prodigieusement améliorée. L’enfer, c’est toujours les autres. Et il est permis de se tromper, mais pas de tromper les autres. Tels sont les enseignements que nous tirons du discours d’Accra de Barack OBAMA qui nous rappelle que l’Afrique ne peut être construite que par les Africains eux-mêmes.


Parce qu’il y avait donc anguille sous roche, le cri de guerre « rigueur et moralisation », ambition progressiste fort pertinente, lancé par Paul BIYA lors de son avènement au pouvoir s’avèrera être plus qu’une bouffée d’air frais et sera accueilli avec des hourra. Le ci-devant Premier ministre étant mieux placé que quiconque pour savoir de quoi il retournait, l’espoir qu’il suscitera sera incommensurable, tant cette audace était porteuse de tenants et aboutissants assurant une incroyable avancée sociale. Pensez donc ! Un ancien séminariste agrémenté de solides études universitaires ne peut être qu’un humaniste, un homme sensible au bien-être d’autrui, par conséquent orienté vers le progrès, se dira-t-on. Il est à tout le moins étonnant que lorsqu’on connaît le rôle d’un président de la République dans notre système, ce dernier ne se rende compte qu’au bout de 27 ans (sans inclure les années au cours desquelles il était Premier ministre), de l’ampleur du pillage de la maison dont il est le gardien. Car la concussion et la corruption se sont étendues telles que les policiers dans leurs nombreux mais néanmoins illégaux (nous ne sommes pas en état d’urgence, que nous sachions !) barrages, en sont à négocier auprès des chauffeurs de taxis qu’ils interpellent, aux dires de ceux-ci, des capsules gagnant une bouteille de bière pleine.

La « biyanie » n’en serait-elle donc pas à un acte d’opprobre près ? Après le top 50 des hautes personnalités supposées homosexuelles, nous avons lu la liste des prétendus fonctionnaires indûment milliardaires, bien que Albert MBIDA ait semblé dans une interview, condamner les innocents de cette liste et en innocenter les condamnés. Le roi Midas, transformait en or tout ce qu’il touchait, mais, symbole significatif, il avait aussi une malformation qui le rendait antipathique. Elle est belle, notre République où, selon les journaux, pédérastes et mafieux se donneraient la main, s’ils ne se confondraient pas, dans les arcanes du pouvoir. « Man no run ! »*.

Lance pourtant le chef à ses acolytes qui connaissent tout de même un frémissement, une frayeur. Car, comme une sorte de prime aux meilleurs voleurs, il est anachronique que plus ces gens-là étaient soupçonnés de concussion et plus ils bénéficiaient d’une promotion. «Euh, un seul mot : euh continuez ! », est la phrase chère à notre bien-aimé Président pour encourager les performances (…) de ses « chers euh compatriotes ». Lorsqu’on compare les fortunes des barons de son régime à ceux d’un ZRADOUA ou d’un TANKO Hassan par exemple, on verra que ces derniers font figure de pauvres par rapport à leurs homologues de la Réunion des pontes corrompus (Rdpc). Toutes ces pontes rdpcistes ont un patron : le Président BIYA avec sa double casquette. Il est assez curieux que dans l’un de ses discours, celui-ci ait demandé au peuple de lui présenter ceux qui détournent les fonds publics et qu’aujourd’hui, daignant donner un timide coup de botte à la fourmilière, il en trouve à foison.

Tant et si bien que certains tentent même de prendre la poudre d’escampette avec nos milliards pleins les valises, en sonnant la cloche de bois. Un proverbe duala dit que le poisson commence à pourrir de la tête. Et pourtant ! François MATTEI devrait faire une pétition demandant à l’ONU que La France récupère Paul BIYA pour nous refiler, - les mauvaises langues se demanderont si ce n’est pas le moindre pire - Nicolas SARKOZY. Oui, Sa Pureté François MATTEI, chez nous le poisson commence à pourrir de la tête. Vous avez canonisé saint, notre « Président fondateur » à qui on donnerait le Bon Dieu sans confession, l’éternel après l’Eternel, l’irremplaçable s’il en fut, l’inoxydable, « le Un des Uns » (comme dirait notre Petit Pays national), - n’en jetez plus, la cour est pleine ! -, en décryptant « Le Code Biya », sans déconner (oh, pardon !), sans être commandité et sans avoir rencontrer l’intéressé (une performance tout de même pour une telle hagiographie !), à vous en croire. Nous le trouvons aussi excellent, exceptionnel. Oui mais, dans son rôle d’intermédiaire dans votre champ d’esclaves que vous n’avez eu de cesse d’exploiter.

Quoi de plus normal donc que votre « saint homme » se rende en « pèlerinage » en « terre sainte » française recevoir son onction ? Seulement, voyez-vous, il est rattrapé par une enquête sur les biens mal acquis, ouverte par une ONG. Malgré la présomption d’innocence dont bénéficie tout mis en cause, ce soupçon nous conduit à nous poser des questions. Si c’était une « balance », monnaie courante si l’on ose dire, en milieux maffieux tel que celui qui l’environne, à en croire les journaux ? Et pourquoi pas une histoire d’arroseur arrosé, une sorte d’effet boomerang ? A moins que ce ne soit la vengeance contre une épuration politique qui n’a pas dit son nom dès le départ, mais qui consisterait à mettre derrière les barreaux ses potentiels rivaux ?

Si tel n’est pas le cas et si Paul BIYA lui-même ne se fait pas attraper, il pourrait être sauvé par le principe du service a minima offert à leurs peuples par nos dirigeants, en prévision d’une distraction ou simplement d’une enflure du portefeuille directement proportionnelle aux richesses disponibles. Ainsi, la Guinée Equatoriale (avec un PIB par habitant de 7 802$), le Gabon (PIB/hab.: 6 527$) et le Congo Brazzaville (PIB/hab. : 2 147$), plus riches que le Cameroun (PIB/hab. : 1002$) par rapport à leurs superficies et à leurs populations, ont des présidents, leurs familles comprises, aux fortunes colossales, en tout cas sans rapport avec leurs émoluments, nous apprennent les médias. Ils n’ont même pas eu un bourdonnement de conscience leur dictant de réinjecter l’argent ainsi amassé dans les économies de leurs nations, pénalisant celles-ci par le fait même. Cela se ressent d’ailleurs quand on considère leur produit intérieur brut à parité de pouvoir d’achat (PIB/PPA), puisque avec une évidente dépréciation, ils se retrouvent inversement au 127e rang (Congo), 124e (Guinée Equatoriale), 111e (Gabon) et 88e (Cameroun). Signalons que la PPA est le principe selon lequel le taux de change entre deux devises est déterminé sur une longue période par le rapport entre leur pouvoir d’achat.


« Euh » nous « voici donc euh à Douala » (non, lapsus calami), nous voici tout de même face aux arrestations significatives et à la mise en examen des commis de l’Etat pour détournement de deniers publics et corruption. Cette délinquance financière s’explique par le manque de civisme et du sens de l’intérêt communautaire aggravés par notre incapacité à produire des richesses, des connaissances valorisables économiquement et l’absence d’une société organisée. Tout au long du règne de Paul BIYA, on se rendra hélas compte que si sous le président AHIDJO, on était homme d’affaires, le président BIYA a ouvert l’ère de l’affairisme, du bricolage économique et des trafics en tous genres. Déjà, il a supprimé les plans quinquennaux qui étaient d’excellents tableaux de bord pour un pays en construction, ainsi que tous les organismes ayant trait à la stimulation, à la régulation et à la promotion d’une économie organisée et industrialisante.

A contrario, les salles obscures de jeux, propices au blanchiment d’argent sale qu’avait interdites le Président AHIDJO, prospèreront. L’argent est devenu roi. Ses corollaires seront la cupidité et la vénalité qui sous-tendront les fortunes douteuses sans traçabilité surgissant çà et là ainsi que la concussion. Surtout que les salaires des agents publics avaient baissé de manière drastique, aggravant l’absentéisme dans les services administratifs, en même temps que le régime en place clochardisait bon nombre de professions libérales, dans une société de plus en plus chère, de plus en plus dure pour sortir la tête de l’eau.

Le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) est de l’ordre de 35 000 FCFA, soit 10 à 15 fois moins qu’un budget, hors loyer, d’un couple aisé, classe qui représente 5% de la population (environ 900 000 personnes), dans l’hypothèse la plus optimiste. Les syndicats et autres groupes de pression sont, soit inexistants, soit bâillonnés par la répression dès qu’ils lèvent le petit doigt. Il y a à boire et à manger en ce qui concerne les volets social, éducatif et écologique dans notre Etat prédateur, à telle enseigne qu’en parler demanderait un livre entier à part. La formule « rigueur et moralisation » deviendra un simple slogan creux servi par les thuriféraires du régime BIYA. L’homme du Renouveau incarnera la gabegie, l’incurie, au point de laisser la gestion de l’Etat aux institutions de Bretton Woods, tandis que des lustres de corruption enseveliront l’espoir des citoyens dans la précarité.


Après sa montée au pouvoir en 1982, Paul BIYA déclarera urbi et orbi que le Cameroun se portait bien et que nous n’irons pas au FMI. La « biyanie » nous fait penser à un homme jadis cousu de pistoles qui roulait carrosse (c’était le Cameroun, pays à revenu intermédiaire) et qui, à cause d’une mauvaise gestion, se retrouvant ruiné sans même un vélo, fait la manche en haillons flottants au coin de la rue en bombant le torse de fierté et en se gargarisant d’être enfin devenu misérable (c’est le Cameroun classé désormais parmi les pays pauvres très endettés – Ppte – et fier de l’être, s’enfonçant d’ailleurs dans ce gouffre en s’engageant à nouveau dans la spirale des endettements). La Côte d’Ivoire qui du temps d’Houphouët Boigny semblait être sinon le seul, du moins l’un des rares fleurons francophones post-coloniaux de réussite économique et de prospérité, vient à son tour de fêter avec tambours et trompettes son entrée au club des Ppte. Bienvenue au club ! Lui souhaite le Gabon, lui-même membre, pourtant notre Koweït africain, toutes proportions gardées. Les Emirs du Golfe persique eux, tout en fréquentant les casinos et les grands palaces du monde entier à ce qu’on dit, développent aussi leurs pays, allant pour certains, jusqu’à rendre gratuites la santé et l’éducation. Que veut le peuple ?

Car, tel est le paradoxe africain et l’une des inventions néfastes des institutions de Bretton Woods en tant qu’elle récompense la médiocratie. Leurs actes criminels rappellent quelqu’un qu’on précipiterait dans un puits profond en lui jetant ensuite une corde pour qu’il se la passe au cou afin qu’on la tire pour le sauver. Comment peut-on nous imposer, et nous, accepter, des privatisations à tout va de nos secteurs de souveraineté, des secteurs dans lesquels seul l’Etat peut investir pour offrir à la population des tarifs abordables ? La France a mis du temps pour consentir à privatiser Gaz de France (GDF). Elle traîne le pied pour Electricité de France (EDF), l’équivalent de notre ex SONEL. La SNCF, pendante de notre ex REGIFERCAM, et la RATP (l’alter de notre ex SOTUC) ne sont même pas en ligne de mire des privatisations françaises. Sait-on que le budget de la RATP est supérieur à celui de l’Etat du Cameroun ? Dès les premiers effets de la récente crise financière, les Etats-Unis, chef de file des ultra-libéraux, n’ont trouvé rien moins que de nationaliser certaines de leurs grandes banques. A nous en croire, c’est la faute aux Blancs si nous n’évoluons pas. Nous avons toujours refusé d’endosser la moindre responsabilité de nos maux, ce qui fait de nous des éternels assistés, du sommet à la base.

C’est cela, la vie familiale au village. Si encore nos pleurs sempiternels, à l’instar de ceux des Juifs, nous rendaient plus forts, on comprendrait. Comme nous, les Asiatiques ont été dominés, colonisés par les Occidentaux. Toutefois, ils ont su adapter leurs valeurs essentielles aux technologies modernes, jusqu’à réussir à damer le pion aux Occidentaux. Il y en a même, le Japon, pour ne pas le nommer, qui se sont relevés de bombardements atomiques !

Car il existe un système immunitaire des sociétés, qui rejette tout code culturel exogène, sauf lorsque lesdites sociétés sont suffisamment affaiblies, au point de ne plus résister à cette agression. Or pour ce qui est des produits manufacturés, nous avons extraverti notre mode de consommation, renonçant du même coup à valoriser nos cultures pour qu’elles soient transcendantes au même titre que les autres cultures universelles. Cette fixité se traduit entre autres par l’art nègre qui, par civilité, a changé d’appellation, passant de l’art primitif à l’art premier sans pratiquement évoluer d’un iota, des temps immémoriaux. Depuis la préhistoire, on a observé le type de sociétés dites traditionnelles, caractérisées par l’absence d’un véritable processus de production de connaissances, mais axées plutôt à la préservation, sinon à la revendication, des acquis du passé qui constitue leur seule identification. C’est le cas des sociétés négro-africaines précoloniales qui de nos jours, n’ont sensiblement pas modifié ce comportement. Or, on admet qu’au départ, le rôle des situations concrètes fournies par l’environnement est de mettre en éveil l’intelligence pour produire des solutions.

Il s’agit ici de l’adaptation. Cependant, cette activité initiale déclenche aussi la fonction d’abstraction qui opère un détachement des situations concrètes pour conduire à la formation de concepts de plus en plus éloignés des intuitions sensibles. Les solutions correspondantes vont alors ouvrir la voie à des anticipations au traitement de problèmes à venir, partant, à plus d’invention, à plus de créativité. Il nous appartient dès lors de nous extirper de cette hybridation qui nous aspire dans une consommation extravertie effrénée tout en nous maintenant dans une conception traditionnelle primitive non actualisée, non valorisée.

Ces vérités sont d’autant plus plausibles, d’autant plus cruelles qu’aucun pays, aucun peuple africains subsahariens n’y échappe. Il ne s’agit pas ici, loin s’en faut, de renier, de rejeter nos traditions qui sont une richesse inestimable, mais de les adapter à la modernité, de nous dire qu’il n’y a pas de limite assignable au développement de l’intelligence humaine et à sa capacité de connaissance. Le professeur Etienne BEBBE NJOH a fait une étude intéressante sur l’« économie du savoir ». « Fonder sa propre nation est une tâche autrement plus redoutable, autrement plus fondamentale qu’un changement d’hymne et de drapeau », a dit Barack OBAMA à Accra. Pour ce faire, il nous faut avoir beaucoup d’abnégation et d’humilité. Apprendre, encore apprendre et toujours apprendre, non point avoir cette suffisance, cette mentalité de gens à la science infuse qui, non seulement n’inventent rien, mais se réclament perpétuellement d’une antiquité dépassée et loin d’avoir été partagée partout à un niveau équivalent.

L’économie n’aime pas le désordre

L’économie n’aime pas le désordre. Une pagaille innommable règne dans nos grandes villes, des villes qui poussent et s’étendent comme des champignons, sans centre, sans parcs ni bois pour préserver les microclimats, des villes dont la puanteur des cours d’eau, des drains et des caniveaux témoignent de la pollution, donc de la disparition de leurs écosystèmes, des villes comme Douala, infestées de rats, de souris, de musaraignes, d’araignées, de charançons, de cafards, de cancrelats et de moustiques. La seule défense qu’on nous oppose est que si tout ceci nous tombe sur la tête c’est qu’on ne peut pas faire autrement.

« On va faire comment ? » est la question rituelle, en guise de constat défaitiste, que l’on entendra. Les gens construisent en matériaux définitifs dans l’enceinte de l’aéroport international de Douala. Walaï, Ben Laden ! Nous sommes incapables d’organiser rien que les motos taxis. Les policiers laissent le sentiment de ne pas bien maîtriser les règles élémentaires de circulation que sont les signalisations verticales et horizontales, les priorités, etc. La délinquance juvénile, l’insécurité et le grand banditisme croissent. John F. KENNEDY a dit : « Ne nous demandons pas ce que notre pays a fait pour nous, demandons-nous ce que nous avons fait pour notre pays ». Parce qu’elle est mal gérée, pillée, notre société ne connaît pas une réelle et solide croissance dont les fruits profiteraient équitablement à l’ensemble de la population.

Notre secteur secondaire (industrie), y compris, bien entendu, la manne de nos énergies fossiles, ne représente que 13% dans notre croissance. Un petit pays comme Israël ne se serait jamais endetté à hauteur de 9 000 milliards de francs CFA sans à tout le moins poser les bases d’un développement durable. Pourtant Israël (42e rang mondial avec 201 761M$ de PIB quand même) est loin d’avoir autant de potentialités, autant de matières premières que le Cameroun (88e rang mondial avec seulement 15 900M$ de PIB). Ne pouvons-nous pas concevoir une nouvelle coopération, avec possibilité de contingentement de techniciens étrangers qui nous feraient défaut, une coopération basée sur un partenariat du gagant-gagnant, en adaptant notre enseignement tout en exigeant de nos partenaires un devoir de formation et l’implantation d’une économie à valeur ajoutée seule apte à nous assurer une croissance endogène ? Dans les modèles de croissance endogène dont l’un des premiers est celui de Paul ROMER (1986, l’un des théoriciens de l’Economie du Développement), la productivité globale des facteurs, qui n’était qu’un résidu dans les anciens modèles, résulte de l’accumulation de différentes formes de capital : capital physique, capital humain, capital technologique, tels que les stocks de connaissances et de savoir-faire valorisables économiquement, capital public, infrastructures.

Ces différentes formes de capital génèrent des externalités ou avantages gratuits pour d’autres agents que ceux qui réalisent les investissements, notamment le capital technologique ayant les caractéristiques d’un bien public, au sens où les connaissances, une fois produites, sont disponibles pour tous, hormis le dépôt d’un brevet. En conséquence, on s’affranchit des rendements décroissants. Car, dès lors que le rendement social du capital accumulé est constant, la croissance peut se poursuivre indéfiniment. Signalons que de ces modèles, on peut retenir deux résultats. Pour le premier résultat, si la croissance est un processus endogène cumulatif, ce sont alors les pays les plus avancés qui ont les meilleures chances de continuer à progresser.

C’est ainsi qu’on explique les inégalités qui se creusent entre pays développés et pays pauvres. Une croissance de 2% est forte en France (2 865 637M$ de PIB) ou en Allemagne (3 667 513M$ de PIB), alors qu’à 6% au Cameroun, nous ne ressentons même pas l’effet de l’expansion. Notre intérêt est donc, avec les potentialités que nous offrent nos matières premières, de nous hisser au moins parmi les pays émergeants, par un premier temps, au lieu de nous évertuer à nous enfoncer dans les profondeurs abyssales des Ppte. Le deuxième résultat de ces modèles est que l’intervention de l’Etat apparaît comme un facteur de croissance, par le biais de la subvention de la recherche et de la formation, du financement des grandes infrastructures, etc.


Au lendemain de la guerre qui les a divisées en deux, la Corée de Sud (15e puissance économique mondiale avec un PIB de 947 010M$) était au même niveau de développement que le Kenya (79e rang mondial, avec 16 600M$ de PIB). Aujourd’hui, nous demandons de l’aide à cette même Corée du Sud. Les cabines de traduction simultanée du Palais des Congrès que nous ont construit les Chinois ne sont plus opérationnelles. Pourquoi donc la maintenance nous répugne-t-elle tant ? Nous faire construire par les Chinois (3e rang tout de même, avec un PIB de 4 401 614M$) un Centre polyvalent de sports, c’est bien. Demander aux Asiatiques de construire des motos chez nous, en prenant comme modèle les Chinois qui l’ont fait aux Européens lors de la commande conséquente des Airbus, c’est mieux. Monter un avion aussi complexe qu’un Airbus revient pratiquement à le fabriquer soi-même et transfère par conséquent une part importante du capital technologique.

Pourquoi pas des ventilateurs made in Cameroun en étendant cette exigence sur la plupart des autres produits de consommation courante, voire dans l’agriculture et l’agro-industrie étant donné qu’actuellement nous sommes essentiellement physiocratiques ? On peut multiplier en abondance ce type de coopération structurante avec les Occidentaux pour le bien de notre tissu industriel. La deuxième phase de développement à entreprendre de concert avec cette première, est d’œuvrer d’arrache-pied pour la réalisation du grand marché que représente l’intégration régionale, y compris sa monnaie. Que peut un petit Cameroun face à l’Union européenne qui représente tout de même une bagatelle de 18 394 115M$ de PIB ou face aux Etats-Unis (14 264 600M$) ?

Les aides éparses venant par-ci par-là n’assureront jamais notre développement. Seul le financement de projets consistants, cohérents et précis le feront, et la communauté internationale, qui n’entend pas scier la branche de nos matières premières sur laquelle elle est perchée, ne le sait que trop. Dans ces cas de figures, il faudra également veiller à la maîtrise des prix, de sorte que nos produits fabriqués sur place ne soient pas plus chers que ceux importés, comme cela arrive souvent actuellement, tout en créant des conditions d’une libre concurrence émulative pour la qualité de notre production. N’ayons crainte : A partir du moment où nous développerons notre industrie au point d’exporter des produits manufacturés, notre balance commerciale, voire notre balance des paiements et bien de nos agrégats s’en ressentiront, ce qui nous amènera à mieux sérier nos droits de douanes afin de favoriser nos importations à caractère éducatif et culturel.


Il reste que certains PIB ont été servis ici pour ceux des nôtres qui en sont friands. Car, plus que le PIB (défini comme la valeur totale de la production interne de biens et services, dans un pays donné au cours d’une année donnée, par des agents résidant à l’intérieur du territoire national), le PNB (qui revient au PIB auquel on ajoute la balance des paiements), présentent certes des qualités, mais aussi des défauts, davantage. C’est donc tout naturellement que nous souscrivons aux critiques de Marilyn WARING, première femme députée au Parlement néo-zélandais, qui a souligné que les tâches ménagères et le temps consacré par les parents à l’éducation des enfants, en particulier par les femmes, singulièrement celles qualifiées d’« inactives », étaient occultés par les mesures de production par individu.

C’est tout aussi légitimement que nous faisons nôtre la remarque d’Alfred SAUVY selon laquelle ces deux indicateurs en particulier, mesurent mal l’économie informelle ou les services domestiques. Ces remarques s’appliquent avec acuité en milieu africain. D’autant que ces indicateurs se calculent sur la valeur ajoutée (écart entre la somme des valeurs des intrants, -inputs, consommations intermédiaires - d’un processus de production, et la somme des valeurs des produits ou des services des extrants - outputs, produits finis - qu’il vend) et non sur la richesse possédée (stocks de capital). Plus près de la réalité est donc l’indicateur de développement humain (IDH) créé par le Programme des Nations Unis pour le Développement (PNUD), qui intègre trois critères permettant d’apprécier les « capacités » (capabilities selon l’économiste Amartya SEN, un autre des théoriciens de l’Economie du Développement) des résidants dans un pays, à savoir : 1°) - la longévité (l’espérance de vie), 2°) - le savoir (le niveau d’instruction mesuré par un indice alliant pour deux tiers le taux d’alphabétisation des adultes et pour un tiers le taux brut de scolarisation), 3°) - le niveau de vie (le niveau de vie réel par habitant calculé à partir du logarithme du PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat - PPA - prosaïquement, un rapport mathématique entre les deux ).


« Connais-toi, toi-même », recommandait Socrate. Aussi doués que nous puissions être, nous ferions davantage preuve d’intelligence en reconnaissant nos faiblesses (car chacun de nous en a) pour mieux gérer nos forces. C’est exactement ce que font, sans vergogne, les Blancs en Europe ainsi que dans leurs « Nouveaux Mondes » (Amériques, Océanie, voire Afrique du Sud), en particulier lorsque l’on parle de fuite de cerveaux en leur faveur. C’est également ce que font les Asiatiques jusqu’à une certaine mesure, quand par exemple ils améliorent la technologie des autres. Au demeurant, parce que nous ne développons pas nos pays, nos enfants émigrent, souvent au péril de leur vie et à leurs risques, sous des cieux qu’ils espèrent cléments, pour qu’ensuite nous nous plaignions de leurs conditions d’accueil. Nous fustigeons le refus de leur accorder des droits de séjour alors qu’en Afrique subsaharienne (hors Afrique du Sud) les naturalisations de citoyens entre nations africaines, à plus forte raison en faveur de citoyens d’un autre continent désireux de s’installer en Afrique, n’existent quasiment pas. Celles que l’on rencontre par endroits datent du temps de la colonisation. Plus particulièrement, de manière viscérale, nous avons en aversion le Blanc, tout en le singeant, tout en nous prévalant de lui être supérieur pour ce qui est de son savoir, tout en nous laissant exploiter par lui, tout en nous imprégnant aveuglément de ce qu’il a de mauvais et qui est de nature à nous aliéner, à nous dégénérer.


Dès son arrivée au pouvoir, le Président BIYA a prôné la rigueur et la moralisation. Un constat et une nécessité qui sont restés lettres mortes jusqu’à l’« opération épervier » exigée par les bailleurs de fonds. Un comble ! Pour des raisons diverses, il y a de fortes chances que l’hôte du palais de l’Unité se représente pour sa propre succession lors de la prochaine échéance présidentielle, à la faveur de la « réformite » constitutionnelle, notre grippe porcine version sommités africaines qui inocule à nos dirigeants le virus chronique d’un pouvoir à vie, qui les frappe du réflexe pavlovien les rivant à ce qu’ils considèrent comme leur auge, - les présidents des partis politiques toutes tendance confondues ne s’y dérobant pas -, au point de vouloir transformer la République en monarchie constitutionnelle par le truchement d’une succession de père en fils ou de « monarque » en dauphin imposés.

Il n’y a pas de quoi pavoiser, on devrait même avoir honte de vouloir s’imposer à tout prix, si, pour une population estimée à 18 millions d’âmes, on obtient 2,8 à 3 millions de voix sur seulement environ 4 millions d’inscrits, alors que l’électorat potentiel devrait osciller autour de 9 millions de personnes. Incontestablement, il y a désaffection du citoyen camerounais de la chose électorale, l’homme politique ayant énormément déçu et les élections étant devenues des attrape-nigauds. Nous ne redouterions pas ces réformes constitutionnelles ni aucune élection si nous avions une véritable démocratie sans diarrhée intentionnelle de partis pour émietter les votes de l’opposition dans des scrutins à un tour, ni s’il y avait un réel code électoral sans lois scélérates, mais avec organes indépendants pour la gestion des élections d’amont en aval, des scrutins à deux tours avec indication des échéances précises de ceux-ci.

Oui, nous ne les redouterions pas si d’un côté, par manque de débats, donc de culture politique, l’élite infatuée n’étant assoiffée que de placer son ego aux premières loges des honneurs dérisoires, la société civile inorganisée n’alimentant pas la vie de réflexion et d’idées novatrices, les citoyens n’avaient pas tendance à voter pour le chef en place, comme jadis dans les campagnes françaises, et de l’autre côté si, avec la bénédiction des observateurs internationaux, pseudo indépendants au regard des solutions foireuses politico-économiques que nous propose la communauté internationale, les élections n’étaient pas entachées de fraudes massives multiformes. La Cour suprême et autre Cour constitutionnelle en charge des litiges électoraux sont un leurre. S’opposer aux autorités par des émeutes est périlleux.

Frileuses à la moindre velléité de manifestations de rue, celles-ci pointent leurs armes contre la population. Interrogé en France sur l’emprisonnement de LAPIRO DE MBANGA suite à un déni de justice, Paul BIYA s’étant énervé, a refusé de répondre à la question. Si les colonialistes s’étaient comportés avec autant de violence, avec autant de barbarie vis-à-vis de nous, jamais nous n’aurions accédé à l’indépendance. Le rôle de l’Administration territoriale est la protection des biens. Oui mais, des personnes aussi. Faire, ou laisser, tirer sur des manifestants ne protège pas ceux-ci. Nous sommes loin, bien loin d’approuver les casses.

Mais que vaut, pour une nation, un local détruit face à la vie d’un adolescent ? N’y a-t-il pas d’autres moyens pour disperser les manifestants ? Les bavures gouvernementales, passibles devant le TPI, resteront impunies parce qu’elles sont couvertes en haut lieu saupoudrant une responsabilité diluée dans un flou artistique, aidé à cela par les carences d’une opposition défaillante, divisée, incapable de se donner longtemps la main, de concevoir des stratégies communes à moyen et à long terme, voire un programme commun de gouvernement qui sortirait notre pays de ce marasme.

Dans les incohérences de cette opposition, on peut citer ceux de ses membres qui retournent facilement leur veste pour courir dare-dare à la mangeoire, ceux qui parlent changement d’une façon incantatoire, sans bien définir celui-ci dans leur tête ni même les moyens d’y parvenir et ceux qui, dogmatiques, par manque de pragmatisme et d’évolution dans leur analyse, s’accrochent à des revendications éculées, vétustes tout en menant sporadiquement des actions positives, oubliant que révolte ne signifie pas révolution. De manière générale, les hommes politiques camerounais s’étant sclérosés, laissent l’impression, chacun dans sa chapelle étant persuadé de détenir la vérité absolue, de n’avoir pas posé la problématique du Cameroun dans la démarche d’une pensée discursive intégrant nos réalités quotidiennes. A Accra, Barack OBAMA a aussi dit que c’est ce qui se passe entre deux élections qui est important.


Paul BIYA nous ressert donc dans son accès viral endémique, la même recette qu’à son accession au pouvoir, la rigueur et la moralisation, cette fois-ci, assaisonnée d’un balbutiement d’actes. Nous osons espérer que le feu qu’il a mis aux poudres ne sera pas de la poudre aux yeux, ni un feu de paille. Nous nous mettons même à imaginer qu’à force de jouer aux apprentis sorciers, non point ceux d’un certain mois de février 2008 (…), les éclats des dégâts collatéraux atteindront toutes les échelles de l’Etat. Nous croisons donc les doigts en nous disant : Et si à l’issue de ce coup de balai salutaire, à l’occasion des prochaines échéances, tant le sous-développement et la pauvreté ambiante ont fait naître en l’Africain une mentalité pourrie d’arriviste, nous procédions au renouvellement global de la classe politique, notamment en lorgnant du coté de la société civile, des cadres des organismes internationaux associés à la diaspora, tout en introduisant dans nos mœurs des pratiques cognitives, non point par la mémorisation et la répétition, mais par la maîtrise des concepts et leur enchaînement logique, en adoptant une culture du débat tout en instituant définitivement la sanction à tous les niveaux ? Nous voulons l’alternative qui nous ouvrirait des horizons nouveaux, et non l’alternance qui supposerait le changement d’hommes dans la continuité d’actes. *Terme pidgin camerounais signifiant « Ne vous enfuyez pas ».



Francis KWA-MOUTOME :
Président de la Commission des Affaires Extérieures AFP (Alliance des Forces Progressistes)




15/11/2013
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 299 autres membres